Une femme chez les premiers psychanalystes
Margareth Hilferding, Une femme chez les premiers psychanalystes, Françoise Wilder, Epel, 2015 « Qui donc est l’auteur de cette phrase choquante que j’ai lue au bas d’une page d’un article de Simone Molina dans la revue Impair : « L ‘enfant est un objet sexuel naturel pour la mère » ? Ainsi débute la recherche de Françoise Wilder, psychanalyste, qui la poussera à neuf ans de recherche dont ce livre est le résultat. Et c’est cette démarche de recherche et ses résultats que l’auteur nous donne à lire, ce qui fait l’intérêt et le plaisir de cette lecture. Cette femme c’est Margarethe Hilferding , la première femme médecin de la faculté de Vienne et la première candidate devenue membre de la Société psychanalytique de Vienne. Ce nom n’est pas inconnu de celles et ceux qui ont lu attentivement les Minutes de la Société Psychanalytique de Vienne . Ni de ceux, germanistes, qui ont lu l’ouvrage d’Eveline List, paru en 2006 Mutterliebe, und Geburtenkontroll – Zwischen Psychoanalyse und Socialismus. Die Geschichte der Magarethe Hilfer ding-Hönissberg, livre, que Françoise Wilder, qui n’est pas germaniste, le découvrira au cours de ses longues recherches sur cette femme, juive, poète, « qui pratique la médecine avec les femmes et les enfants…mais qui refuse d’être dite gynécologue ou pédiatre», qui sera témoin et participante de tous les mouvements intellectuels et sociaux du début du XX° siècle en Autriche et Allemagne et sera déportée en 1942 à Treblinka où elle mourra. Mais ce livre, s’il est le portrait d’une femme peu ordinaire, un livre d’histoire de ces mouvements sociaux et des scissions qui ont animé la psychanalyse dans ses débuts, est aussi un livre « féministe », pourrait-on dire, car il témoigne aussi de la longue et difficile lutte des femmes, de plus juives, dans la première moitié de ce XX° siècle aux prises à la fois avec l’antisémitisme et ce que l’on appellerait aujourd’hui le « machisme » des hommes aussi intellectuels et novateurs qu’ils soient. On lira ainsi avec un certain étonnement, après ses difficultés à obtenir de passer sa Matura (équivalent de l’époque du baccalauréat), puis, alors qu’en 1889 la seule formation ouverte aux filles est celle d’institutrice, à faire des études de médecine réservées aux hommes, les débats sur son admission à la Société psychanalytique de Vienne, sauvée par Freud qui commentera sur-le-champ «qu’il est très méritoire, que la conférencière ait fait entrer dans le domaine de l’analyse psychanalytique un sujet qui, de par le conformisme que nous entretenons, a été maintenu à l’écart de notre champ d’investigation» et soutiendra « qu’il y aurait une inconséquence grave à décider d’exclure les femmes par principe. » Dans cette Société Margarethe Hilferding y parlera en clinicienne à partir de son expérience de médecin auprès des femmes et des enfants. Elle y parlera de ses observations de la vie sexuelle des femmes, de la masturbation des « fillettes glissant sur leur chaise à l’école de ça et là et aussi des stimulations provenant des vêtements trop étroits. Et sans culpabilité… » insistera-t-elle. Elle y parlera du traitement de la pollakiurie à l’heure où ses collègues affirment que « l’urine est un produit sexuel en raison des théories sexuelles infantiles » alors qu’elle l’attribue à l’éducation. Elle intervient contre les « élucubrations » de ses collègues masculins et leur reproche l’étroitesse de leur champ clinique en affirmant l’importance non seulement des parents mais des frères et sœurs dans les névroses. Elle discutera également du rapport entre le choix professionnel et la névrose, informée par sa propre expérience, des impossibilités sociales des choix professionnels pour les femmes. Cependant elle confiera « qu’elle