Le labyrinthe du silence 

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A propos d’un film « Le labyrinthe du silence »

Ça fait une dizaine d’années que, entraîné par l’amitié de Michel Fennetaux j’ai participé activement au séminaire parole/génocide qu’il a animé jusqu’à sa disparition.

Mon parti pris était de m’intéresser aux victimes et aux témoins de la tentative d’extermination des juifs d’Europe par les nazis, et de ne pas m’occuper de la psychologie ni de l’histoire des bourreaux.

C'était sans compter avec « le hasard » : lors de la présentation de mon livre « Jouissances, du sein au meurtre », un ami qui s'était dérangé m'a glissé en partant un livre sous le bras : « La loi du sang, penser et agir en nazi » de Johan Chapoutot. Sa lecture a guidé mon intérêt vers les principes de fonctionnement qui sous tendaient l'entreprise Nazi et j'ai été très surpris d'apprendre que c'était un idéal quasi religieux et sacrificiel auquel la population allemande s'était raccrochée pour sortir de l'anomie des années vingt.

Götz Aly dans « Les anormaux » m’a ouvert une autre fenêtre. L’auteur relate la façon dont l’opération « mort miraculeuse » a « euthanasié » deux cent milles allemands de 1939 à 1941. Ces malades incurables, ces enfants malformés, ces marginaux, ces asociaux, ces bouches inutiles furent assassinés sur ordre de Hitler par les médecins hospitaliers et ceux exerçant en institution ou en asile ou en service de chroniques ; non pas par une sélection de médecins pervers, mais par l’ensemble des médecins dont le narcissisme s’était enflé comme grenouille, parce qu’ils étaient maintenant chargés de soigner la race allemande et non plus ces clients malades à titre individuels dont la plante est si lassante. Ils s’y sont mis volontiers, sans réticence, avec même une certaine ferveur.

Les familles de tous ces « anormaux » étaient vaguement complices ; on leur demandait s’ils accepteraient pour leur enfant, leur parent, un traitement susceptible de les améliorer, mais qui comportait un risque mortel de quatre-vingt dix pour cent. S’ils refusaient en protestant, le malade n’était pas « euthanasié », mais s’ils ne disaient pas non, la chose se réalisait très vite.

Il faut voir « Le Labyrinthe du silence » récit romancé d’un fait historique, le procès de Francfort sur le Main, parce qu’il met en scène la laborieuse sortie d’un silence trouble comme un brouillard et que ce film nous concerne tous.

A la fin des années cinquante les allemands sont encore enfermés dans un aveuglement complice : l’affaire du nazisme et de ses horreurs a déjà été jugée par les américains au procès de Nuremberg où on a pendu haut et court les plus en vue des responsables du nazisme, des camps et de la Shoa ! Alors, qu’on n’en parle plus s’il vous plait ! Cela nous donne des aigreurs d’estomac ; et puis le temps de l’oubli est arrivé.

Même les victimes, les juifs rescapés des camps, voudraient presque, à la fin, qu’on se taise : il est vrai que leurs plaintes en justice sont devenues obsolètes à force d’avoir été enterrées par système, dans le rien des classeurs et des dossiers.

Un procureur tout frais émoulu des écoles se voit confier la responsabilité de ces minuscules affaires dont personne d’autre ne veut, et à travers lui, on est effrayé du poids aliénant d’un mauvais oubli. On entend lors des premiers interrogatoires de juifs plaignants, qu’il ne sait rien d’Auschwitz : il prend encore ça pour un camp de vacances. Mais à fouiller encore et encore dans les archives, il va découvrir un pan de vérité, éblouissant de lumière noire : les horreurs du nazisme et des camps d’extermination, ce n’est pas l’affaire de quelques horribles malfrats, que les américains ont pendu à Nuremberg, mais l’affaire de six mille SS qui ont contribué au fonctionnement des camps de la mort.

On mesure avec lui à quel point personne ne veut rien savoir : il est blackboulé et moqué par tous ses collègues qui sentent que s’il continue à fouiner dans les archives, ils seront tous menacés dans leur équilibre d’aujourd’hui et qu’ils devront alors se remettre en cause à la recherche d’un nouvel équilibre, tâche à laquelle chacun de nous répugne profondément et tente de se soustraire, car nous en connaissons le coût.

