Dieudonné.Quelle mouche l'a piqué ?

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La haine meurtrière

Alain DENIAU
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                                                  La haine meurtrière   

Édito : "Une tragédie"

Laurent Le Vaguerèse
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À propos d’une tragédie, quelques mots.   Je suis habituellement assez peu concerné par ce qu’il faut bien appeler un fait divers. Au décours d’une vie, il n’est pas rare d’entendre parler de tel ou tel évènement qui affecte tragiquement, un enfant, une famille, une population. Notre vie n’est pas faite que d’évènements heureux et chaque matin les médias nous en délivrent  une  part suffisante. souvent même un peu trop pleine. Mais rien qui ne nous fasse réfléchir sur autre chose que sur la fragilité de notre condition humaine et sur les coups que le destin peut porter à chacun de nous.   Un de ces matins donc voilà que j’entends à la radio qu’un homme, un syrien, a poignardé dans un jardin, avec un couteau, des enfants qui s’y trouvaient au bord d’un lac et même qu’un bébé a été également victime de cet homme. Aussi résistant que l’on soit aux malheurs du monde, j’avoue avoir été remué par cette nouvelle.  

Une tragédie

Édito : « La psychanalyse ? Il y a d’autres approches possibles vous savez, ce n’est pas la seule »

Laurent Le Vaguerèse
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« La psychanalyse ? Il y a d’autres approches possibles vous savez, ce n’est pas la seule »   Parfois, la redite par des interlocuteurs différents, à peu près dans les mêmes termes, d’une question ou en l’occurrence d’une affirmation, conduit à s’interroger. Que la psychanalyse ne soit pas la seule approche thérapeutique ni la seule théorisation concernant le fonctionnement du psychisme, cela n’a rien de nouveau et même cela a toujours été le cas ; D’une certaine façon depuis Janet jusqu’au cri primal en passant aujourd’hui par le comportementalisme tellement à la mode, la psychanalyse a toujours existé avec d’autres sans que cela ne provoque cette affirmation teintée de reproche voire d’agressivité. Pourquoi tant de haine pourrait-on dire en souriant.   Sans doute l’une des réponses se trouve-t-elle dans le passé récent au cours duquel la psychanalyse s’est voulue dominante voire exclusive de toute autre approche. La jeune génération qui ne veut pas qu’on lui impose quoi que ce soit, a tendance à s’affirmer contre cette prétention supposément le reflet d’un passé dépassé.  

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Dieudonné.

Quelle mouche l’a piqué ?

L’antisémitisme de Dieudonné n’est pas banal, il est passionné. Dès lors, tout ce qui ne tourne pas rond, tout ce qui assujettit, asservit, a pour lui une cause unique : les Juifs. Avec ce signifiant des plus ouverts à la signification, Dieudonné a, comme beaucoup de gens simples, réponse à tout ce qui fait problème. Il est vraisemblable que Dieudonné sache, ait appris (tardivement puisqu’il n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui) quelque chose que l’antisémite primaire ignore. Ce « quelque chose » est très certainement la cause de sa passion. Traumatisme ? Sans doute. C’est d’ailleurs en ces termes que son ancien partenaire de scène et ami d’enfance explique son basculement. La passion antijuive de Dieudonné est un symptôme et comme tel, une énigme. Cet homme est un intarissable bavard qui a fait de ce trait de caractère son métier. De fait, pour les analystes, la matière abonde pour réfléchir à la nature très particulière de ce poison instillé par la mouche qui l’a piqué.

Amour de l’argent, roublardise… Lieux communs séculaires de l’antisémitisme. L’antijudaïsme est affaire d’érudits alors que l’antisémitisme, s’il prend racine et se nourrit de cette glose, s’en exonère jusqu’à n’être plus qu’un dénominateur commun, une conclusion désengrenée de ses prémisses, conclusion qui s’abrège en une position subjective enkystée dans une tradition qui date.

