La la land, de Damien Chazelle (2017), un film éblouissant ?

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La la land, de Damien Chazelle (2017), un  film éblouissant ?

 

J’évite, par principe, de parler de films ou de livres que je n’ai pas aimés, me contentant de penser que je suis passée à côté d’une œuvre qui, tout simplement, ne m’a pas touchée. Cependant, quand un film est reçu avec une telle unanimité et des critiques aussi dithyrambiques, on peut oser quelques réserves.

Ce que je préfère, dans ce film, c’est son titre qu’on peut entendre comme L.A, L.A land, le film de Los Angeles (L.A en anglais), et de son mythe, le refrain, lalala, des rêves et des chansons sentimentales et sucrées qu’on fredonne et qui répètent les mêmes paroles, les mêmes niaiseries ; L.A, c’est donc le pays du lalala, le pays de l’illusion et d’une entêtante ritournelle dont la musique du film donne assez bien la mesure, rythmée, toute neuve, mais en même temps toujours conforme à un air qu’on aurait déjà entendu. Une fois qu’on a annoncé tout cela dans le titre, on ne peut faire qu’un film lucide, chantant, peut-être, mais également déchantant, capable de prendre une belle distance critique par rapport au mythe, de ramener à la réalité prosaïque la vision « angélique » et idéalisée des alouettes prises au piège du miroir. Le titre ne peut être qu’ironique. Eh bien, pas du tout !

Le film est une pure comédie musicale, parfaitement réussie, tournant, virevoltant, dans un décor nécessairement hollywoodien, célébrant la beauté de deux acteurs (aussi bien dans le scénario que dans le film) charmants et lumineux, pleins de talent, qui chantent, dansent, nous entraînent dans leur passion. Tout cela au premier degré. Le film enchaîne les chorégraphies et les dialogues, les scènes bien connues de répétition, de clubs, de rencontres et de projets lancés avec des yeux brillants. Le « déjà vu » fait partie du film puisque les héros n’ont que le désir d’entrer dans un paradis déjà connu, d’entrer dans l’image, sans rien y changer. Mais le réalisateur non plus n’y change rien. Loin de nous proposer un autre horizon, de mettre en perspective ce rêve et ce déjà vu, il en fait le seul monde possible. Si, par deux fois, il nous fait remarquer que la vue est la plus laide qui soit, ce n’est ni pour la regarder avec un œil lucide, ni pour aller voir autre chose ou pour regarder autrement. On ne se détache pas de la fascination.

Certes, il met en scène une rencontre amoureuse qui commence par un doigt d’honneur (fait par une femme, mais c’est très actuel, puisque la plupart des jeunes filles, aujourd’hui « s’en battent les couilles ! ») et le coup d’épaule d’un cuistre. Autre grande innovation, la femme ne renonce pas à sa carrière et choisit son art, au détriment de l’histoire d’amour. Voilà la femme moderne (la spectatrice) doublement satisfaite ! Notre héroïne a cependant eu le temps de faire une nouvelle rencontre et d’avoir un enfant, car tout de même, une femme ne saurait se réaliser à moins ! Le jeune homme, quant à lui, demeure solitaire. Bref, le prix à payer pour la réussite, c’est le sacrifice de la passion amoureuse. Cette réussite, à force de travail, de conviction, avec l’aide de cet autre qui croit en vous, s’obtient tout de même, logiquement, inexorablement et la « success story » ne peut manquer au programme. De la trahison, de l’usure du désir ou de la souffrance qu’il aura fallu pour parvenir à percer, on ne saura rien. De ce qui, peut-être, ne s’accordait pas dans ce couple, on ne dit rien non plus, en dehors des décalages temporels.

Et puis, si vraiment, le spectateur est frustré de ne pas avoir le baiser final entre les héros, on lui refait toute la scène hollywoodienne d’une réussite autre, celle des héros continuant à s’aimer tout en perçant. Alors, ils ont tout. Quel bonheur ! Le réalisateur impose, certes, la dure vérité : non, on ne peut pas tout avoir, et la réussite sociale et artistique a été obtenue au prix de l’abandon d’une belle histoire d’amour, mais il comble l’attente de la midinette qui dort en chacun de nous et nous entraîne dans une scène de rêve, parfaitement virtuose, où l’on jouit pleinement du succès. Ainsi, sans être tout à fait dupe, on peut se faire plaisir. Avec un cornet de pop corn, c’est encore mieux !

