Pas si facile d‘écrire une note de lecture sur un texte épuré jusqu’au trait sans risquer de l’alourdir d’un autre discours.

Ce « petit » livre d’une centaine de page est une suite rythmée de très courts textes (2 pages). Il a pris place, parmi beaucoup d’autres plus ou moins précieux mais habités …dans ma salle d’attente.

En quelques semaines, il s’est écorné, a pris du volume à force d’être lu et relu, feuille par feuille.

C’est un premier témoignage du potentiel de vie de ce livre, qui est un hommage léger et profond à ceux qui ont toujours fait avancer la psychanalyse ; les patients.

Pour reprendre les termes du prix « Oedipe », je ne sais pas s‘il s’adresse à un publique

«  Cultivé » ou alors au sens très large.

Apparemment à qui sait lire, ce livre sait parler.

Le pari de Michelle Faivre- Jussiaux est « que cette forme d’écriture, nouée dans et par le transfert sera susceptible de transmettre au lecteur ce en quoi consiste l’expérience de la psychanalyse, différemment, mais de façon plus saisissante peut être qu’une élaboration théorique, fût-elle des plus pointues ».

Ces textes reconstruits, « fragments » de trajets de cure, écrits dans un récit d’une poétique apparemment légère sont au plus près des mots des patients.

Ils suscitent parfois un sourire, jamais compatissant et non dénué d’humour…

On en oublie la théorie, sous-jacente, en tension, jamais exhibée, comme le tragique de la singularité humaine évidemment latente.

Mais l’auteure évite à chaque fois le piège de l’identification et de la suggestion. Elle s’arrête.

Impossible de se dire « je suis comme celui ou celle là ! ». Le fragment n’est qu’un trait.

C’est une invitation soit à l’association ou à la construction.

 

Le tragique ne glisse jamais vers la fascination du réel. On sent juste, qu’il est à fleur de mots.

L’écriture en permanence porte vers le désir, la parole et la création.

C’est cette construction sur un fil, entre les pièges de la vignette clinique, de l’exposé théorique ou de la vulgarisation qui en fait la richesse.

L’espace de la salle d’attente est remarquablement saisi comme ce lieu imaginaire ou se croisent l’attente de l’analysant et le désir de l’analyste.

Désir qui ne manque pas d’être interrogé quand le patient, par son absence laisse son analyste perplexe - entre parenthèse et non en attente-, dans une dissymétrie fondamentale.

On y retrouve la notion de «  temps suspendu »  dans un processus de symbolisation, que Michèle Faivre-Jussiaux a déjà développé dans différents travaux autour de l’autisme comme « l’enfant lumière »1ou « Des travaux et des jours »2.

Travaillant aussi en Institut Médico Educatif, l’auteure a le souci de transmettre, de sa position d’analyste, avec l’élaboration théorique rigoureuse que cela suppose, des mots qui peuvent être entendus en institution par des professionnels qui exercent d’autres métiers.

Nous sommes ici bien loin du « Discours du Maître », dans une position analytique éthiquement construite ou paroles et silences s’ajustent lorsque l’analyste prend le risque de se faire entendre. Ici pas de postures convenues, de murs de silence systématisés que certains analysants, en fuite pour diverses raisons d’une précédente expérience, évoquent parfois ensuite par un « ah bon vous vous parlez ? ».

Michèle Faivre-Jussiaux ne dit rien de Sa salle d’attente, on comprend simplement qu’elle est habitée. De fait chaque analyste marque de son style sa façon de recevoir l’intime de l’autre dans l’aménagement de cet espace ; cet entre-deux si singulier.

Je ferai le lien pour conclure, avec la passion de Freud pour les objets antiques, objets de valeur, fragiles, qu’il donnait à voir autant dans sa salle d’attente que dans son cabinet.

Objets offerts à l’imaginaire des patients et qui ont en même temps alimenté et peut être parfois auguré toute sa foisonnante élaboration théorique.3

Objets qui ont accompagné patients et analyste.

Michèle Faivre- Jussiau par son écrit, ne témoigne pas, ne théorise pas, c’est un juste dit.

Etienne Rabouin

  • 1.

    Payot et Rivage

  • 2.

    Eres

  • 3.

    Voir a ce sujet l’exposition au musée Rodin et l’ouvrage édité par le musé « Rodin Freud, La passion à l’œuvre »

Comments (1)

Livre magnifique, pudique et sensible, dont l'écriture précise et poétique le rend accessible à tous publics ! Une vraie pédagogie de la psychanalyse, qui joue sur l'imaginaire du lecteur autant que sur un très subtil savoir : à lire et soutenir sans modération !