C’est un cliché maintes fois dénoncé et qui pourtant a la vie dure, celui de l’analyste cantonné dans une clientèle bourgeoise et fortunée, qui se tient à l’écart du monde. Le dernier avatar de ce poncif se retrouve dans le Freud vu avec les lunettes de Michel Onfray avec, soi-disant, ses consultations à 450 euros la séance ! Il y a des analystes qui travaillent dans les beaux quartiers (leurs tarifs ne sont pourtant pas ceux prêtés indûment à Freud). Il en existe en effet comme il y a des avocats, des médecins ou d’autres professions libérales. Mais depuis déjà des lustres et tout particulièrement en France depuis les années 70, les psychanalystes se sont répandus dans tous les coins de France et travaillent non seulement en cabinet, mais aussi et surtout au sein des lieux de consultations publiques Centres Médicaux Psychologiques (CMP) pour les adultes et des Centres Médicaux Psycho-Pédagogiques (CMPP) pour les enfants.

Les personnes qui fréquentent ces consultations appartiennent principalement à la classe moyenne, mais cette composition sociologique varie en fonction du lieu d’implantation. Les psychanalystes s’adressent donc aussi aux personnes venant des classes dites défavorisées. On en rencontre dans les prisons, au sein d’associations recevant des SDF, à l’écoute des femmes battues, auprès de certains organismes sociaux etc. Ces psychanalystes se considèrent eux-mêmes souvent comme des clandestins de la psychanalyse. Les organismes qui les emploient, notamment les DASS, le faisant au titre de leur formation universitaire, ils sont habituellement désignés sous le vocable de « psychologues ». Ils n’en sont pas moins des psychanalystes par leur formation, leurs références théoriques et aussi et surtout de par leur pratique d’écoute de la parole de ceux qui s’adressent à eux. Ils ont été eux-mêmes des analysants, ils ont été ou sont encore en contrôle, c’est-à-dire qu’ils parlent de leur travail à un autre psychanalyste et ils participent à ce qui fait le quotidien du psychanalyste en sus de la clinique : lecture, écriture, séminaire, journées, colloques etc.

Les situations auxquelles ils sont confrontés sont parfois très éloignées de ce que l’on trouve habituellement décrit dans la littérature psychanalytique. À ce titre déjà, le livre de José Morel-Cinq Mars fait exception et il est donc particulièrement bienvenu. Car, ces psychanalystes, contrairement aux autres, s’expriment rarement. Ils ont pourtant beaucoup à nous apprendre. Il faut dire que José Morel-Cinq Mars a choisi ce qui peut nous apparaître comme relevant d’une situation extrême. Son travail : aller voir les familles du 93 qui viennent de perdre un enfant et les accueillir et les écouter au sein de sa consultation située dans une PMI (centre de Protection Maternelle et Infantile) Elle n’est pas la seule à être confrontée dans ce métier à une situation particulièrement difficile à assumer. S’affronter quotidiennement aux malades atteints de cancer, aux enfants autistes ou psychotiques, travailler auprès des prisonniers n’est pas non plus une sinécure.

Il faut certes du courage pour affronter jour après jour la mort et la misère sociale. José Morel-Cinq Mars ne nous décrit pas un paysage enchanteur loin de là. Même si elle raconte l’exceptionnelle richesse humaine et clinique qu’elle rencontre au travers d’un concentré du monde à la fois passionnant et déroutant, un monde de toutes les couleurs, de toutes les langues, un monde de l’espoir et du désespoir, la misère reste la misère, la tragédie de la mort d’un enfant, un temps insupportable de la vie. Mais son écriture transcende ces difficultés et nous fait éprouver et partager son cheminement et ses interrogations cliniques. Elle dit aussi la solidarité d’une équipe sans laquelle rien ne serait possible, l’émotion de l’enfant que l’on a entendu et qui fait un pas vers vous, de la mère qui s’est confiée, de l’angoisse aussi devant ce gamin qu’il faudrait soigner, que l’on sait en danger d’une psychose qui le guette mais où le travail sans filet montre sa limite. Qui viendra épauler ces aventuriers d’un nouveau genre ?

Car l’aventure c’est de ne pouvoir, hélas, souvent compter que sur soi, et sur les quelques autres qui se sont risqués à vous accompagner. Il faut faire face seul, à la résignation, à l’administration, au manque de moyens. Il faut chaque fois franchir la porte qui sépare d’une famille que l’on ne connaît pas et que le drame de la mort d’un enfant vient de frapper. Heureusement, l’humour est très présent dans l’écriture de José Morel-Cinq Mars et le livre terminé on n’a pas seulement envie de dire « chapeau » mais aussi et surtout de passer le livre, comme ça, à ses amis, ses collègues. Tiens tu devrais lire ça, c’est vraiment bien tu verras…