a été poussée aux études de sciences naturelles par le désir de se protéger d’une rechute dans une vie imaginaire luxuriante ». Quant à la politique elle discutera des positions de l’assemblée masculine qui soutient que « le devenir socialiste », « ne sont que nos idées de vengeance inaboutie qui nous mènent au voisinage de la pyromanie et de la kleptomanie » ! Expression du conservatisme de l ‘époque que Freud, malgré ses positions novatrices concernant la vie sexuelle partagera cependant, comme tous ses homologues masculins de l’époque . Est-ce cela qui la poussera à suivre Adler lors de la scission avec Freud ? Mais peut-être est-ce aussi que Margarethe Hilferding, est « rouge, rouge de sa révolte enfantine,…rouge la conversion socialiste ». Fille de Paul Hönisberg et d’Emma Breuer, elle appartient à un milieu qui certes fréquente des intellectuels proches familialement de la psychanalyse (elle était l’amie d’Ida Bauer, la Dora de Freud, sœur d’Otto Bauer) et elle a été la femme, certes séparée, d’un socialiste voire marxiste avec qui elle a eu deux enfants qui auront eux-aussi un destin tragique . A partir de là Margarethe Hilferding s’engage dans une vie militante et engagée politiquement et socialement dont l’auteur fait remarquer que « ses positions sont peut-être la figure de sa résistance à la psychanalyse ». Cependant dans son parti social-démocrate elle tient tête aux hommes du parti, milite pour la cause des femmes, milite pour l’avortement (qui leur fait peur car ils craignent que cela ne diminue le nombre de militants !), pour l’émancipation sexuelle et, suivant en cela Otto Gross, veut faire de la psychologie de l’inconscient la philosophie de la révolution. Cela « ne marchera pas » et Margarethe, « sortie de la violente pédagogie adlérienne, reviendra à son expérience de médecin de femmes… ». Elle met en relation vie sexuelle et travail, milite pour les travailleuses intellectuelles en même temps que pour une vie sexuelle épanouie . A partir de 1934 elle perdra peu à peu, parce que juive, son droit d’exercer sa fonction de médecin sauf pour les femmes juives, puis sera emprisonnée. A sa sortie elle continuera à travailler, passera même un diplôme d’orthopédie en 1939. En 1942 elle est déportée à Theresienstadt, avec les sœurs de Freud, le psychologue David Oppenheim et Isidore Sadger qui s’était opposé à son entrée dans le groupe du mercredi, puis à Treblinka, où elle mourra. « Lors de son départ en déportation elle prit avec elle des médicaments, des pansements, des bandages. Elle est celle qui ne part pas sans rien offrir. » Ce trajet, cette histoire d’une femme prise dans la grande Histoire, Françoise Wilder nous en fait vivre les cheminements de la découverte avec une empathie qu’on ne peut que remarquer et partager. Françoise Petitot ----------------------------------- Quand Françoise Wilder rencontre Margarethe Hilferding… par Michèle Skierkowski A propos du livre de Françoise Wilder : Margarethe Hilferding, une femme chez les premiers psychanalystes, Editions Epel, 2015. « Les institutions sont telles que seul demeure le nom de ceux qui fondent, adhèrent ou collent, ainsi que celui des décollés, des déchirés par conflit. Le nom de ceux et celles qui seulement passent s’efface. »1 Le nom de cette passante, celui de Margarethe Hilferding, Françoise Wilder nous dit l’avoir rencontré il y a 9 ans, dans une note de bas de page d’un article. Un nom certes, mais accompagné de propos inouïs, qui nous dit-elle, l’ont choquée. F. Wilder s’est alors attachée à retrouver la personne qui portait ce nom. C’est lors d’un colloque des CCAF intitulé « Les dessous du divan », en 2008, que F. Wilder nous a présenté Madame Hilferding, première étape de cette recherche qui trouve aujourd’hui son aboutissement