Cette fois-ci, vous vous êtes bien recouchés

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Cette fois-ci, vous vous êtes bien recouchés

J’aime bien l’émission « On n’est pas couché » et je la regarde quand je peux. Mais samedi dernier, Laurent Ruquier et son équipe m’ont déçu. Cette déception vaut d’être réfléchie car ce qui s’est passé est bien symptomatique pour le journalisme, la politique, voire la culture actuels.

On accueille un philosophe, acclamé pour son œuvre. Madame Lea Salamé lui soumet un certain nombre de ses énoncés, qu’elle a répertoriés dans la presse. Il nie les avoir énoncés et persiste dans son déni à chaque fois qu’elle lui demande de s’expliquer sur une de ses déclarations, qu’elle juge inacceptables. Ce qu’il avait dit aurait été systématiquement transformé, manipulé par les journalistes qui l’ont interviewé. Ce procédé a un nom. C’est de la mauvaise foi voire de la persécution. Et pourtant cette méthode d’obstruction faite à la recherche du sens de ce qu’il avait dit a été tolérée par Laurent Ruquier qui a surtout pris soin de ne pas froisser un invité si prisé par les médias.

Léa Salamé lui demande de définir ce qu’il appelle « le peuple » : bonne question puisqu’il dit aimer le peuple, « son » peuple. Jacques Rancière avait insisté, il y a quelque temps déjà, sur cette forfaiture – propre aux représentants de l’extrême-droite, n’en déplaise à Michel Onfray qui se dit évidemment de gauche - de parler au nom du peuple, comme si celui-ci ne savait pas parler pour lui même. M. Onfray donne alors sa définition victimaire du peuple : il n’a pas voix au chapitre, il subit les décisions politiques et économiques sans pouvoir s’y opposer. Soit. Mais il va plus loin, donnant des exemples précis : le peuple, côté homme, ce sont des vendeurs de pizza qui doivent travailler de nuit. Et côté femmes : des étudiantes désargentées (pour payer leur chambre d’hôtel, euh… lapsus, d’étudiante) ou des mères de famille démunies, par conséquence obligées de se prostituer ! Cet exemple reviendra à plusieurs reprises…

Or, bizarrement, aucune sidération sur le plateau de France 2 ! Personne ne bouge ! Pas de protestation contre une si curieuse casuistique. Le paradigme féminin du peuple serait donc des prostituées par nécessité ? Et, côté homme, les vendeurs pressés de pizza ! Personne n’a rien eu à redire à la pose indignée de M. Onfray ! Par manque de présence d’esprit et de combativité on laissait passer cette illustration hypocrite du peuple malheureux. C’est ce qui nous amène au cœur du problème.

Ce manque d’esprit, pour réagir de façon cinglante à un moment où quelqu’un dévoile son vrai visage de cuistre est assez inquiétant de la part de ceux qui ont la charge de découvrir ce que leur interlocuteur pense et veut vraiment : s’ériger en donneur de leçons pour répandre le poison contre lequel Nietzsche avertit souvent ses lecteurs, celui du ressentiment ! À une autre époque, les poses et prétentions de M. Onfray auraient fait le bonheur des satiristes. Aujourd’hui, les journalistes lui mangent dans la main.

Cet esprit qui manque cruellement serait pourtant l’arme de tous ceux qui voudraient parler au peuple pour lui dire la vérité, pour changer ensuite sa déplorable situation. Cet esprit, cher à Freud et à Lacan, manque aujourd’hui non seulement aux commentateurs mais aussi aux politiques. Ceux-ci ne veulent plus connaître le peuple que par sondages interposés. Ce manque d’esprit sert avant tout les démagogues. Non seulement ils n’en disposent pas mais ils tirent aussi profit de ce qu’il soit devenu une denrée extrêmement rare. Sans esprit ni humour ils peuvent exacerber les peurs pour mieux se placer dans la course aux voix par le biais de leurs solutions extrémistes à la crise. Pour eux, les refugiés sont des  hordes sauvages qui déferlent.

M. Onfray manie l’ambiguïté au lieu de l’esprit. Limitons-nous ici à quelques exemples : Hédoniste de pacotille, il veille quand même à la morale, dénonce l’injustice qu’il subit et demande que la France reste propre. Affirmant ses distances, prises d’avec le FN, il adopte néanmoins les positions de celui-ci, prônant le même pacifisme que Le Pen alors que le pays doit se défendre contre le terrorisme.  Il accuse les « micro-peuples » que forment les migrants et autres réfugiés, de prendre l’espace du peuple français. Il revendique le statut de penseur mais, confronté à ses propres dits, fuit la responsabilité de ses énoncés.

Intimidé par ce pitoyable Monsieur qu’il tient pour un philosophe important, Laurent Ruquier a raté une occasion qui lui était présentée sur un plateau : d’aller au fond de ces ambiguïtés pour remettre à sa place une figure qui, dans la perspective de 2017, joue un jeu toujours plus trouble.

Franz Kaltenbeck,

Psychanalyste

5 rue Bernard Palissy

75006 Paris

Franz.kaltenbeck@gmail.com

06 75 37 24 49

Comments (1)

Les uns migrent les autres dénigrent.
C'est un nouveau sport ; on appelle cela le lancer de comiques. Kermesse offre la mise, on tend la perche et les produits s'appellent monsieur fait-parler-de-lui, madame fait-parler-d'elle.
Avec Ruquier, l'audience fait épée de Damoclès. C'est rare, voire précieux.
Et puis, honnêtement, c'est pas gentil de dire du mal de quelqu'un qui a perdu son père.
Pour le "peuple", donc le sans père, mais dont tout le monde se targue d'être la mère ; je crois qu'il y a repentir sur la définition. Combien de pixels sont nécessaires à l'image ? - Cela fait agitation chez ceux qui attendent d'être un peu moins peuple si c'est pas trop demander ; et ceux qui "pensent".
L'idée de "peuple" est-elle moderne, va-t-elle devenir vert-de-gris, ou rester révolutionnaire comme chien de plage qui remue la tête voiture plage arrière ?
Sois prem's ou débouté perpétuel, c'est selon.
Il n'y a pas de solidarité sans émotion ai-je entendu ; ça laisse rêveur.
Pour les flux migratoires, l'idée New York est morte. C'est la grande bouffe. Celle de la comm'.