Mais même à Hollywood et même dans ces comédies musicales qui ont souvent pris pour scénario des artistes cherchant à devenir des stars, la réalité est plus complexe. The sound of music qui n’est certainement pas la « mélodie du bonheur » et n’a rien à voir avec la guimauve qu’un tel titre suggère malheureusement, fait chanter la famille Trapp à Salzbourg, alors que les nazis prennent le pouvoir en Autriche. La comédie musicale n’esquive certes pas le problème politique et s’achève sur un exil. Quant à Jacques Demy dont, nous dit-on, Damien Chazelle s’est inspiré, il donne à chacun de ses films une profondeur historique, politique et une mélancolie poignante, dont même les « demoiselles de Rochefort » avides de réussite, sont les délicates interprètes, sans parler du tragique « Une Chambre en ville ». Bref, Hollywood ou la comédie musicale comme genre n’excusent rien : difficile de trouver un scénario aussi vide et des personnages aussi lisses que ceux de Chazelle. Le cinéma et la comédie musicale, dans leur réalité — aux antipodes de leur vague mythologie — sont d’une autre profondeur.

Ici, la caméra tournoie, s’enivre, les robes font des corolles acidulées, le rythme est endiablé et il ne fait aucun doute que le réalisateur est un virtuose. Il crée une partition d’images composées, montées, chorégraphiées, de la façon la plus entraînante et harmonieuse. Mais lorsque la caméra n’en peut plus de tourner et n’a plus que le flou pour dire le vertige amoureux, le vertige de la jeunesse et de la passion, c’est le vide qui l’emporte. Éblouir —n’est-ce pas ? — cela signifie aveugler.

On voit, pourtant, on en a même plein la vue. De toute façon, il n’y a que des images qu’on connaît par cœur et des personnages qui ne sont jamais pour eux-mêmes que des images, rêvant d’entrer dans le film qui leur préexiste et sur lequel ils se projettent. Et derrière ce spectacle, il n’y a rien, aucun double-fond, aucun tiroir, aucune coulisse, pas d’arrière-plan. Tout est là. Et ce n’est même pas triste, ce qui est vraiment désespérant !

Le réalisateur a malheureusement la naïveté de citer les grands films et les grands cinéastes auxquels il rend hommage. C’est vraiment suicidaire ! Certes, Nicholas Ray est le maître de la couleur. Mais le rouge du blouson de James Dean, la beauté d’une Nathalie Wood, se détachent sur un fond noir. Le planétarium n’est pas un décor vain pour une scène ridicule où les acteurs exaltés par la passion de l’art et l’amour, s’envolent parmi les étoiles, jusqu’au ciel, dans un monde de dessin animé.

On se souvient que Rebel without a cause est un film d’une incroyable puissance, qui pose très clairement la question de la violence, de la déshérence d’un jeune homme, au lieu même de la figure paternelle (l’homme ridicule en tablier de dentelle qui a perdu toute dimension symbolique) et du devenir homme de ce personnage infantile, au début, et qui devient dans un triangle amoureux, protecteur paternel d’un jeune garçon désespéré. La scène qui se déroule au planétarium, à la fin du film, est une tragédie et un moment de rédemption, dans lequel la lumière, du reste, et les commandes du spectacle, à peine visibles dans l’ombre, jouent un rôle crucial et ne sont maniées qu’avec la plus grande prudence, à des fins stratégiques. Le suspense, la beauté, la nuit et les étoiles, l’appareil optique, sont pleinement créateurs de significations cinématographiques, psychologiques, dramatiques et symboliques. Le grand cinéma dit toujours, d’ailleurs, de Fritz Lang à Ray en passant par Antonioni que si le cinéma est un grand dispositif optique (le théâtre aussi), c’est, au bout du compte, pour accéder à des paroles qui ne s’entendent bien que dans la nuit et à du sens qui vient de ce qu’on peut crever l’image ou en révéler, au delà du visible, le réel (Blow up).

Mais nos deux artistes en herbe ne sont pas des « rebelles », ils n’ont aucune cause à défendre et ne sont mus que par l’imaginaire, un désir narcissique au plus mauvais sens du terme. Ils vénèrent des images (musiciens, fétiches de clubs de jazz, icônes du cinéma), et des clichés (être une star qui dit bonsoir aux enfants confiés à la baby-sitter avant de partir dans une robe élégante, conduire une décapotable, payer un coca avec modestie, sûre d’être reconnue et admirée comme une star par des serveuses médusées), des images dont ils veulent devenir le double, comme des personnages découpés qui n’auraient qu’à prendre la place laissée en blanc dans l’image. Que la traduction de « Rebel without a cause » soit bêtement en français « la fureur de vivre » ne change rien au problème puisque les deux personnages abandonnent la leur pour une illusoire carrière, de beaux costumes qu’ils arborent avec complaisance, une allure qui voudrait imiter celle de Robert De Niro ou de Robert Redford, avec un faux air de James Dean, déambulant dans quelque casino ou quelque club des années 1950.  Ni fureur, donc, ni cause.