Il est soutenu par un juge senior, responsable du siège, qui l’a propulsé dans l’aventure et dont on devine peu à peu qu’il sait de quoi on évite de parler. Il le sait dans sa chair car il a été un temps, pas si lointain, hôte d’un de ces camps caché dans la campagne verdoyante.

Un journaliste s’intéresse de façon sympathique au travail de ce jeune chien fou de procureur. Ils parlent ensemble et on sent que cela le soutient, mais voilà qu’à un moment il apparaît que le journaliste en sait trop. Il connaît ce qu’en principe il ne devrait pas connaître, le détail du camouflage des meurtres sous le vocable « tué lors d’une tentative d’évasion » et il doit avouer à son ami procureur qu’il a vu ça de ses propres yeux quand, mobilisé à dix-sept ans il a pour un temps été affecté, comme soldat, à la surveillance d’un camps.

Ça commence à déniaiser le procureur débutant, qui entrevoit à quel point la société allemande a participé toute entière à l’abomination de ce système meurtrier. Il est horrifié, et le chevalier blanc vacille sur son destrier ! Mais ça n’est rien encore, on lui jette à la figure qu’il ne lui convient pas de jouer les vertus outragées, car son père, qu’il vénère comme un héros, a lui aussi été encarté au parti nazi. Alors qu’il ne la ramène pas !

« Percé jusques au fond du cœur par ce coup imprévu aussi bien que mortel » il retourne à ses archives et doit bien constater que oui, son père avait appartenu à ce parti criminel !

Il rêve alors d’un procès à l’image de celui de Nuremberg, où l’on poursuivrait jusqu’à l’autre bout du monde tel ou tel responsable direct d’abominations particulières, mais son mentor de procureur en chef le pousse dans une autre direction. Son ambition est que les allemands deviennent conscients de leur responsabilité à chacun, envers cette abomination, complicité que leur silence offusqué ne fait que pérenniser. Dans les sous sols de l’histoire, leur participation au moins silencieuse à cette affaire a quand même coûté la vie à six millions des juifs d’Europe, à un nombre élevé mais indéterminé de tsiganes et de Roms, à des millions et des millions de prisonniers de guerre soviétiques exterminés tranquillement par la famine.

Il nous faut bien sûr élargir encore le débat : la folie furieuse antisémite de Hitler and C° aurait-elle été aussi efficace dans toute l’Europe sans l’antisémitisme diffus de tout l’occident chrétien ? Sûrement pas ! et cela apparaît clairement dans le plus connu des livres de Götz Aly, « Comment Hitler a acheté les allemands » Cette affaire y fait l’objet d’une enquête minutieuse.

On peut avoir en mémoire la participation active et publique des assassinats par les polonais ou les lithuaniens : leur antisémitisme filmé par des soldats allemands allait jusqu’au massacre de juifs à coup de bâtons dans la rue comme un spectacle public… mais cela ne suffit pas.

Il faut aussi avoir le courage de se demander si, en France même, la folie nazi aurait été aussi efficace sans notre aide de bons français : la rafle dite du « Vel d’hiv » a été faite par la police française, le camp de Drancy, antichambre d’Auschwitz a été gardé par nos gendarmes. Ne parlons pas du camp de Gurs… mais parlons des mésaventures du film Nuit et brouillard qui a dû être châtré avant de paraître en public. On y voyait, horresco referens, le képi d’un gendarme français ! Rendez-vous compte ! Et pourtant le réalisateur prudent avait réussi à ce que le mot juif n’y soit prononcé qu’une seule fois. (Soyons honnêtes, on peut quand même y apercevoir quelques étoiles jaunes).

La France se sentait assaillie par tous ces ösjuden qui affluaient, chassés par la terreur des russes et des allemands, comme font aujourd’hui les migrants venus de l’autre côté de la Méditerranée chassés par la faim et la mort.

Ils nous gênaient, nous bons français de France. Leur misère même était gênante. Ils gênaient même un peu, ai-je lu, les juifs établis en France depuis plusieurs générations.

