Comme un avion de Denis Podalydès

comme un avion

Autres critiques de l'auteur

Nicolas de Staël

EXPOSITION NICOLAS DE STAEL Beaubourg, jusqu'au 30 juin 2003. Je connaissais comme beaucoup Nicolas de Staël et je trouvais, bien sûr, sa peinture "très belle", ayant vu cependant bien peu d...

Lire la suite

Enfin pris

Affiche du film

Pierre Carles: La parole à l'image. Le film de Pierre Carles, Enfin Pris? est à saluer comme un véritable événement.Non tant par ce qu'il dit sur la télévision et les journalistes, apportant une pièce au dossier sans peut-être...

Lire la suite

Être et avoir

Affiche du film Être et avoir

Dans La Quinzaine Littéraire,  Louis Seguin intitule son article, à propos du film Etre et Avoir de Nicolas Philibert : "Un paradis perdu". Or, que donne à voir le film de Nicolas Philibert et appellerons-nous cela « paradis perdu...

Lire la suite

Pages

Récréation : Comme un avion

Pour une fois, tentons un texte bref, léger, pour un film qui nous mène en canoë, sans pesanteur.

Le film de Bruno Podalydès est une comédie charmante, pleine d’un humour burlesque, à la Charlie Chaplin, de jeux de mots, situations étranges, regards keatoniens et personnages surréalistes dont on ne sait trop ce qu’ils font mais qui créent, avec quelques coups de pinceau, un univers poétique et claudiquant, tout bleu, pour échapper à la norme et à l’ennui.

Le propos du film tient dans un prologue où l’on s’inquiète de savoir ce qu’est un « palindrome ». L’équipe au travail s’interrompt pour interroger tablettes et téléphones. Et chacun de trouver la réponse sur wikipédia, devenant soudain très savant : c’est un mot qui se lit dans les deux sens à l’instar de « rêver ». Perec, qui aimait les jeux de mots, anagrammes, contrepèteries et palindromes avait conçu la phrase :

« Tulastropecrasecesarceportsalut ».

Bientôt, on quitte les écrans et le savoir tout fait de wikipédia pour explorer en vrai, un palindrome. Il suffit d’un clic et le « panier » se remplit, le mot devient réalité et l’objet vu sur internet, rêvé, désiré, commandé dans le virtuel, arrive, grand et lourd d’une réalité à porter à dos d’homme.

Commence ainsi une ballade aléatoire grâce à l’esprit fantasque d’un travailleur de l’image (un cinéaste ?) qui n’arrive pas à finir sa « trois D », exercice qui lui incombe sans qu’on en comprenne l’intention : c’est une injonction, une tâche morne et épuisante. Ironie de l’auteur, le film n’est pas en 3D, il se contente de deux dimensions, l’espace et le temps, en y mettant beaucoup de fantaisie pour nous inviter dans sa troisième dimension qui est moins technique et visuelle que poétique et imaginaire. Les images n’ont pas besoin de beaucoup de moyens et de raffinements hollywoodiens pour nous emporter et faire décoller un kayak.

Mais il faut tout de même du « matos » pour faire un film, pour réaliser un rêve, ne serait-ce qu’une image numérique, voire pour faire un rêve : c’est ce qu’on appelle le matériel du rêve, n’est-ce pas ? Le personnage, du reste, se laisse également porter par la terre : souvent étalé, bras en croix ou en ailes, allongé, ivre d’amour, de vin, de poésie (Baudelaire), il plane, appuyé sur le réel, la matière, ou le matériel : le « matos », selon le protagoniste.

Mots et images, virtuel et réel, s’entraînent donc dans un beau mouvement, parfois fluide, parfois saccadé, comme il arrive en rivière : on se prend dans les racines et les branches, on se retrouve bloqué sur une souche ; on navigue dans les mots, on rame parfois : « je suis fatiguée de ces jeux de mots », déclare la belle veuve incarnée par Agnés Jaoui dont le corps s’orne pourtant de mots pour jouer, mots à effleurer qui appellent les caresses, cachent/dévoilent un vrai corps derrière l’image : seins et ventre, jambes à désirer malgré ou avec le poids des ans, le poids de la réalité de la vie.

Le héros du film découvre donc le mot Kayak et derrière le mot, la chose qui, de fait, s’avère un merveilleux palindrome et permet de résoudre la question : comment aller d’avant en arrière tout en avançant ou bien comment descendre le courant d’une rivière en la remontant, se laisser porter par le courant tout en restant actif ?

Le film va donc emprunter la voie de cette circulation étrange et farcesque, sur une rivière que l’on descend et remonte, poétiquement, tendrement, avec fantaisie et esprit d’invention. Bruno Podalydès explore ainsi toutes sortes de contradictions dont le titre est une indication. C’est, en effet, le début d’une chanson de Charlélie Couture qu’on entend dans le film : « comme un avion sans aile ».

