Les contributions critiques présentées dans le cadre du « Prix oedipe des libraires » proviennent soit de membres du groupe de lecture, soit de contributions extérieures. Dans ce dernier cas nous le précisons.

 

La Passe de Lacan

Francis Hofstein

Editions du Félin, 2017. Coll. les marches du temps

 

 

 

 

La quatrième de couverture donne seulement un aperçu de ce livre d'érudition et de sensibilité. L'auteur n'est pas que médecin et psychanalyste, mais un artiste confirmé, entre autres jazz-man, écrivain et journaliste musical. Ce livre s'appelle "La passe de Lacan", peut-être pour témoigner que celles pratiquées aujourd'hui ne méritent peut-être pas ce nom. L'auteur approche ici cette expérience au travers de beaucoup d'aspects qui font chacun l'objet d'un chapitre au nom unique, quelquefois inattendu : Témoigner, Camps, Religion, Pouvoir, Ségrégation, Echec, Fin... Le ton est très libre, chaque mot est pesé, et fait rare de nos jours, il n'y a pas de gras. On peut dire sans dévoiler la totalité de l'ouvrage, qu'il émet de sérieux doutes sur cette expérience, même s'il ne partage pas l'avis catégorique de Lacan sur l'échec de son invention. Débattre n'équivaut pas forcément à rejet ou scission.

Il identifie la passe, passage où le passant qui semble être à nu par action défensive par rapport à son narcissisme. Lacan mort, la passe ne lui est plus adressée, c'est devenue une procédure qui n'a plus de sens, confrontation à un impossible, expression d'une puissance. À l'époque de Lacan, "Nous étions ses passeurs, et le jury qui ne cessait de le nommer, le renommer, chargé d'assurer le progrès de la psychanalyse". De ce fait "Il rompt avec les standards affinés de la pratique didactique" (SPP).

 " C'est moi-même et ma pratique sans les analyses que je vous mets en position de juger". Disait Lacan.

Les échecs et les drames de certains, seraient-ils nommés par le jury ayant une analyse personnelle inachevée ? Il y eut des suicides, dit-on.

Ici, témoigner, c'est écrire un rêve, écrire pour témoigner d'un évènement, drame ou supplément vécu: écrire c'est ça. Il rappelle la phrase de Primo Levi, "Nous les survivants ne sommes pas les vrais témoins".

Lacan disait qu'il n'y a aucune commune mesure entre témoigner sur l'holocauste et la psychanalyse dans la passe; car au cœur de la passe il y a le déchet, le dés-être, un objet (a) qui n'a rien de commun avec l'offrande aux dieux obscurs. Ainsi la passe qui devient la mise en commun du délire d'une institution, est un échec.

Parallèle avec le viol ? Il est est un moyen de soumission. Dans les guerres civiles, le viol, en Afrique ou avec Daech au Proche-Orient, il est un outil d'avilissement, on détruit ainsi la lignée que l'on soumet à la fois, c'est une mise en esclavage car le viol exclut l'amour, seul subsiste éventuellement le désir et un attachement sensuel du maitre pour l'esclave. Le type de viol au Rwanda fut encore plus terrible car les porteurs de sida violaient pour détruire la femme, cette mère de l'ethnie à génocider, autre façon perverse de la tuer à petit feu, pire qu'un coup de sabre lui tranchant la tête.

Dans cet ouvrage, tout commence par "La passe de Lacan" puis diverge vers la mémoire des camps, cet indicible à dire. Rattachement du désêtre de la passe à l'expérience du déporté, moment fort, presque insoutenable allusion à L'homme jetable de B. Ogilvie.

Le chapitre sur la pureté est le plus significatif de la passe et de la psychanalyse, qui, dit-il "est un métier profane dans une société laïque et qui n'est possible que dans un état démocratique".

Avec ironie et justesse, il constate que "ce sont toujours les autres associations dont les critères ne sont pas recevables, et dont les psychanalystes sont mal formés".

Si selon Levi-Strauss, il y a une perte à uniformiser les cultures et les sujets, il est d'une nécessité de rétablir la diversification, mais il faut aussi "se débarrasser des diversités mortes, résidus sans valeur de modes de collaboration/.../qui constituent un risque permanent d'infection pour le corps international" (Séminaire XVII, p 132).

Dans la société, tout ce qui reste est fondé sur la ségrégation quoiqu'au premiers temps, ce fut la fraternité. Très spinoziste dans ses exposés sur le martyr des exclus, l'auteur n'hésite pas à utiliser des cas métaphoriques pour démontrer ce que Lacan dût endurer lors et suite à son exclusion.

Il décrypte la passe au singulier dans sa procédure avec le passant, passeurs et jury, où il y voit le viol, l'impossible à dire et encore moins à transmettre de la sexualité, qui de fait en est absente. Transmission à une idéologie, une bien-pensance qui lui rappelle celle des universités d'Union-Soviétique, dans la transmission à un jury reposant sur le fait que tout repose sur une même théorie qu'ils partagent sans que soit possible un jugement neutre et objectif. Tout ça, dans le but d'assurer le progrès de l'analyse didactique et constituer un corps de psychanalystes prêts à augmenter surtout la cohérence des thèses qui régulent leur travail : intégrant un AE, dont le corps serait le passage d'un "Je" à un "Nous", car dès sa nomination, l'AE y perd son nom.

Cet ouvrage d'une grande culture dépasse de loin le sujet plus modeste mais central chez certains analystes, aujourd'hui banalisé, de la passe, celle qui s'est posée à Lacan, mais énumère surtout une grande partie de tous les passages que l'humain doit passer, traverser au cours de sa vie. Heureusement, l'expérience de la psychanalyse n'est pas prête de tomber en poussière, contrairement à ce qui s'est élaboré de factice autour de Lacan depuis la dissolution-dispersion

P-G. Despierre - Aout 2017 ( n’est pas membre du groupe de lecture)