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Le colloque de la SPP vu par les membres de l'École de la Cause Freudienne
Le colloque de la SPP vu par les membres de l'École de la Cause Freudienne
Paris, le 26 novembre "le travail psychanalytique" (colloque de la SPP)
Le Colloque était divisé en huit dialogues ; chacun a été suivi pour l ALP par un psychanalyste membre de l'ECF
ÉRIC LAURENT
Premier dialogue : Daniel Widlöcher, César Botella
La salle de l'Unesco, malgré sa capacité d'accueil limitée, avait été choisie par André Green en souvenir du premier Colloque ouvert de la SPP tenu là en 1989. Le programme est remis à l'entrée. On a la bonne surprise d'y découvrir en fond illustratif, parmi une galerie de portraits de psychanalystes, en bonne place, la photographie de Jacques Lacan. Les interlocuteurs de la SPP, dans ce Colloque ouvert, seront les membres des autres sociétés de l'IPA en France, plus Patrick Guyomard et Monique David-Ménard, membres de la SPF (Société de Psychanalyse Freudienne).
Dans son introduction, André Green met ces échanges sous le signe de la vertu de sincérité. La formule du Colloque est proche de celle que l'ECF retient pour ses Journées : deux exposés d'environ vingt minutes sont suivis d'une discussion de même longueur, animée par un médiateur ; 3/4 d'heure en tout. Le premier dialogue réunit Daniel Widlöcher, membre de l'APF et président de l'IPA, mais parlant en son nom personnel comme il le fait préciser, et César Botella, membre titulaire de la SPP. L'objet du débat porte sur Le travail psychanalytique et la question de la recherche.
L'invité de la SPP s'exprime d'abord, et expose trois modalités de recherche : la pratique comme recherche, la recherche critique sur les théories analytiques, la recherche à visée objectivante, quantitative ou naturaliste sur les vérités de la psychanalyse.Chacun de ces trois modes a ses objets propres. La recherche sur la pratique elle-même a pour objet le soin, la cure, les indications, les critères thérapeutiques. La recherche critique doit permettre de tester les théories analytiques sur le développement de l'enfant, les opérations précoces, le débat entre attachement et sexualité infantile. Le troisième mode de recherche, quantitatif, essaye d'objectiver la séance par tous les moyens d'enregistrement. Cette visée est vouée à l'échec, étant toujours biaisée car réductrice. Daniel Widlöcher se prononce pour la complémentarité des deux premiers modes de recherche.
César Botella inscrit le Colloque dans l'ensemble des travaux de l'IPA, polarisés pendant deux années, jusqu'au Congrès de Toronto en 2003, par la question de la recherche. L'orateur tient fermement à ce qu'il n'y ait qu'une seule recherche : celle du travail de la séance elle-même. La recherche centrée sur la validation des critères thérapeutiques vise à réduire la psychanalyse à une technique de soin. Or, la psychanalyse se sépare des psychothérapies en ce que " la guérison advient de surcroît ". Il faut donc bien distinguer la psychanalyse comme pratique de recherche sur l'inconscient et la recherche sur la psychanalyse. "La recherche sur l'inconscient doit primer sur les autres modes de recherche ou d'évaluation". Le cadre de la séance permet de s'écarter du fonctionnement de la pensée "normale" pour avoir accès à la "pensée clinique", selon l'expression d'André Green, discours rationnel issu de la pratique de l'inconscient. La découverte ne peut être programmée. Elle ne vient que de l'élaboration d'après séance. Il y a donc un écart constitutionnel entre l'inattendu de la trouvaille et le concept formé à partir de cette contingence. Cet écart est l'une des difficultés les plus sérieuses pour la psychanalyse. Comment vérifier la part de vérité que comporte chaque théorie, comme les théories sexuelles infantile ont la leur ? La psychanalyse est-elle vouée à la babélisation ? Comment éviter la confusion, la dispersion et l'appel à l'objectivation ? L'orateur s'arrête sur ce point, réservant la suite pour le texte écrit qui sera publié dans les actes.
