« I got you » décès de James Brown

James Brown

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Décès du parrain de la soul...

«  I feel good »

L’adieu de Harlem à James Brown.

de notre envoyé spécial à Harlem : Frédéric de Rivoyre

La nouvelle du décès du parrain de la « soul music » est un événement qui retentit bien au-delà de sa dimension musicale.

Mort à 73 ans d’une pneumonie foudroyante, le jour même de Noël 2006 alors qu’il avait prévu de se produire dans la salle du B.B. King Blues Club le 31 décembre, James Brown continuait de se produire régulièrement sur scène, comme pour continuer de mériter sa réputation de show man le plus bosseur du monde. C’est pourquoi sa disparition subite a fait l’effet d’une bombe.

La nouvelle de la mort de l’ancien président des États Unis Gérald Ford le même jour est restée complètement inaperçue. Les médias, la télévision ont toujours donné en Une l’événement James Brown durant toute la semaine. Quant à l’annonce de la pendaison de Saddam Hussein trois jours plus tard, c’est tout juste s’il en fût parlé.

Mort en Géorgie où il résidait, son corps a été transporté dans le club de ses débuts à Harlem, l’Apollo theater pour un dernier hommage le 28 décembre.

Une foule immense a patienté des heures dans tout le quartier de l’Apollo Theater, situé sur la fameuse 125ème rue de Harlem,  pour venir lui rendre ce dernier hommage. Les quelques blancs présents avaient un air quelque peu emprunté. On s’arrachait des tee-shirts à l’effigie de Brown, de nombreux stands passaient de la musique soul, et pendant que tournoyaient les hélicoptères de la police et que les camions de télévision bouchaient les rues, la foule chantait, dansait, et brandissait qui un portrait, qui un disque, qui une photo de Mister Dynamite.

Le cercueil blanc - l’intérieur plaqué or comme il se doit pour un « godfather »- est arrivé,  tiré par deux chevaux blancs harnachés comme pour les funérailles de la reine d’Angleterre. La foule a longuement crié son émotion et sa peine.

Puis pendant plus de dix heures, ils ont défilé en silence devant le corps de James Brown.

Né en 1933, dans le sud des Etats-unis, James Brown est issu d’une famille pauvre et il apprend vite que ce n’est pas le travail dans les champs de coton qui va l’aider à s’en sortir. Il a pour lui un jeu de jambes qu’il destine aussi bien à la danse qu’à la boxe.

Il se produit dans les salles de danse dès 16 ans, mais il tombe vite dans la délinquance et se trouve enfermé pour trois ans en prison pour attaque à main armée. Il y fera une rencontre décisive, celle de Bobby Bird, chanteur du groupe les Flamous Flames. Dès sa sortie de prison, il intègre le groupe qui deviendra bientôt James Brown et les Flamous Flames et connaîtra le succès avec « Please, please, please » : un million d'exemplaires vendus et la carrière de James Brown est lancée.

Il imposera son style particulier caractérisé par sa présence, son physique de boxeur, son jeu de jambes ultra-rapide et un tempo très accéléré sans oublier les hurlements dont il ponctue ses morceaux pour provoquer la transe du public. C’est avant tout un « performer » incroyable, qui fait chauffer la salle pendant vingt minutes avant de se lancer dans une étourdissante danse, enchaînant sans interruption tous ses hits avant de s’effondrer à genoux tandis qu’un assistant vient le couvrir d’une cape argentée puis l’emmener en coulisses. Il surgit inévitablement quelques secondes après pour un show encore plus endiablé. Les arrangements sont bruts, privilégiant les percussions et les cuivres, le style de James Brown, c’est un rythme rapide et très syncopé.

Les titres qui feront sa gloire et sa fortune en sont l'expression même : « Papa's got a brand new bag, I got you (1965), Say it loud, I'm black and proud (1969), Pop Corn (1969), Sex Machine (1970), Super Bad (1971), Hot Pants (1971), At the Apollo (1971), Get on the good foot (1972) ».

Le sous-titre de « Papa’s got a brand new bag » est l’annonce de ce nouveau rythme que Brown invente pour donner à la soul music son style propre, une accélération du tempo et une simplification des arrangements.