Et puis, c’est un détail minuscule, mais sur le trottoir qui faisait face au commerce de nos parents, habitait un couple, femme auvergnate et mari juif. Dans notre province normande très catholique, où les juifs étaient plutôt rares, il s’est trouvé quelqu’un pour les dénoncer. Et il n’est pas revenu des camps…

La spoliation des biens juifs par les allemands a été très efficace dans presque tous les territoires occupés avec l’aide des structures nationales qui en étaient les bénéficiaires directs, au moins en apparence.

En Belgique, il ne s’est pas trouvé d’acquéreur pour les biens juifs volés, les notaires n’en ont pas assuré la vente, et les commissaires priseurs se sont désistés pour les ventes aux enchères etc… Il en est résulté que la spoliation des juifs a été beaucoup plus difficile à organiser et a rapporté beaucoup moins d’argent qu’ailleurs.L’implication de l’Etat occupé était soigneusement pensée : les taxes d’occupation allemandes ruinant les états occupés, leur monnaie risquait de s’effondrer, ce qui leur faisait peur et n’aurait pas non plus arrangé les affaires de l’occupant. A ce moment critique de vacillation de la monnaie, la confiscation des biens juifs était proposée par l’occupant, et avec quelle générosité ! C’est la nation occupée qui allait organiser l’affaire et en tirer le bénéfice. Cet argent arriverait dans les caisses de l’Etat. (Les nazis apporteraient l’aide de leur compétence reconnue en matière de chasse aux juifs.)

Ça mettait en action un tas de systèmes nationaux  indispensables : organisation de vente aux enchères, actes notariés, mobilisation d’acheteurs français avec leur argent français. Banques françaises, perception de taxes françaises… et on évitait du même coup l’effondrement monétaire du Franc, au moins pour un temps. Et comme on faisait aux juifs spoliés des reconnaissances de dette en bonne et due forme, en s’en débarrassant, en les assassinant, on faisait d’une pierre deux coups, on effaçait aussi une créance.

La part de leurre de cette histoire bien ficelée était que, par le biais des taxes d’occupation, cet argent finissait quand même dans les caisses de l’armée occupante et du Reich. (C’est le même truc pervers, qu’on a vu plus haut, où l’on impliquait les familles dans la décision d’euthanasier leurs bouches inutiles.)

En France, il aurait suffi que, comme en Belgique, il n’y ait pont d’acquéreur pour les biens volés aux juifs pour gripper la machine. Mais cela ne s’est pas produit et s’est tissée dans l’ombre une obtuse complicité avec l’occupant qui n’a pas été complète, tant s’en faut : bien des gens ont quand même, avec une certaine efficacité, mis des bâtons dans les roues de cette affaire criminelle.

L’antisémitisme déclaré ou latent de l’Europe chrétienne est co-responsable des massacres et des spoliations nazis qui n’auraient pas eu leur terrible efficacité sans cela, et l’ampleur des massacres a été modulée, entre autres facteurs, par le degré de ferveur antisémite de chaque pays. En Pologne et en Lituanie on a exterminé presque tous les juifs, en France beaucoup de vies ont été sauvées.

Joseph Gazengel

Comments (2)