Lors de la discussion, le médiateur, Jean Cournut, ancien président de la SPP, souligne que la recherche est au premier plan des préoccupations des psychanalystes car ils doivent répondre aux pressions de l'extérieur et de ses critères d'efficacité. La psychanalyse est-elle en crise ? Le médiateur constate que Daniel Widlöcher est plus optimiste devant la multiplicité des "modèles" qui témoigne de la créativité de la psychanalyse, tandis que César Botella insiste sur son inquiétude de voir des "chercheurs", extérieurs à la psychanalyse, décider de la vérité des théories en concurrence. La recherche empirique ne s'occupe que de ce qui est déjà là, alors qu'il s'agit de découvrir de nouveaux concepts. Il ne faut donc pas les figer. Daniel Widlöcher ne voit pas de difficultés majeures dans la définition du champ de pertinence de chaque mode de recherche. Il est aussi d'avis de privilégier le mode de critique interne propre à la psychanalyse, qu'il appelle la supervision généralisée. Face à chaque psychanalyste chercheur et à sa part de vérité, l'institution est chercheuse elle-même, toujours dans l'après-coup par rapport à elle-même. Cette thèse situant le rôle de l'institution analytique "en recherche" est très applaudie par la salle. Le médiateur demande comment rendre recevables les avancées de la psychanalyse entre psychanalystes et au-dehors ? Y a-t-il vraiment une unité de la pratique ? Pour l'intérieur, Jean Cournut pose une question qui lui est chère : les psychanalystes font-ils tous le même métier ? Pour Daniel Widlöcher, c'est une hypothèse qu'il retient, bien qu'il en exclut ceux qui lui parlent de la séance de cinq minutes. Il évoque la "grammaire cognitive commune" entre psychanalystes qui permet d'articuler leurs différences. Pour l'extérieur, il évoque diverses "passerelles". Par exemple, entre neurosciences et psychanalyse. César Botella les refuse, et n'y voit que des leurres : le psychanalyste doit se centrer sur l'inconscient, objet propre de sa discipline. Jean Cournut rappelle, face aux exigences d'efficacité thérapeutique, que l'expression "la guérison vient par surcroît" est de Jacques Lacan répondant à Favez dans le débat promu par Nacht à l'époque, celui de "l'alliance thérapeutique ". Le médiateur admet avec César Botella qu'il est difficile de faire reconnaître sous forme d'hypothèses testables, des vérités psychanalytiques comme la capacité de déni, le masochisme, la servitude volontaire, le narcissisme des petites différences, la sexualité infantile. Les trois participants s'accorderont enfin pour soutenir que le psychanalyste ne doit pas céder devant son devoir d'être un "ambassadeur de la subjectivité".
En sortant de la salle pour marquer une pause dune demi-heure, un groupe de trois personnes du public habituel de la SPP jugeait ce premier dialogue comme "une bonne performance d'acteurs dont le texte était un peu maigre". Quelle est la fiabilité inter-juges d'une telle évaluation ?
HERBERT WACHSBERGER. Deuxième dialogue : Jean-Claude Rolland, Michel de M'Uzan
"Le travail de la séance" a été retenu par les organisateurs comme l'un des problèmes-clefs de la psychanalyse. Michel de M'Uzan, membre de la Société Psychanalytique de Paris, l'aborde par cette question : la séance analytique d'aujourd'hui est-elle différente. Oui, du fait de la prise en compte des mouvements inconscients de l'analyste, qui complexifient le lien analytique. Non maîtrisés, ce contre-transfert entrave la progression de la cure, mais il peut servir à la compréhension de l'autre. En fait, Michel de M'Uzan décrit une configuration contre-transférentielle particulière : une représentation incongrue aura inspiré à l'analyste une interprétation réussie. Son exemple inaugural illustrait une conférence de 1976, "Contre-transfert et système paradoxal", à nouveau publiée dans De l'art à la mort. Dans l'esprit de l'analyste, donc, surgissent à certains moments des représentations étrangères à la séance - visages, paysages, formes abstraites - en constante transformation, voire des constructions verbales à contenu étrange, incompréhensibles. Le sentiment dune légère dépersonnalisation accompagne ce "phénomène de l'esprit". Que de cette disposition puisse surgir une interprétation "qui fuse avant d'avoir été pensée ", qui vienne comme d'un autre et qui, néanmoins,"gagne la main sur l'inconscient", comme s'exprime Lacan dans une célèbre page de ses Autres écrits où la question est abordée de tout autre façon, voilà ce que Michel de M'Uzan a tenté d'éclairer.
