Sherlock Holmes

Deux « romans » écrits par des collègues : une autre façon de parler de la psychanalyse ;

 

Les romans psychanalytiques ne sont pas toujours des réussites. J’ai souvenir d’un roman de Georges Groddeck que ma lecture approfondie de cet auteur m’avait amené à lire. Hélas, le résultat n’était guère probant. Plus récemment un polar de Jean-Pierre Gatégno qui avait d’ailleurs été porté à l’écran « Mortel transfert » s’était révélé plus intéressant.

Deux psychanalystes qui ont collaboré au « Groupe de lecture pour le prix », soit il y a longtemps, soit encore récemment se sont lancés dans l’aventure. Voici donc ces deux ouvrages présentés par leur auteur ou par leurs proches. L’un , celui de Catherine Grangeard et Daphnée Leportois nous parle des questions autour de l’obésité et de ce que l’on appelle la chirurgie bariatrique, geste  précédé dans la plupart des procédures par une rencontre avec un « psy », l’autre celui de Pierre-Georges Despierre nous conduit dans le entrelacs d’une cure et de l’enquête policière qui l’accompagne. Bonne lecture.

LLV

 

La femme qui voit de l'autre côté du miroir
La femme qui voit de l'autre côté du miroir
 
Lucie fête ses 35 ans en famille. Comme d'habitude, sa mère n'a pas prévu de gâteau : le poids de Lucie la range, selon les médecins, dans la catégorie des obésités modérées. Lucie a trente kilos en trop. Trente kilos dont ni le sport ni les régimes ne sont jamais venus à bout... Quand elle fait le bilan de ses efforts, Lucie se dit qu'elle a le choix entre : 1. Avoir faim non-stop tout en faisant du sport à outrance. 2. Continuer de grossir et mourir d'un infarctus trop jeune.

À la table familiale, elle fait une déclaration tranchante : pour son anniversaire, elle va s'offrir une chirurgie bariatrique. Avant l'opération, le protocole prévoit un rendez-vous avec une psy. Pour Lucie, il s'agit surtout d'obtenir que la psychanalyste signe en bas du formulaire et autorise l'intervention. Mais cette première rencontre s'ouvre sur d'autres entretiens au cours desquels Lucie interrogera son rapport à son corps, à l'autre et au monde. Lucie optera-t-elle finalement pour la chirurgie ou trouvera-t-elle une autre voie pour se sentir bien dans sa peau ?

Daphnée Leportois est journaliste. Elle collabore notamment aux sites Slate, BuzzFeed et L'Express Styles. Ses articles portent particulièrement sur les questions du corps et des tabous. Psychanalyste,
Catherine Grangeard s'est spécialisée dans l'accompagnement des personnes en surpoids. Intervenant au sein d'équipes médicales en chirurgie de l'obésité, elle est l'auteure de plusieurs livres et de nombreuses publications et contributions où elle dénonce sans relâche le diktat des apparences
 
Chat ! Meurtre et enquête sous psychanalyse

Pierre-Georges Despierre : « Chat ! – Meurtre et enquête sous psychanalyse » L’Harmattan - Coll. Rue des écoles / Littérature – 108 p. 13 €

 

Un notaire bohème, névrosé et pantouflard découvre l’infidélité de sa femme et quelques jours plus tard la mort de l’amant de celle-ci, son rival, en regardant la télévision. Trouble et dépression. Déboussolé, il entame une psychanalyse, participe à l’enquête, se métamorphose en Sherlock Holmes. Séances après séances apparaissent des symptômes tant psychiques que somatiques. Il ne lâche pas pour autant l’enquête. Son analyse va l’aider à y voir clair. Petit à petit, l’idée d’un meurtre se précise. A première vue, un labyrinthe dont on ne connaît pas la sortie.

Outre le sentier des séances avec l’analyste, les rêves, les peurs, on côtoie la petite vie d’un petit immeuble parisien où chacun a ses manies, les petites histoires du quotidien, le ravalement de la façade, le petit monde de l’échafaudage, entre la vaisselle, les soirées télé, les potins du voisinage, le marivaudage des relations conjugales et des obsessions amoureuses. Quelques accents kafkaiens, ce n’est pas non plus pour rien que le personnage principal est notaire, celui qui enregistre les évènements de la vie et qui les met en archive.

L’intrigue de ce roman a ceci de particulier que sa trame interagit avec la fréquentation d’un psychanalyste. Qu’est ce qui pousse, au sein de cette intrigue, le personnage principal à entreprendre une analyse et à traverser les couches de sa psyché ? Voici un polar dont le levier principal est la psychanalyse. On découvrira au fil des pages que le processus analytique a des parfums d’enquête policière. C’est la raison principale qui a poussé l’auteur, analyste, à écrire ce roman. Une manière inédite de faire connaître l’art freudien par un biais différent des canaux habituels.

Une cure analytique peut être la traversée d'un « cas » sans être forcément un cas psychopathologique. On se rend compte ici que la psychanalyse s’apparente au travail d’un détective. Ce n’est pas pour rien que Lacan a écrit sur la lettre volée et sur le vol de la lettre. On s’aperçoit aussi que les théories ne sont pas des vérités immuables et que les métaphores sont aussi un moyen de donner vie à la théorie. Un peu comme le titre de la chanson de Stromae « Papaoutai », un condensé de psychanalyse.

A travers ces pages qui ne sont pas nombreuses, une démarche originale, sorte de polar-thérapie à la marge du ron-ron de l’establishement de la discipline. La boite à outil de la psychanalyse permettant ce genre de récréation créative. Un jour où l’autre les analystes finissent par faire autre chose que de la psychanalyse. Ce livre a la propriété d’être un cas clinique déguisé en roman policier pour faire comprendre à un public pas forcément averti ce que c’est que la psychanalyse. Il ne vous gâchera pas vos vacances.

 

Pierre-Georges Despierre est écrivain, psychanalyste, attaché d’enseignement à la faculté de médecine de Paris XII, photographe spécialisé dans les espèces en voie de disparition.

 

Anne Djamdjian

23.06.2018