Fonctions logiques et inconscientes

C’est l’un des choix fréquent et original de G. Pommier : se saisir d’un objet qui semble « évident » et coutumier, voire banal, mais dont il va tirer le suc étonnant, symptomatique. Ainsi nous avait-il interpellés précédemment sur le paradoxe des neurosciences qui confirment la psychanalyse, ou plus récemment à propos de la signification de l’acte de « faire l’amour ». Dans ce dernier ouvrage sur le  nom propre , c’est dans l’étude d’un tel objet « culturel », en apparence non  psychopathologique , qu’à nouveau la recherche de G. Pommier surprend et intéresse. La complexité de l’opération de nomination est dépliée par l’auteur dans ce riche travail pluridisciplinaire: philosophie, anthropologie, linguistique, histoire, arts, psychanalyse, psychiatrie, sociologie, voire politique, etc., se donnent ici la réplique, sur ce thème du « nom propre », que chacun et chacune, en effet, « porte », sans trop y prêter attention. Sauf peut-être à faire une analyse, et à pouvoir parler et penser l’inscription singulière de son  nom propre, qui nous porte autant que nous le portons, et qui est d’abord, selon l’auteur, un pare-excitation.

 Vais-je être « Cap’ » de faire un commentaire du dernier fruit  littéraire  de G. Pommier ?  : le ressort comique de tels jeux de mots repose sur la mise en relief de la différence  nom propre/  nom commun à travers la destitution même du nom propre.... Il est notable que l’humour involontaire de nos noms propres, ou le dévoilement leurs étymologies peuvent être des outils précieux dans la cure. Ils semblent parfois désigner ironiquement la clef  de certains de nos traits névrotiques, mais le travail d’analyse permet précisément une mise à distance par rapport à cette imaginaire prédiction du nom. Interroger son nom nous fait donc travailler sur l’identification, et ce qui nous rattache au passé, à la langue, à la culture.

Surnom, prénom, patronyme, pseudos, amnésie du nom propre, et tant d’autres avatars du nom sont ici abordés dans sept chapitres. Le texte tend à faire entendre comment l’être humain aurait une responsabilité subjective vis-à-vis de son propre nom : il ne suffit pas que nous soyons  nommés (passivement) par nos parents, encore faudra-t-il ensuite  « prendre  ce nom » pour qu’émerge du  sujet.

Les livres ont en commun avec les trains de pouvoir en cacher un autre : il apparait à la lecture que celui-ci nomme abondamment et sous ses mille facettes le « fantasme parricide ». Plus largement, l’ouvrage met sur le métier à la fois la thématique des conditions de la nomination (donc de subjectivation) de l’enfant, et en même temps celle de l’émancipation (ou non) du sujet vis-à-vis des déterminismes familiaux et sociaux. S’il est impératif que les figures tutélaires aient nommé le sujet, cela ne règle pas la question de la possibilité future pour le sujet de « prendre son nom » pour parvenir vraiment à faire sa vie. Gérard Pommier décrit donc la scène œdipienne, saisie entre berceau et cercueil, où insiste la figure à la fois terrifiante et désirée du père, et comment les sujets, masculins, féminins, enfants, adultes, se débrouillent différemment pour « y faire avec ». Ainsi mes élèves, qui sont à l’âge adolescent où il y a à « accoucher de soi-même », demandent très souvent à « écrire leur blaze » en cours d’art plastiques. Ils souhaitent parfois plusieurs fois durant une année scolaire dessiner leur prénom ou surnom dans un style singulier, que ce soit une illustration onirique ou décorative ou celui évoquant les tags et graffs des murs de banlieues. Cette expérience graphique leur permettrait-elle de sublimer le « fantasme parricide », en réinventant leur nom via l’appartenance à un style visuel, à un groupe générationnel social et culturel ?.

Ce  « tour du monde du nom propre »  proposé par G. Pommier nous apprend des choses tout à fait étonnantes sur le rapport au nom dans différentes époques, cultures, ou religions. Si le livre approfondit la question œdipienne et la complexité de la question paternelle, il est aussi un éclairage indirect au sujet de questions sociales et éthiques : les progrès de la science en matière de procréation ou le racisme. Le silence sur le nom est parfois institué par l’Etat lui-même, à travers les lois. Par exemple, si certains sujets ne parviennent pas « prendre leur nom » comme le décrit l’auteur, à l’inverse d’autres ignorent celui de leurs géniteurs : c’est le silence sur le nom des géniteurs (PMA), de même que l’accouchement sous X. Quelle conséquence cela peut-il avoir sur la construction subjective ? Dans un autre ordre d’idée, il faut citer les travaux de la psychanalyste Céline Masson, qui ont contribué à mettre en lumière les difficultés constantes que rencontrent en France encore aujourd’hui nombreuses familles juives pour récupérer administrativement leurs noms d’origine1. Enfin, je pensais aussi aux discriminations à l’embauche dues au nom, dont nombre de jeunes issus de l’immigration sont aujourd’hui victimes. D’une façon plus générale, cet éclairage pluridisciplinaire de G. Pommier, nous permet de mieux comprendre comment dans les manifestations de racisme, la haine tente de figer (et tuer) l’autre dans son lien à son nom, donc à son « père mort » (ses origines, etc..).

Cependant, comme dans de nombreux livres de psychanalyse, la subjectivité de l’auteur n’y apparait pas assez. On aurait notamment aimé savoir comment et pourquoi lui est venu son intérêt pour l’objet « nom propre »… Plus généralement, on peut regretter que nombreux psychanalystes, forts d’un savoir et d’une érudition estimables et précieux, fassent disparaître la raison sensible et profonde de leur intérêt pour un objet de recherche. Par ailleurs, malgré la foison d’exemples, G. Pommier en mentionne finalement peu qui soient clairement issus de sa propre clinique d’analyste. Il manque alors à l‘écrit un peu de ce « sel subjectif », ce goût si précieux dans tout acte de transmission, sous-tendu par le transfert. Une implication plus subjective ne rendrait-il pas le « transfert de savoir » plus opérant et mémorisable ?.

Il en est ainsi de ce dernier livre de Gérard Pommier : il nous apprend maintes choses, il est écrit de façon alerte et parfois drôle, mais il lui manque parfois un soupçon d’une parole à la fois moins savante, et plus sensible et personnelle.

Nathalie Cappe,

  • 1.

    Noms changés durant les persécutions et traques de 39-45 : cf l’excellent ouvrage « Rendez-nous nos noms !», écrit par Céline Masson et Natalie Felzenszwalbe, chez Desclée de Brower-2012.

Comments (1)

Merci Jacqueline pour ce mot enthousiaste,

oui, moi également j'ai trouvé que "Jimmy P" est un film superbe, servi par des acteurs formidables, où l'on voit entre autre que le travail analytique sur le nom peut contribuer à une renaissance psychique, et un dépassement du traumatisme.
Le nom phallicise le sujet, c'est ce que nous fait aussi entendre ce livre dense et généreux de G. Pommier.
Quand nous, les profs, faisons l'appel dans les groupes-classes, certains élèves n'ont jamais ce réflexe phallique et social qui consiste à lever la main pour se signaler présents. Au risque d'être inscrits "absent"...C'est un petit fait clinique silencieux, en apparence anodin, qui passe inaperçu, mais qui mériterait sans doute plus d'attention au regard de ce que nous apprend cet ouvrage.
Bien à vous, bonne lecture.