Comment une interprétation, qu'un Glover considérerait comme inexacte, aurait-elle un effet, si elle n'avait pas tout de même quelque exactitude ? Michel de M'Uzan décèle dans le caractère quasi hallucinatoire du phénomène l'index de la vérité. Il lui reste à lui donner son fondement. Cela donne une version très séduisante de la banale communication d'inconscient à inconscient. L'appareil psychique du patient emprunte l'appareil psychique de l'analyste et y dépose ce qui s'y passe de plus profond : une "activité de taupe de l'inconscient du patient" qui conduit à la constitution dune entité psychique composite. Michel de M'Uzan la nomme chimère. Là est le site de l'interprétation. Il ne s'atteint qu'à la faveur dune régression, qui est un délaissement de la vêture identitaire du psychanalyste. Cette chimère finit par englober les deux protagonistes de l'analyse. Michel de M'Uzan lui attribuera le travail de la séance. Il semble que cette extravagante entité psychique ait fait son trou chez les psychanalystes parisiens. Sans doute, parce qu'ils ont entraperçu qu'elle rejoignait, par un détour infiniment coûteux (mais distrayant), le "je ne pense pas" par lequel Lacan définit le statut du psychanalyste dans le "moment de l'interprétation". Et qui, freudiennement, remet à l'analysant le travail qui a lieu dans la séance
Jean-Claude Rolland, représentant de la Société Française de Psychanalyse, aborde la séance par un tout autre biais : il rappelle que le patient paye son analyste. Sil le paye, conclura-t-il, c'est parce qu'il est en droit d'attendre de cet analyste qu'il assure une certaine dissociation des instances de son moi et de son discours
Pour se faire l'adresse de cette remarque, en somme, comprendre ce pour quoi on est payé, il aurait fallu saisir ce qu'est ce discours : "discours intérieur de l'analyste" ?"quelque chose qui parle en lui au sujet du patient"? "que l'analyste écoute en même temps qu'il écoute le discours associatif du patient ". S'agit-il de distinguer le sujet (par le biais du discours inconscient) et le moi ? de déloger le moi de l'analyste ? Bref, est-ce là une allusion à l'enseignement de Lacan ? Rien n'explicite une telle référence dans le cours de l'exposé, pas plus que dans un petit ouvrage de l'auteur, où force est de considérer que toute ressemblance avec des énoncés connus (par exemple, à la page 229 : l'analyse est un acte qui ne s'autorise que de lui-même) est fortuite. Jean-Paul Rolland, décidément, ne s'autorise pas de Lacan. Au moins s'autorise-t-il de Michel de M'Uzan, dont il a adopté la chimère. Mes mots ", dit-il, commentant le récit d'un cas,"ma bouche les a prononcés, mais ils ont été comme dictés d'un lieu inconnu de moi, où s'entrecroisent le discours associatif du patient et mon discours intérieur". Un dialogue a-t-il eu lieu ? Voire. Qu'on se soit avancé sur la voie d'un consensus est pour le moment le seul constat non chimérique.
SERGE COTTET "Troisième dialogue" : Patrick Guyomard, Paul Denis
Introduisant en éclaireur prudent le nom de Lacan dans la forteresse de la SPP, Patrick Guyomard se risque sur le thème un peu académique de "L'ancien et le nouveau au cours du travail analytique". Récusant l'opposition simpliste passé = enfance, nouveau = présent, l'orateur brouille la frontière de cette opposition, fait basculer l'un dans l'autre, fait apparaître des vacillations. D'abord le transfert : il n'est pas que l'ombre du passé. P. Guyomard y ajoute quelques références lacaniennes, notamment le sujet-supposé-savoir. Voilà qui fournit un éclairage supplémentaire. Toutefois, ce sujet est-il nouveau ou ancien ? Là encore, il y a un soupçon sur l'actualité. S'agissant des souvenirs, il est dans la ligne freudienne de ne pas trop croire à leur réalité : souvenir-écran, fantasme sont plus actuels que passés. C'est l'énigme du référent. Et l'interprétation, porte-t-elle sur l'ancien ? Fait-elle exister le nouveau, en dévoilant par exemple, dans l'optique classique, les références à l'enfance du sujet ? Cependant, P. Guyomard distingue, là encore, l'infantile de l'enfance qui transcende le passé et le présent. Même chose pour le surmoi. Non seulement il a des origines infantiles, mais il est aussi le surmoi des parents, il est trans-générationnel. Ces caractères intemporels se reportent sur le langage qui lui aussi est trans-individuel, ni intérieur, ni extérieur. On cherche en vain un référent stable qui instaurerait une limite entre passé et présent : la relation d'objet par exemple. Mais là aussi, il y a un brouillage. L'objet étant perdu, il est difficile de parler de l'altérité sans évoquer le grand Autre comme éclairage supplémentaire. On revient alors à la dialectique freudienne de l'après-coup. Freud cherchait à situer l'inconscient entre l'infantile et le nouveau, et l'événement psychique entre le constitutionnel et