Les sketchs de Dieudonné relèvent d’une haine farouche des Juifs qui fait écho, pour ne citer que lui, à celle de Céline ; le talent de l’écrivain, mis au service d’une invitation au meurtre, n’est dès lors qu’une circonstance aggravante. Le problème avec ces gens-là, c’est qu’il se trouve toujours des psychopathes pour acter leur désir, tandis qu’ils gardent, au regard (peu regardant) de certains, les mains propres.

L’assignation récente au contenu cliniquement délirant d’un des responsables du CRIF par le trio Fofana, le psychopathe (le gang des barbares), Robert Faurisson, le négationniste néofasciste (en place de Référence culturelle pour les deux autres) et Dieudonné (La folle de Chaillot pousse-au-crime), est exemplaire de l’entrelacs borroméen Réel, Symbolique, Imaginaire conceptualisé par Lacan.

La passion antijuive de Dieudonné est caractéristique de l’antisémitisme « consacré », lequel, sous l’Occupation, est allé jusqu’à s’abjecter. Spinoza, puis Freud, se sont interrogés sur les causes de l’antisémitisme. Selon le philosophe, les Juifs, une fois affranchis, ont mal interprété le terme d’élection. Ils ont compris élus par Dieu parmi les autres peuples au lieu de comprendre élus à l'instar des autres peuples, et libres enfin de conduire leur propre destin. Selon Spinoza, cette interprétation erronée du terme d’élection fit que Chrétiens et Musulmans -qui pour le malheur des Juifs se sont donnés (ont élu) leur Dieu plutôt que de s’en fabriquer un tout à eux- se trouvent confrontés à un peuple que leur divinité aurait entre tous distingué… aristocratisé. Cela ne pouvait, dans le meilleur des cas, que susciter une jalousie farouche.

Freud approuvera cette thèse mais il fera un ajout de poids : celle-ci ne vaut que si les jaloux en question adhèrent à la fable juive. Par l’élection, Freud avancera que les Juifs se sont fait un don considérable et en regard de cela, il dira des Chrétiens qu’ils sont « mal baptisés ». Dieudonné ne s’y trompe pas lorsqu’il éructe : « Le racisme a été inventé par Abraham. Le peuple élu, c’est le début du racisme. »

Retour à Dieudonné.

Digression sur le rire.

Le rire est toujours, selon Freud, un mécanisme de décharge qui résulte de la levée d’une inhibition à caractère sexuel et/ou agressif. C’est la conjugaison de l’intensité de la pulsion et la brusquerie de sa levée (effet de surprise) qui déterminent la force de la décharge, laquelle peut aller jusqu’à l’éclat… de rire.

Dieudonné n’est ni un comique ni un humoriste, mais un discoureur. S’il fait rire son public, il ne se distrait pas lui-même de ce qu’il raconte. Cette placidité n’est pas due à son professionnalisme. Il ne rit pas car il n’a aucune barrière, et dès lors, totalement désinhibé, il éructe ses pulsions haineuses et assassines sans détours. Porte grande ouverte sur l’inconscient, il ne fait ni humour ni esprit, mais produit au mieux des condensations navrantes n’exprimant que son obsession antijuive. Il en va autrement de son public. Il rit. Mais de quoi ? De la levée en paroles d’une inhibition, non pas sur le mode de ce détour qu’est le mot d’esprit (lequel, même des plus réussis, ne produit jamais qu’une satisfaction partielle des pulsions sexuelles et/ou agressives), mais par l’abolition spectaculaire de ce qui fait obstacle à une jouissance que l’on peut qualifier de barbare. Pour ceux que Dieudonné ravit, « Juif » est l’objet universel de la haine. Le public de Dieudonné ne rit pas de ses bons mots, mais du déferlement pulsionnel tout en paroles auquel il se livre et auquel eux-mêmes aspirent. Pour autant, Dieudonné ne prêche pas l’insoumission à l’instance surmoïque, voire son limogeage, bien au contraire. Il mène une croisade antijuive. Il est dans le devoir, et ce, s’il le faut -et il le fait savoir- jusqu’au martyr, un martyr très relatif puisque la censure, les condamnations voire la menace d’une peine de prison (il sait ne rien risquer de plus, son argent étant à l’abri en Afrique) semblent le faire jouir.