dans ce livre. Françoise Wilder nous indique le chemin qu’elle-même a suivi pour trouver trace de cette femme, première à être admise à la Société psychanalytique de Vienne2 et qui n’avait pas d’existence dans la mémoire des psychanalystes. Elle est partie à sa recherche, considérant que quelqu’une qui s’était autorisée à affirmer « l’enfant est un objet sexuel naturel pour sa mère »3 dans une assemblée de messieurs qui se demandaient si les femmes pouvaient être psychanalystes, n’était certainement pas une quelconque. Qui était donc Margarethe Hilferding ? Françoise Wilder nous dresse le portrait d’une femme singulière, première femme chez les premiers psychanalystes, mais aussi première femme à faire des études de médecine jusque-là réservées aux hommes. Née à Vienne en 1871, de famille juive, intellectuelle passionnée, M. Hilferding militera pour la cause des femmes et le contrôle des naissances. Ses luttes politiques et sociales seront toujours au plus près de la vie concrète des femmes ouvrières. Sa vie s’achèvera en 1942 dans le camp de Treblinka. Les études de médecine sont réservés aux hommes, alors elle se faufile : « Elle s’est glissée dans quelques cours de médecine selon la permission qui lui en est faite par l’un ou l’autre des maîtres ». « J’aime cela : qu’elle aille partout où elle peut, partout où c’est intéressant, partout où c’est possible ». 6 Et puis, comme d’évidence, elles en viendront toutes deux à dialoguer. Françoise Wilder questionne Margarethe Hilferding sur les suites de sa démission de la Société psychanalytique de Vienne. Celle-ci répond, précisant ce que la psychanalyse était pour elle : « Il y a dans les hypothèses de Freud l’outil qui permet de singulariser chaque façon de souffrir, de désirer, de vivre. Mes patientes étaient des femmes pauvres, souvent mal traitées et de plusieurs façons. Chercher avec chacune ce qui lui était propre et insoumis au collectif, voilà ce à quoi la psychanalyse contribuait dans ma pratique ». Elle poursuit en interrogeant à son tour, non sans quelque malice : « Je ne sais pas si la psychanalyse a trouvé, dans votre temps, un régime de critique qui ne se réduise pas à des affrontements de personnes, à de brusques mouvements d’appareils. »7 ! 5 Ibidem, 1Margarethe Hilferding, une femme chez les premiers psychanalystes, F. Wilder, Editions Epel, 2015, page 8. 2 La Société psychanalytique de Vienne est l’association de ceux et celles qui furent nommés « après-coup » les premiers psychanalystes et qui se réunissaient chez Freud le mercredi. Cf. Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, trad. Nina Bakman, Paris, Gallimard, 1979. 3 Ou encore : « Il n’y a pas d’amour maternel inné. […] il semble que ce soit l’interaction physique entre la mère et l’enfant qui suscite l’amour maternel.[…] et si nous admettons chez l’enfant l’existence d’un complexe d’OEdipe, il trouve son origine dans l’excitation sexuelle procurée par la mère –ce qui présuppose une excitation érotique identique chez celle-ci. », op. cit., page 64.

Margarethe Hilferding, Une femme chez les premiers psychanalystes.

Par Françoise Wilder, EPEL éditions, Paris. 135 pages.

« L’enfant est un objet sexuel naturel pour la mère… » dit-elle, prononçant une conférence devant Freud le 11 janvier 1911 à Vienne.

Qui est Margarethe Hilferding-Hönigsberg ?
Avant Sabina Spielrein, avant Lou Andreas Salome , elle a parlé en collègue
dans la société des « premiers psychanalystes ». Première femme à devenir médecin à Vienne et première à être admise dans le groupe de messieurs
autour de Feud.
Sa démission discrète après 2 ans de participation assidue l’a condamnée à l’oubli.
Ni la première ni la dernière à mourir à Treblinka en 1942.

Les débuts de la psychanalyse ne cessent de nous étonner.

F.W.