l'accidentel. Et la rencontre ? Y a-t-il une rencontre nouvelle ? P. Guyomard renvoie encore aux classiques freudiens, l'opposition entre tuchè et daimon qui fait moins darwinienne que le vocabulaire précédent, et peut-être fait transition avec le couple tuchè-automaton de Lacan. Mais décidément non. Si la tuchè est déjà dans Freud, Lacan n'est pas si nouveau que cela. Est-il donc impossible de saisir du nouveau dans la cure autrement que sous les aspects d'un habillage moderne de l'ancien ? Peut-être l'effet sur le corps fournit-il le référent indiscutable que nous cherchons ? La réponse est indécise. Bien entendu, d'une cure à l'autre, d'un sujet à l'autre, pris un par un, il y a toujours du nouveau, et c'est rassurant. Ce qui serait plus inattendu peut-être, sans rapport avec l'infantile, le souvenir, etc., serait le psychanalyste lui-même. D'où vient-il celui-là ? Est-ce une nouvelle édition du fantasme ? Comment surgit-il de la cure ? La question, lacanienne, n'a pas été posée. Il est vrai que, sans l'objet a, le réel, les nœuds, la passe, Lacan lui-même ne semble pas très nouveau. Une dame dans l'assistance s'en réjouit. Cela lui rendrait Lacan presque sympathique. M. Denis, lui, prend nettement partie. Il récuse la disposition bien connue du patient à la narration de son passé. Cet attachement au passé se voit qualifié de "fétichisation des souvenirs ". Cette constatation clinique vise la satisfaction du sujet à s'inscrire dans un culte du passé, tel un ancien combattant. On évoque Proust et un passage du Temps retrouvé. L'auteur de la recherche ironise sur le caractère désincarné des souvenirs de la princesse de Nassau recouvrant un passé vide. Paul Denis, lui, a le culte de l'émotion retrouvée, qu'il oppose au temps perdu des représentations désaffectées. Le langage lui-même, dont la relation à l'affect donne du fil à retordre aux deux collègues, manque de fiabilité aux oreilles de l'orateur qui le définit comme représentation de la représentation. Le nouveau, c'est donc l'affect. Il y a lieu d'obtenir, dans l'actuel de la cure, le hic et nunc de la séance, l'affect nouveau qui manque au souvenir, référent indiscutable comparé à la prétendue vérité historique : retrouver la couleur de l'affect sous les images d'album. Ainsi est convoquée à nouveau cette dualité chère à André Green de l'affect et de la représentation, transposée ici en opposition entre souvenir mort et affect vivant. Ces considérations ne sont pas très nouvelles, mais on devine cependant quelles donnent à la cure une direction qui doit contrer le surinvestissement du passé. D'où le privilège de la construction sur l'interprétation qui est un standard freudien. La cure est donc considérée comme mémoire affective, évolutive, chanson de geste opposée à la chronique. Il en résulte une subversion du rapport entre l'ancien et le nouveau. La catégorie d'originaire est réinterrogée. L'originaire est à la fin comme vérité des affects retrouvés et non pas au début. De là, suit une conception du temps qui repose sur la temporalité propre aux affects et que caractériserait la lenteur. Non pas temps pour comprendre, mais temps pour sentir, il y a là comme une justification métapsychologique et non pas institutionnelle à la longueur du temps de séance. On pourrait peut-être en déduire une pratique exactement opposée : abréger le temps de la narration par exemple.
DOMINIQUE LAURENT Quatrième dialogue : Dominique Clerc, Michel Neyraut "L'écart entre théorie et pratique dans le travail psychanalytique", tel était le titre de la dernière séquence de travail de la journée. Dominique Clerc, ancienne présidente de l'APF, et Michel Neyraut, membre titulaire de la SPP, connus tous deux par leurs publications, ont exploré cette aporie. Pour chacun, la fiction théorique est mise en série avec la fiction romanesque. Pour la première, ce sera la Gradiva, pour le second, Don Quichotte.
Dominique Clerc rapproche ainsi la fiction théorisante de la fiction délirante pour insister sur l'essentiel qui échappe à toute fiction. L'essentiel est une vérité qui n'est jamais close (celle-ci tend toujours vers une asymptote. Si dans l'expérience analytique, délire, symptôme, rêves sont une mise en récit, la théorie n'est qu'une sorte de formalisation de cette mise en récit préalable. Freud lui-même, avec le cas de l'Homme aux rats, n'a-t-il pas formalisé un peu plus les formalisations même de son patient ? Cette formalisation n'est elle-même qu'une substitution des mots à la représentation des choses. Si l'analyste a la capacité de mieux reformuler la formalisation sauvage du symptôme, il doit toujours savoir que l'inconscient, comme représentation des choses, échappe à la représentation de mots. La fonction de l'analyste dans la séance est de permettre le retraitement des mots pour restituer la chose au-delà de la mise en récit.
