La haine en psychanalyse.Donald Winnicott, Masud Kahn, et leur triste histoire
Donald Winnicott, Masud Kahn, et leur triste histoire

Winnicott, Masud Kahn et compagnie

Luiz Eduardo Prado de Oliveira

La haine en psychanalyse

Donald Winnicott, Masud Kahn, et leur triste histoire

Editions Liber

Brett Kahr biographie de Winnicott

Donald Winnicott. Une esquisse biographique »

Brett Kahr 

Editions Ithaque

 

 

 

Dans les années soixante-dix, ceux, qui, comme moi, commençaient a se former a la psychanalyse, se souciaient comme d’une guigne de la biographie des grands ancêtres. Pour la simple raison qu’elles n’étaient pas disponibles, du moins en français. Les seules dont nous disposions, outre celle de Marthe Robert[1] était celle hagiographique établie par Jones[2] et concernait le seul Sigmund Freud même si évidemment au décours de celle-ci les Viennois et les autres y étaient présents. Et d’ailleurs les textes de Freud, nous les lisions dans le désordre, celui de leur parution. L’interprétation des rêves  n’était pas accessible à tous, car dans sa traduction historique elle figurait dans une édition de luxe, donc pas pour toutes les bourses.

 

Aujourd’hui les choses ont bien changé. Nous disposons de multiples traductions, nous pouvons lire les œuvres de Freud et des autres en suivant l’ordre chronologique de leur édition originale, nous disposons en outre des correspondances ainsi que de nombre de biographies. Pour une part celles-ci sont d’ailleurs le fait d’opposants à la psychanalyse qui ne se gênent pas pour fouiller dans les poubelles. Sont nées de ces travaux les fameuses Freud Wars[3] qui cherchent, en faisant du juif un peu coincé un pervers. On se demande pourtant ce qui changerait de la théorie des névroses si ce dernier avait effectivement couché avec sa belle-sœur.

 

Dans les publications récentes il est intéressant de lire simultanément, comme les vacances nous le permettent, les ouvrages d’Eduardo Prado de Oliveira : «  La haine en psychanalyse. Donald Winnicott, Masud Kahn et leur triste histoire », et la traduction française de la biographie de Winnicott par Brett Kahr : « Donald Winnicott. Une esquisse biographique » et de relire à cette occasion l’article de Winnicott : La haine dans le contre-transfert, texte auquel Prado de Oliveira fait une fréquente référence[4]. On soulignera à quel point d’ailleurs un tel exercice fort instructif nous était auparavant tout à fait impossible.

 

Au cours de ces différentes lectures il me venait à l’esprit à quel point être « célèbre » expose à ce que sa vie soit passée au crible comme s’y emploie Brett Kahr, (et d’une façon différente Prado) avec la minutie d’un Sherlock Holmes.

 

Brett Kahr est une sorte de célébrité en Angleterre et son côté « people » confère à son livre un aspect assez comique qui fait souvent penser aux sketches des Inconnus (« mais ceci ne nous regarde pas ») ou en forme de mémoire en trou de serrure comme aurait dit Raymond Devos

 

Évidemment, certaines zones d’ombre viennent au jour qui ne sont guère flatteuses mais ne faut-il pas quand même se demander si ce genre de déconvenue ne se produirait pas avec n’importe lequel d’entre nous ?

 

Tout de même, on saute en l’air en suivant les liens établis entre Winnicott et son patient et néanmoins collaborateur Masud Kahn. Dans son livre Prado nous rapporte qu’au cours des premières séances avec Winnicott ce dernier enjoignit Kahn de se faire opérer d’une oreille, car l’une des deux était plus grande que l’autre ! On a le sentiment qu’au moins l’un des deux était sérieusement à l’ouest.

 

La biographie de Kahr ne traite que de sa vie et non de l’œuvre de Winnicott. Si pour l’essentiel elle est élogieuse, on y rencontre cependant quelques piques particulièrement savoureuses. Exemple : « il était mince, avec la tête quelque, peu disproportionnée ce qui lui aurait donné un air de ressemblance avec un « nain de jardin » »

 

Ou : " Nous soupçonnons (qu’inviter des patients extrêmement perturbés à venir chez lui faisait partie des moyens inconscients d’irriter et d’accabler sa femme”. (ce qui n’est évidemment que pure conjecture)

 

Le début de la carrière professionnelle de Winnicott se déroule dans un moment particulièrement éprouvant. Sur le plan historique d’abord celui de la Deuxième Guerre mondiale et de la venue en Angleterre des juifs réfugiés en particulier en provenance d’Allemagne. S’y ajoute celle de deux figures majeures de la psychanalyse Anna Freud et Melanie Klein, la première tenante des effets de l’environnement la seconde de la primauté du monde intérieur de l’enfant. Il s’en suivra une guerre sans merci entre les tenants des deux camps troublant en profondeur les psychanalystes anglais déjà passablement malmenés.