D’où viennent les personnages ? Apparemment de la bourgeoisie moyenne, mais on n’en sait pas plus, malgré une petite incursion — une excursion plutôt — au quartier natal. Quelle est leur histoire ? Cette histoire que nous raconte Jacques Demy, allant toujours explorer les failles, le passé, les souvenirs, les ratés des vies antérieures qui éclairent les personnages et les précipitent vers leurs ambitions, les rencontres, les départs, les abandons, ne nous est pas rapportée. Comment comparer Les parapluies de Cherbourg à « Lalala » ? Quant à parler « d’une scène culte » (j’ai lu cette expression à la mode qui ne signifie pas grand chose, surtout au présent, à propos de l’ouverture !), il faut revoir West Side Story de toute urgence ! La seule idée d’une comédie musicale aussi forte dans ses enjeux, aussi belle et tragique, aussi rythmée, montée, que West Side Story, dans laquelle le moindre angle de caméra, le moindre mouvement, ont un sens et font saisir au spectateur la ville violente, les espaces encagés, la hauteur vertigineuse et dangereuse qui entoure et défie des voyous pleins de rage, véritables rebelles ignorant les vraies causes à défendre et victimes des déterminismes sociaux jusqu’à la mort : la seule idée d’une telle comédie musicale rend la rengaine de La la land et sa routine sucrée, vraiment indigestes et révoltantes.

Rendre hommage, ce n’est pas citer pour faire des œuvres aimées des icônes, des reliques, des « films-cultes », c’est s’inscrire dans une lignée, oser créer dans son temps et son langage une œuvre qui parle. Whiplash ne manquait pas de cette qualité d’innovation et intéressait le spectateur à des personnages confrontés à de vraies questions artistiques et humaines. La la land est, à côté, une bluette. Dans une scène du film de Chazelle, l’image du film de Nicholas Ray, brûle. Cela pourrait enfin « crever l’image », sortir du spectacle vers une autre dimension. Par ce trou, où irait-on ? Mais cela reste purement anecdotique, ou bien c’est un symptôme, une sorte d’acte manqué : la pellicule tant vénérée, passée dans un projecteur mal réglé se consume. Le cinéma, aujourd’hui, n’a plus les moyens de passer de tels formats, et l’image, aussi sainte soit-elle, refuse le culte qu’on lui rend, brûlée, ne laissant ironiquement qu’un trou. Quel bizarre hommage que cette destruction de l’image de Ray ! Est-ce un aveu d’impuissance devant une réalité inaccessible ? On regrette que ce ne soit pas l’image de nos tourtereaux au cinéma qui se soit consumée pour leur donner une chance et nous donner une chance de créer autre chose, un autre film, un peu de sens. Comme l’héroïne de Woody Allen, entrant dans le film, les héros auraient pu pénétrer dans ce cercle magique, aller vers ce vide créateur…

Rebel without a cause mérite mieux que cela : être revu en entier, car c’est une œuvre majeure, belle, bouleversante, et qu’on n’en finit pas de méditer. Il n’éblouit pas, il fait entrevoir la condition humaine sans nier les ombres et la nuit.

Comments (2)

Portrait de Le Vaguerèse Laurent

Effectivement c'est un film totalement inepte et sans intérêt aucun. Le genre de film que l'on s'empresse d'oublier. mais le marketing en a fait un chef-d’œuvre et comme beaucoup je me suis laissé prendre à la publicité et aux critiques dithyrambiques
LLV

N'importe quoi ces critiques de deux vieux barbon gauchos qui jouent les intellos, les cinéphiles et qui ne veulent pas laisser la place aux jeunes. Votre critique est parlante : ce film ne vous a pas plu car c'est vous qui refusez de laisser votre fauteuil aux jeunes générations. Quant à votre allusion aux personnages qui viennent de la bourgeoisie moyenne, c'est d'une rare stupidité. Qu"auriez-vous préférez les bobos gauchos : une histoire tragique se passant dans une cité ? Pfff . En plus, on voit que vous citez Demy, West side story sans vraiment les connaître : juste du snobisme intellectuel comme tous ces psys qui adorent parler littérature sans vraiment la connaître. Vous êtes pathétiques les papys, snobinars bobo gaucho. Et ça se dit psychanalyste. Le pouvoir vous aveugle

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