Non content de fonder un style de musique et une danse qu’il baptisera modestement « la James Brown », il reprend en 1969, l’année de la révolution hippie (Woodstock, c’est en août de cette année -là), le slogan lancé par Otis Redding (un des précurseurs les plus géniaux de la soul noire américaine) et relancé par un guitariste rock noir tout jeune du nom de Jimi Hendrix : « I’m black and i’m proud ».

Mais James Brown ne sera pas l’Angela Davis de la soul, il traversera les années soixante-dix dans une relative clandestinité,  incarcéré encore une fois pour plusieurs années en prison pour usage de stupéfiants, bagarres etc., il voit arriver le disco qui s’inspire évidemment de ses rythmes.

Le disco, tout comme d'ailleurs le hip hop peuvent reconnaître ce qu'ils doivent au courant soul funk crée par James Brown. . Il disait à ce sujet : « Je leur ai appris tout ce qu'il savent, mais pas tout ce que je sais ! »

C’est ainsi que l’homme qui vendit le plus de disques après le King Elvis aux Etats-Unis restera célèbre pour avoir, par son style de musique, toute sa vie démontré qu’un noir peut réussir à s’imposer. Il fit de sa vie un monument à la gloire du peuple noir.

Dans une interview rediffusée le soir même de sa mort, James Brown, après avoir écarté gentiment les stupides questions sur son dernier séjour en prison pour possession de cocaïne et conduite dangereuse, explique que « Sex machine » n’est pas une chanson sur un couple en train de faire l’amour, que ce qu’il cherche avant tout c’est que le public fasse comme lui l’amour avec la musique, qu’il voudrait surtout trouver le rythme qui fait bouger , c’est ce qu’exprime cet autre célèbre chanson « I got the feeling ».

Le son, le feeling physique de la musique , voilà ce que James Brown a donné à la musique noire américaine et elle en est fière, elle lui crie « black is beautiful » , elle peut lui être reconnaissante comme nous le sommes tous.

Tous ceux qui sont reconnaissants à la musique noire américaine depuis Louis Armstrong et la Nouvelle Orléans, depuis Otis Redding et Charlie Christian, depuis Dizzy Gillespie et John Lee Hooker , de nous avoir enrichi d’un savoir contenu dans la musique resté largement inexploré par la musique blanche occidentale. Savoir qui repose sur ces deux supports que d’abord la musique est un exercice érotique et ensuite que sa pratique doit tendre à la plus grande liberté possible. Deux points qui sont à l’origine de la prise de conscience du peuple noir américain de son identité car la musique est un élément majeur de l’identité et de la demande de reconnaissance de ce peuple. Cette musique est d’abord ce chant rythmique, accompagné de tambours qui jalonne la journée de l’esclave dans les champs de coton. C’est ensuite le chant du gospel dans les églises, car avant d’être une plainte c’est déjà une affirmation. L’affirmation d’être un peuple avec sa culture, un par le truchement de ce bout de réel extirpé de sa gangue pour être transposé en savoir.

Il en découle que la musique sera une rythmique dont le tempo épousera le rythme cardiaque pour mieux marquer son emprise sur le corps. Ce corps dont elle s’empare pour lui imprimer son mouvement, elle en est habitée elle-même et c’est parce que cette auto célébration du corps s’en va vers l’auto-érotisme que s’introduit comme une coupure, la liberté  d’invention, la rupture de rythme, le changement de cadence et enfin l’improvisation. Dès le départ, la musique noire ne pouvait qu’aller vers la liberté radicale de l’improvisation du jazz, rempart de son narcissisme premier.

Ce que la musique noire nous a donc appris, c’est que le corps ne jouit que du signifiant.

Mais ce n’est pas tout, loin s’en faut, ce ne serait pas grande chose sinon, ce qu’elle nous a appris de plus fort encore, c’est que cette coupure n’est pas qu’une perte, c’est aussi une ouverture vers la richesse infinie du jeu du signifiant . L’inventivité sublime de Charlie Bird Parker ou de John Coltrane n’est elle pas la marque de cette découverte sidérante qu’à l’appel du signifiant, une voix répond depuis le centre du corps, une voix s’élève, pour parler, pour chanter et cette voix est la plus libre qui soit.

Mais c’est bien vite qu’elle perd sa liberté dans les discours convenus et les effets de mimétisme, c’est pourquoi tout ce qui vient réveiller sa magnifique richesse puiser dans son trésor inépuisable est à prendre pour ce qu’il est : une invention d’humanité.

La musique noire nous a rendu plus humains, thank you James….