Bonjour,

J’ai pour ma part cent ans d’histoire derrière moi, d’origine alsacienne ayant été élevé par des substituts hors de l’Alsace, mon grand-père de recueillage a fait la guerre 14 -18, j’ai pu en constater les dégâts psychiques. Mon grand-père d’origine, dans l’armée allemande a été tué en Yougoslavie. Cette génération aurait pu se trouver l’un en face de l’autre. Ça ouvre l’esprit ! J’ai appris en visitant les archives que mes origines contiennent toutes les religions, en n’oubliant pas que les catholiques détestaient cordialement les protestants.
À huit ans j’ai pris une claque magistrale pour avoir dit que Napoléon était un tyran
À treize ans j’ai fait des exposés sur les camps et sur Kennedy, ça fait un baille maintenant, comment se fait-il que l’on découvre seulement maintenant que les malades mentaux étaient exterminés même dans les pays bien pensants tel que le Danemark ou la Norvège ?
À vingt ans j’avais une amie suisse, allemande, chinoise, danoise, africaine...
Combien de temps faudra-t-il à l’histoire pour faire son deuil ?
On parle peut de ces enfants issus de la guerre en Alsace qu’était ma mère née allemande puis ensuite française, re Allemande, puis re française dont les générations ont été décimées par les guerres et de Napoléon et d’Hitler !
Le résultat en fut deux générations psychotiques, dont les mères disparaissent de l’état civil et les hommes sur les terrains de batailles. La troisième génération ne peut l’être et doit trouver en elle les ressources de vie pour leurs propres enfants.
Je ne suis pas baptisée et suis agnostique cela m’aide à comprendre et accepter les autres différents dans leurs pensées, leurs idéologies, leurs coutumes et dans ma profession.
Les religions sont une perversion morale en effet dans l’espoir d’une renaissance dans l’au-delà, dans ce monde-là tout est d’avance pardonné et tout y est cyniquement permis. Elles déresponsabilisent l’être dans ses actes ici bas. Quand la religion sert de support de vie, je le conçois tel qu’il soit à condition de ne pas empiéter sur autrui. Je ne n’oppose pas un mode de pensée occident et orient
J’ai vu le labyrinthe du silence, j’ai aimé, il est temps que nos enfants puisse entrevoir, espérer et grandir en paix

Marie-Lise Ehret
Psychanalyste

J’ai vu le labyrinthe du silence, j’ai aimé, c’est bien que la génération d’après guerre se réapproprie son histoire, pour pouvoir grandir et aller vers l’avenir.
J’ai pour ma part cent ans d’histoire derrière moi, d’origine alsacienne ayant été élevé par des substituts hors de l’Alsace, mon grand-père de recueillage a fait la guerre 14 -18, j’ai pu en constater les dégâts psychiques, mon grand-père d’origine, dans l’armée allemande a été tué en Tchécoslovaquie. Deux générations qui auraient pu se trouver l’un en face de l’autre. Ça ouvre l’esprit ! J’ai appris en visitant les archives que mes origines contiennent toutes les religions, en n’oubliant pas que les catholiques détestaient cordialement les protestants.
À huit ans j’ai pris une claque magistrale pour avoir dit que Napoléon était un tyran
À treize ans j’ai fait des exposés sur les camps et sur Kennedy, ça fait un baille maintenant, comment se fait-il que l’on découvre seulement maintenant que les malades mentaux étaient exterminés même dans les pays bien pensants tel que le Danemark ou la Norvège ?
À vingt ans j’avais une amie suisse, allemande, chinoise, danoise...
Combien de temps faudra-t-il à l’histoire pour faire son deuil ?
On parle peut de ces enfants issus de la guerre en Alsace qu’était ma mère née allemande puis ensuite française, re Allemande, puis re française dont les générations ont été décimées par les guerres et de Napoléon et d’Hitler !
Tantôt elle fut la sleu et la boche avec des cheveux blondasse
Tantôt elle fut la französiche gadem bold chiott
Elle en a payé le prix fort, sur le ban des accusés et le ban des accusateurs.
J’ai tranmis
Strasbourg et les droits de l’homme
L’Alsace et la Loraine avec la religion juive, et les catholiques et les prostestants
L’holocauste et Primo Levi
La guerre 14-18 et la France sous Pétain avec Maria Remarque et Schweitzer
Les carnages et les civilisations
Puis l’Indochine, puis l’Algérie
Je suis vieille avec le regard fatigué sur ce monde, je ne sais ce que fera cette génération de ce que j’ai pu transmettre, cela ne m’appartient plus. Mais je ne comprends pas pourquoi Marine Le Pen a une voix au parlement européen ? Comme dirait Prévert : tout est à recommencer
Est-ce pour cela que je me suis occupée, d’un juif revenu de Dachau, d’un cordonnier arménien, d’un pilote chilien.......... ? Le cinéma n’est rien par rapport aux témoignages vivants !
J’ai le cœur international et ça me va, je suis agnostique et accepte toutes les religions qui pour moi sont des façons de penser la vie, dommage que je mourrais sans avoir vu la paix entre Israël et la Palestine.
Marie-Lise Ehret
Psychanalyste

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