 

Qui dit guerre, dit sentiments de haine et c’est donc en prenant appui sur une autre figure tout à fait essentielle du mouvement psychanalytique et injustement oubliée, Masud Kahn, que Prado de Oliveira nous invite à examiner de plus près ce que fut sa relation avec Winnicott, relation dans laquelle la haine fut souvent présente, et qui devait se conclure aux dépens du seul Masud Kahn.

 

L’hypothèse de Prado est que cette haine inanalysée entre un analyste et son patient loin d’être un cas isolé, serait à l’origine de bien des conflits à l’intérieur même des institutions analytiques.

 

Paradoxalement, c’est Winnicott qui le premier, a introduit le débat en publiant l’ article intitulé : la haine dans le contre-transfert. Dans ce texte Winnicott met en question en particulier le sacro-saint dogme des sentiments uniquement positifs que la mère entretiendrait avec son enfant de même que ceux supposes constamment bienveillants éprouvés par l’analyste vis-à-vis de son patient. Pourtant le livre de Prado montre bien à quel point Winnicott dans sa cure avec Masud Kahn était lui-même dans une situation dans laquelle la haine était bien présente et pas forcément analysée.

 

Prado ne fait pas l’impasse sur les dérives de Masud Kahn qui à la fin de sa vie tiendra des propos antisémites qui lui vaudront, après une enquête de la Société Psychanalytique  au cours de laquelle chacun, y compris au sein même de la Société en prendra pour son grade, son exclusion de la société britannique de psychanalyse. Il souligne cependant à quel point les liens entre lui et son analyste furent on ne peu plus étranges. Ainsi resituée dans son contexte l’image de saint Winnicott et du diable Masud s’en trouve assez profondément remise en question.

 

Masud Kahn a souvent été présenté en effet comme un psychanalyste particulièrement excentrique pour ne pas dire plus. Prado, quant à lui, en donne un portrait tout en nuance et souligne les apports importants qu’il a pu fournir à notre réflexion. En lien avec son ami Victor Smirnoff, il publiera notamment de nombreux articles dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse et participera de cette façon au renouveau de la pensée psychanalytique en France en particulier.

 

Privé de reconnaissance quant au travail considérable qu’il effectua au service de Winnicott en rendant sa lecture accessible, Kahn eut a subir et le contre-transfert négatif de son analyste et la haine de la bonne société anglaise peu à même de seulement entrevoir la complexité des problèmes qu’il devait affronter et des mensonges et autres affabulations qui ont émaillé sa vie.

 

Prado écrit: « Il aurait suffi d’entendre chaque affirmation de Khan en Angleterre comme le négatif de sa situation au Penjab, il aurai suffi de saisir l’écho dans ses mensonges de la honte envers ceux qu’il avait quittés et alors aucune sévérité méprisante, raciste aussi, ne serait plus de mise »

 

Certains propos tenus à l’époque du deuxième conflit mondial par des psychanalystes (comme j’ai pu moi-même en rendre compte) comme Georges Groddeck ou des philosophes comme Heidegger ont conduit à mettre leur œuvre à l’index. Il semble pourtant plus intéressant, sans faire preuve de faiblesse, de prendre le recul nécessaire et de ne pas se priver de ce que leur travail peut nous apporter. Comme toujours, ceux qui s’approchent d’une certaine vérité côtoient des précipices et la roche Tarpeienne est alors bien proche du Capitole.[5]

 

Laurent Le Vaguerèse

 

 

 

 

[1] Marthe Robert : « La révolution psychanalytique La Vie et l’œuvre de Freud » TEL Gallimard

[2] Ernest Jones : «  La vie et l’œuvre de Sigmund Freud » PUF

[3] Voir l’ouvrage de Samuel Lézé « Freud Wars » PUF et l’interview sur oedipe par Thierry de Rochegonde :http://www.oedipe.org/videos/liste

[4] D.W.Winnicott : « De la pédiatrie à la psychanalyse » Sciences de l’homme Payot . Traduction Jeannine Kalmanovitch pp. 72-82

[5] le livre de Brett Kahr étant une traduction ne peut participer au vote pour le prix oedipe des libraires 2019. Par ailleurs E.Prado de Oliveira collabore régulièrement au site oedipe.