Pour l'auteur, il ne s'agit pas dans la théorie d'une logique des signifiants mais dune logique des traces dont l'origine est toujours perdue. Dans cette perspective, si l'analyste peut être théoricien, il doit ne pas être dupe de sa fiction et se situer au lieu même de l'écart entre théorie et pratique dans le travail analytique. De ce lieu, une relance est possible. Pour nous faire comprendre combien la théorie peut être une croyance délirante comme une autre, Michel Neyraut prend l'exemple de Don Quichotte qu'il confie avoir lu pour la première fois à l'occasion de cet exposé. Le héros de Cervantès lui paraît exemplaire pour illustrer la croyance mécanique et absolue du héros au roman de chevalerie auquel il plie tout ce qui lui arrive et réduit les contours de la réalité à une copie conforme. L'analyste qui croirait trop à une théorie, risquerait de voir réduire l'écart entre théorie et pratique et l'expérience du travail analytique de la séance à une copie conforme de la théorie. Le travail analytique consiste à prendre la mesure du roman de la théorie pour pouvoir avoir accès à l'expérience inconsciente. La théorie, sous sa forme codifiée, achevée, peut toujours être considérée comme le code figé de la chevalerie rendant par avance entièrement compte du monde. L'auteur n'oppose pas seulement la théorie et l'expérience, il distingue le niveau systématique de la théorie des théories rencontrées dans l'expérience. La psychanalyse théorique rencontre des théories qui font partie de la clinique, celles-ci sont sous-jacentes naturelles. L'auteur oppose la psychanalyse théorique aux théories imaginatives officieuses rencontrées dans la psychanalyse. Il attire l'attention sur le point de vue économique dont elles relèvent, celle de théories sexuelles infantiles. En ce sens, elles sont au plus près de la structure de l'inconscient. L'expérience clinique livre des formulations théoriques et l'analyste, dans son activité théorique, ne doit jamais oublier que l'inconscient lui-même est théoricien. Michel Neyraut rappelle dans cette perspective combien les aperçus cliniques freudiens ont opéré des changements profonds dans sa théorie même. La cohérence d'ensemble des systèmes psychanalytiques ne doit pas faire oublier l'expérience du point où se réduit l'écart entre pratique et théorie, le point où la pratique donne accès aux théories de l'inconscient. L'auteur a recours à une métaphore musicale pour faire entendre ce qui se joue entre les lignes du texte inconscient. Les mots, il faut les faire danser, quand il n'y a pas de musique, ça ne danse pas. Il faut préserver ce qu'il appelle la musique entre les notes pour arriver à enserrer la chose. L'écart entre théorie et pratique est donc aussi l'écart entre les diverses modalités de la théorie dans l'expérience pratique.
CATHERINE LAZARUS-MATET Cinquième dialogue : Patrick Miller, Marilia Aisenstein.
Il fait presque beau, mais on sent que cela va se gâter. Le cinquième dialogue intitulé : Le corps érogène et le somatique : les limites du travail psychanalytique, est l'occasion dune rencontre entre Marilia Aisenstein, membre de la SPP, et Patrick Miller, membre de l'OPLF (Le Quatrième Groupe). Alain Fine, président de la SPP, en est le médiateur. Puisqu'il s'agît du corps souffrant, il notera que ce qui relève du corporel n'est pas clair. Parle-t-on de soma ou de corps érogène ? En effet, P. Miller se propose de traiter de la réintégration psyché soma, à partir de l'action du travail analytique sur le moi corporel, et de ses limites. D'emblée, le lexique est autre. Pourtant un point de repère commun se profile quand est évoquée la souffrance corporelle comme manifestation du sentiment de la vie. Mais avec le médium psychique, la résistivité, l'élasticité, la plasticité de l'analyste, on entre dans une zone où il sera difficile de séparer le corps du patient de celui de l'analyste. L'élasticité de l'analyste lui permet-elle d'aborder le moi du patient souffrant dans son corps ? Telle est la question. Le moi est ici défini à partir de la deuxième topique, et comme avant tout corporel ; il dérive des sensations de la surface du corps. P. Miller s'appuie également sur le travail de Winnicott sur le contre-transfert, pour évoquer le débordement des facultés intellectuelles de l'analyste par son propre fonctionnement psycho corporel. Ainsi, devant la psychose, le moi corporel de l'analyste est-il convoqué. Illustration : une séance racontée par un collègue dans une réunion à quelques-uns où on essaie de parler de clinique. Un homme brillant, froid, à la sexualité pauvre, souffre d'hypertension artérielle. L'analyste se désespère de la monotonie de la cure. Or, au cours d'une séance, il ressent un malaise, avec précordialgies. Il se sent en danger, et demande au patient un verre d'eau et de l'Aspégic. À la séance suivante, fait inhabituel, le patient rapporte un rêve qui sera interprété comme transférentiel, éclairant ensuite que la mère du patient avait un cœur de pierre. Commentaire : cet agir va à l'encontre de la posture analytique, mais a permis de lier deux espaces clivés. Le jeu intersubjectif psychodramatique (le patient joue la mère attentionnée envers l'analyste-nourrisson en danger) a permis la rencontre analytique. Cette séance est considérée comme à la limite du cadre analytique, mais dans ses limites, elle a donné corps et sens au sentiment du patient de ne pas être en vie. L'auteur conclut que le lien intersubjectif favorise la sortie du somatique. À aucun moment, n'est examinée cette séance dans sa dimension de surprise.