Quelle mouche l’a piqué ?

Laissons de côté les poncifs antisémites et les jeux de mots nauséabonds de Dieudonné pour nous intéresser à une particularité de son propos. Ce n’est pas en écoutant ses sketchs que l’on a une chance de découvrir quelque indice mais plutôt en lisant ses déclarations. Quelque chose revient, quelque chose d’historiquement faux, mais dont il ne démord pas.

« Les Juifs sont des négriers reconvertis dans la banque »

« Le lobby juif déteste les Noirs, vraiment ! »

« Les Juifs ont joué un rôle prédominant dans la traite transatlantique »

« Les Noirs ne sont autorisés que dans quelques plages d'expression : le sport et l'humour… et on ne pourra jamais aller plus loin, avoir des responsabilités car les Noirs ne sont que des grands enfants, des clowns pour le Blanc esclavagiste, le capitaliste puissant (entendons les Juifs) »

L’expression « Les Juifs » ne fait pas dans le détail. Il s’agit de tous les Juifs, du peuple juif. D’ailleurs, c’est le peuple qui est élu et non les Juifs pris individuellement. Une histoire antisémite commence toujours par : « C’est un Juif qui… ». Le Juif en question n’a pas de nom parce qu’il est supposé, quel qu’il soit et quoi qu’il pense, être interchangeable avec n’importe quel autre Juif.

1La mouche qui a piqué Dieudonné a un nom, elle est biblique :

La Malédiction de Cham.

Il s’agit de l’épisode de la Genèse au cours duquel Canaan est maudit par Noé, son grand-père, pour une faute commise par Cham, son père.

Ces versets évoquent la personnalité des pères des 70 nations qui ont, selon la Bible, composé l'humanité. Certains historiens et exégètes y ont vu une caution religieuse à la dépréciation des peuples d'Afrique noire et à leur réduction en esclavage.

Genèse 9,1-10,32

22. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères.

23. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père.

24. Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet.

25. Et il dit : Maudit soit Canaan ! qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères !

26. Il dit encore : Béni soit l’Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave !

27. Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave ! »

Dieudonné :

« Le lobby juif déteste les Noirs, vraiment ! »

« La participation des Juifs à la traite leur a permis de fonder des banques. »

« Leur pouvoir, aux origines monstrueuses, se poursuit aujourd'hui par leur puissance financière. »

Le fait est que Noé, après sa soûlerie, semble déraisonner. Dieu et Dieudonné aussi. Dieu parce qu’il veut réduire à rien Sa Création au prétexte que l’homme qu’Il a fabriqué à Son image serait un pervers. Pourquoi dès lors vouloir noyer aussi les girafes, les lapins… et même les poissons ? Dieudonné, lui, (savoir su ou insu que sait2 l’inconscient) a Noé dans le collimateur. Et si le Patriarche fut la crème des hommes (ce que Dieu Lui-même suggère), alors l’image de ce que fut l’espèce humaine d’avant le Déluge est pour le moins atterrante.

Pour que Dieudonné étende sa haine du Patriarche au peuple juif, il a fallu d’une part qu’il adhère à la fable juive, et que d’autre part il s’inscrive dans la lignée de ce fils maudit par son père.

Il est à noter que certains Juifs orthodoxes lisent cette équipée biblique au pied de la lettre. Cela n’a pas été historiquement sans conséquences. On peut, à la lumière de cet épisode de la Genèse, se demander dans quelle mesure il n’explique pas la résistance du milieu juif orthodoxe à intégrer les Falachas. On peut également se demander si le rejet actuel des immigrés noirs par la droite israélienne (souvent les porte-voix des mouvements religieux), ne trouve pas son origine dans la fiction biblique.

J’ai été amusé en découvrant sur le Net que l’épouse de Dieudonné se prénomme Noémie. Un prénom d’origine hébraïque. Ça alors…

Michel Steiner

  • 1.

    Au XVIe siècle, l'une des significations du mot mouche était "pensée brusque, souci".

  • 2.

    « insuccès » écrira Lacan