L’avion sans aile, objet absurde, se réalise dans le Kayak, moyen de s’envoler sans décoller du sol, en rêvant, en buvant, en contemplant, au hasard de belles rencontres, femmes ou libellules. La chanson, à l’instar de quelques autres, n’illustre pas seulement le film, mais suggère plusieurs motifs et peut-être la présence récurrente de ces chansons indique-t-elle la nature du film, entre ritournelle et fluidité. Finalement, la répétition, les rives qui se resserrent, l’horizontalité, les limites de temps et d’espace, imposent au projet du personnage et du film, un schéma décevant. On ne va pas loin, on s’enfonce dans des impasses, on se retrouve sur le parking d’un supermarché, on est surveillé, on n’a plus qu’à revenir et si, enfin, on part, c’est pour peu de temps : les silhouettes familières de l’épouse et du patron viennent barrer la route qui, peut-être s’ouvrait enfin. Tout n’est que répétition, retour, du pêcheur, du départ, des mêmes figures imposées.

Mais en même temps, le héros et le cinéaste nous emportent loin et très haut, dans un imaginaire fantastique et simple à la fois, celui des rêves, à la portée de chacun. Le Kayak, avion sans aile (l), permet de déco-nn-er, s’envo-y-er en l’air plutôt que s’envo–l-er. À l’intérieur de l’espace réduit, grâce à un mot magique à déco-d-er, la liberté est grande, la surveillance devient bienveillante, les allers-retours transforment le mot en jeu et les personnages initiaux en gardes du corps aimables. La femme « lumineuse » incarnée par Sandrine Kiberlain suit, sur la rive, le mari qu’elle accompagne, tout en venant mettre un terme à son escapade. Le travelling/ voyage à deux, chacun sur sa ligne et ensemble, devient possible. C’est une nouvelle rencontre, un désir tout neuf.

Cela nous rappelle quelque chose : répétition, allers-retours et jeu, transformation du symptôme et symbole : fort/da.

In girum imus nocte et consumimur igni, est également un palindrome. C’est un vers de Virgile qui signifie :

Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu.

C’est également le titre d’un film de Guy Debord. Bruno Podalydès serait-il situationniste ?

Il est certain que ce vers, qu’il ne cite pas, s’accorde cependant à son film et aux incendies que provoque son héros, brûlé par le feu d’un rêve, tournant en rond dans son palindrome. Mais Bruno Podalydès nous propose une version moins tragique de la condition humaine, une manière ludique et humoristique de prendre la structure fermée du palindrome, comme dans une ronde enfantine et irrégulière où l’on pourrait s’arrêter quand on veut, et répondre à la sommation : « embrassez qui vous voulez ».

Il ne s’agit plus, de fait, de « tourner en rond », version désespérée de la répétition, mais de varier les plaisirs, aller-venir, sensuellement, dans une nuit qui fait un peu peur, mais qui est aussi excitante qu’une nuit de campement sauvage pour un adolescent. Le feu qui nous brûle s’éteint, il n’y a pas besoin d’extincteur, on est sur l’eau, ou bien la petite bouilloire noircie trouvera son utilité, dans la main d’une femme bien décidée. Ce n’est pas un feu dangereux mais il se ranime plusieurs fois, grâce à un briquet bien pratique. Le désir lui-même ne semble jamais loin de reprendre, même si le film demeure loin des passions dévorantes.

On pourrait dire, pour emprunter d’autres images du film, qu’il s’embarque dans la structure très étroite de son palindrome, l’habitacle du kayak, où le personnage et le film sont terriblement coincés, avec beaucoup de réserves, sacs et provisions, sortis comme autant de tours et munitions, et qu’il devient un merveilleux dispositif, capable de faire bouger les limites, d’explorer le réel. C’est pourquoi ce film est plein de vitalité, confiant dans la force du jeu et de la fantaisie.

Alors, tous en kayak. Non, pas en canoë, en kayak ! On se laisser aller, passivement, tout en avançant, il faut sentir le courant et se laisser porter, être lent mais persister dans le désir, décrypter bien des énigmes ou les vivre sans les comprendre. Il faut aimer les contradictions : le kayak est un cercle magique, à condition d’en sortir.

Drôle de film qui tel un poème à voir et à entendre, déploie son rébus et ses rêves ! C’est une vraie récréation ou re-création, enfantine et gaie, modeste et inventive. Dans ce paysage ludique et rêvé, réel et virtuel, les bacs vont on ne sait où, de l’autre côté, pour rien. Mais là où il n’y avait rien, maintenant, il y aura…

Comments (1)

Portrait de Le Vaguerèse Laurent

Merci à Dominique Chancé de nous avoir invité à regarder ce film rafraîchissant. Chaque moment de ce film est l'occasion d'un petit plaisir partagé. Au fil de l'eau, en douceur on entre dans l'été qui vient. On ressort du film, content, bien et même presque optimiste sur ses semblables. Un exploit en somme et oh combien le bienvenu, une sorte de contre poison contre les nouvelles du jour; à voir dès que possible.
LLV

Pages