Marilia Aisenstein, d'un ton inventif, va illustrer son abord du corps souffrant à partir de sa formation auprès de Marty, Fain et De M'Uzan. Mais elle ne veut plus être présentée comme psychosomaticienne, se démarquant de ses maîtres, car si P. Miller peut se présenter comme un analyste pur pour lequel les désordres du corps ne sont plus une limite, c'est grâce aux travaux des premiers psychosomaticiens. Elle critique le terme même de psycho-somatique qui induit une causalité ; elle a sa propre conception du somatique, qui contient le corps et un en deçà qui échappe à la pulsion. Ni silence, ni langage, mais black-out, bruit. Comment en rendre compte ? Il s'agit d'un discours endeuillé, coupé de ses racines vivantes, que M. Fain appelait la contrainte au calme, black-out de la pensée, selon elle. L'origine en serait précocissime, une sorte de stratégie anti-traumatique, induisant une démentalisation, favorisant la voie de la décharge somatique. Un exemple clinique vient illustrer son propos. Une femme psychotique, guérie d'un cancer du sein, vient voir M. Aisenstein pour insomnie rebelle et angoisse. Un effet thérapeutique se fait sentir, mais la patiente est envahie par des hallucinations : elle est pénétrée sexuellement par les seins de sa mère. l'analyste est accablée et inquiète. Le récit ne dit pas si les hallucinations apparaissent dans la cure. La séance mise en avant est choisie parce quelle s'accompagne d'un affect joyeux de la patiente, habituellement anesthésiée. Un travail permettant de réconcilier les images parentales clivées (mère compétente, père léger) a permis un apaisement relatif. Mais la patiente a toujours peur (de la thérapeute ?) Elle respire mal. Interrogée, elle parle de crises d'asthme liées à une scène érotisée (à quinze ans, son genou avait frôlé celui de son père ; elle avait rougi en sentant leurs deux respirations ; sa mère avait pensé que son père l'avait violée). Sera ensuite levé le black-out sur la mort du père, et sur ses tentatives de suicide. La patiente craint que les séances ne la fassent trop penser. Elle fait une tentative de suicide, juste après, pour ne plus penser. Premier commentaire de M.A. : elle a eu peur, pour cette femme, de l'émergence d'un délire comme somatose ; l'identification mélancolique au père a été trop vite retrouvée dans la cure. Deuxième commentaire : la limite avec ce type de cas, c'est que l'on travaille dans la reliaison forcenée, puisque, comme le dit Freud dans L'abrégé de psychanalyse, Éros cherche toujours à relier. Le lien défait, à relier, du psychique au corporel fut donc le fil difficiles à suivre de ce dialogue. Au lieu de lier de façon forcenée, peut-être vaudrait-il mieux lire (anagramme de lier) Lacan. Que d'efforts pour justifier le contre-transfert, que d'états d'âmes, que de vapeurs ! La séquence suivante a un titre prometteur : Quelles ouvertures au travail psychanalytique permettent les catégories du réel, de l'imaginaire et du symbolique ? Tout dépend du sort réservé à ce point d'interrogation.
PIERRE GILLES GUÉGUEN Sixième dialogue : Monique David-Ménard, René Roussillon Comment ne pas être lacanien ? Voilà bien le problème qui se posait ce dimanche 24 novembre lors du sixième dialogue du Colloque ouvert de la SPP intitulé : Quelles ouvertures au travail analytique permettent les catégories du réel, de l'imaginaire et du symbolique ? Le titre présupposait déjà que Lacan ouvrait le travail analytique. Le déroulement de la séquence confirma bien un accueil favorable à Lacan chez une assistance dont l'attention ne faiblit pas. L'invitée, Monique David-Ménard, lacanienne de longue date depuis l'EFP, membre comme P. Guyomard de la SPF, devait mettre en œuvre les trois registres avec grâce et précision, à propos d'un cas. Elle avait choisi de faire état d'une circonstance contingente dans la cure d'un homme marié et père, en analyse depuis sept ans, et dont le symptôme essentiel était une homosexualité qui avait été souvent mise en acte. Au retour de vacances heureuses (l'interruption des cures préoccupe beaucoup les analystes non-lacaniens), ce patient annonce qu'il souhaite mettre un terme à son analyse. l'analyste décide de ne pas interpréter. C'est son propre silence quelle interroge dans cette conjoncture habilement choisie pour des collègues pour lesquels l'interprétation ne saurait valoir que comme une parole proférée par l'analyste. Elle situe bien sa position dans le transfert par rapport à cet homme, captivé dans son enfance par une mère possessive, séductrice, mais suffisamment attirée par les hommes pour que son désir ne se soit pas totalement reporté sur son fils. Elle sait donc, avertie par Lacan, que toute parole quelle proférera lui sera imputée comme provenant de cette mère quelle représente dans le transfert pour cet analysant. L'analyste fait valoir qu'à ce moment de reprise, elle avait à l'esprit trois temps essentiels de la cure : un souvenir écran et deux rêves. Le souvenir concerne un dire entendu par le patient à l'école où il se sentait à part : Tes parents (n)'ont pas-niqué. Dire où l'analyste lui a fait entendre le lien entre l'angoisse et l'interrogation sur le désir sexuel qui a présidé à sa conception. Elle pose bien la différence ici entre le registre imaginaire où le sujet se reconnaît dans l'imago maternelle, et dans le nom transmis par le père qui, joint à sa beauté, le faisait se sentir objet passif du désir des semblables, et le registre symbolique, à partir duquel le patient se plaint d'un père insuffisant. Elle fait alors valoir comment, dans cette interprétation du signifiant paniqué, le sujet s'avère n'être plus que l'intervalle entre deux signifiants, un sujet barré en exclusion de la chaîne signifiante. Un rêve représente un enfant dans le couloir de la mort et donne la position du sujet dans son rapport à l'Autre : mortifié. Un autre rêve, fait avant l'interruption des vacances, met le sujet en posture de faire jouir sa femme avec violence. Elle y saisit un progrès subjectif du patient, capable d'un désir qui ne soit pas simplement passif. Elle décide donc que le silence face à sa déclaration (violente) d'interrompre l'analyse, est de nature à donner sa place au fait que le patient, bien que dans l'angoisse, puisse pour la première fois formuler un désir qui soit sien. Elle signale aussi qu'il lui fallait respecter ce qui, dans cette angoisse, touchait au réel (le patient venait d'apprendre la mort d'un ami qui lui évoquait la panique qu'il avait jadis éprouvée à croire (a tort) son père mort dans un accident). C'était, dit Monique David-Ménard, pouvoir dire violemment son désir à une femme, et risquer d'être seul dans le couloir de la mort. Elle détache donc de la série cette séance particulière, où le plus traumatique de l'histoire du patient, se répétait au moyen de la réalité comme le signale Lacan. Il ne fallait pas là relancer la fiction mais se situer à l'endroit ou ses pulsions se rapportaient à un dire. Monique David-Ménard cite ici la fin du Séminaire XI : Si le transfert est ce qui de la pulsion, écarte la demande, le désir de l'analyste est ce qui y ramène. L'interprétation silencieuse aura porté puisque le patient n'interrompt finalement pas sa cure. Sur le même thème, René Roussillon ouvre son exposé sur une déclaration dont il faut prendre acte : Nous pensons à la SPP que la pensée de Jacques Lacan a apporté quelque chose de significatif. Sans doute effarouché par la portée de son dire, l'orateur passera le plus clair de son propre exposé à le dénier, le relativiser, bref à s'en défendre. Au bout du compte, comme dans le sketch de Robert Lamoureux, Le canard était toujours vivant : l'effort pour retraduire Lacan dans les termes des post freudiens (par exemple, en tâchant de ramener le réel à la réalité psychique) s'était montré peu convaincant, semble-t-il, pour l'orateur lui-même, qui se trouvait pris, lui aussi, par la force du concept lacanien (le sujet a déjà mis en œuvre des productions imaginaires pour juguler le contact du harcèlement du réel). Au cours du débat, Gilbert Diatkine, l'introducteur dans l'IJP du graphe de Lacan, s'est effacé au point qu'on pouvait se demander s'il était bien présent à la table. Des points intéressants furent soulevés, notamment sur la nature perverse ou non de la structure de ce patient, et sur la nature de l'hallucination de désir par rapport à la catégorie de réel. Loin d'être aussi désengagé que le modérateur, le public applaudit la séquence avec chaleur.
NATHALIE GEORGES Septième dialogue : Catherine Chabert, Sára Botella Le pénultième dialogue du colloque ouvert de la SPP, intitulé "Le travail autour de l'objet perdu " réunissait, sous la médiation de Sylvie Dreyfus, une collègue invitée de l'APF, Catherine Chabert, et une collègue de la puissance invitante, Sára Botella. Soit deux noms de la psychanalyse d'orientation ipéiste, connus pour leurs publications régulières, la première notamment pour ses travaux sur l'approche psychanalytique des tests projectifs, auteur aussi d'une biographie de Didier Anzieu dans la collection Psychanalystes d'aujourd'hui (Paris, PUF, 1996) et qui dirige Psycho sup, série psychopathologie et psychanalyse aux éditions Dunod ; la seconde, qui vient de co-publier avec César Botella son vingt-quatrième titre : La figurabilité psychique (Delachaux et Niestlé, collection Champs psychanalytiques dirigée par Elsa Schmid-Kitsikis, Lausanne, 2002, voir la bibliographie qui donne la liste des travaux des deux co-auteurs), dont le dernier chapitre : L'objet perdu de la satisfaction hallucinatoire où l'on retrouve le fragment clinique présenté aujourd'hui. Munie de l'opposition freudienne entre le deuil et la mélancolie, et non sans la crainte de l'effondrement de Winnicott, Catherine Chabert a présenté un analysant marqué dans l'enfance par la perte de son père puis de sa mère, à peu d'années d'intervalle. Dans un style clair et sensible, elle nota que l'analysant avait des souvenirs extraordinairement précis, mais un flou complet quant aux dates des dits événements. Elle souligna aussi un affect de honte lié au dit de sa grand-mère lui annonçant la mort de sa mère-tu peux pleurer maintenant : pleurer, il ne put. Usant du terme freudien de construction, l'analyste nous fit part de ce qui s'imposa à elle sur ce mode quasi-hallucinatoire toujours évoqué par nos collègues de la SPP et al. comme index de leur contre-transfert, boussole de la cure. En l'espèce, ce fut une phrase, ou plutôt ce furent deux, énoncées - si j'ai bien compris - au patient : la mère a rejoint le père et la femme a rejoint son homme. À partir de quoi la cure allait trouver sa direction. Restent les questions que Catherine Chabert se pose, pour ne pas céder sur son devoir de faire progresser la doctrine. Quand l'objet est-il perdu ? Quand peut-on dire plutôt qu'il est abandonné ? Qu'est-ce qui différencie vraiment une mélancolie d'une hystérie ? Pourquoi l'objet est-il sexualisé dans un cas, désexualisé dans l'autre ? L'acuité du tourment du mélancolique n'est-elle pas cela seul qui préserve en lui le sentiment d'exister ? Catherine Chabert retourne aux sources freudiennes, en compagnie de Winnicott. Ainsi n'oublie-t-elle ni le primat du sexuel, ni la carence de l'environnement, ce qui lui permet de définir une psychanalyse comme une expérience réparatrice.
Sára Botella fit tourner son exposé autour du dit d'un analysant : Il y a ici une odeur de sapin, déclaration faite à la séance qui suivit la coupure de Noël. O sapin de Noël, ô cercueil. O clef de l'ambivalence celée dans une hallucination olfactive, seul recours pour l'analysant dans cet état de quasi-déprivation sensorielle qu'est le dispositif analytique pour indiquer ou exprimer cela qui ne lui est pas arrivé : à savoir que l'analyste, suive sa mère, comprenant son désarroi, le prenne dans ses bras. Cela n'a pas eu lieu, et c'est ce trou qui est cause de ceci : Confronté à une brusque rupture des liaisons représentationnelles, c'est dans l'actualisation de la simultanéité processuelle, c'est dans la non-séparabilité entre mouvement hallucinatoire, forme perceptive et contenu représentationnel sur déterminé que se dégage le sens, par exemple la forme régressive sensorielle à caractère anal d'une odeur hallucinée du « sapin » (op. cit., p. 242). L'hallucination vient donc à la place de la rencontre toujours manquée avec l'analyste. Deux logiques, en effet, sont à l'oeuvre : celle du rêve et celle du deuil, et les prendre ensemble permet de mettre en valeur la co-pénétration du travail dans l'état de sommeil et du travail dans l'état de veille. Cela permet d'arriver à des énoncés aussi démonstratifs et simples que celui de cet enfant qui a accompli un travail de séparation d'avec l'objet : Maman pas là parce que papa. Ainsi cette psychanalyste fait-elle entendre l'acuité de son souci clinique : ne pas se tromper sur le moment ou le niveau de ce qui a lieu dans l'actualité de la séance. En marge de ce qui différenciait ces deux exposés, différences sur lesquelles la médiatrice a beaucoup insisté, je reprendrai, pour conclure, ce que dit Sára Botella à Catherine Chabert dans le cours de leur dialogue : Dans ce que tu as dit à ton patient, il y a de l'intuition immédiatement engagée. Toutes deux sont explicitement d'accord pour ne pas céder d'un pouce sur la complexité des processus psychiques, pour tenir ferme sur la différenciation de l'identification hystérique - sexuelle ou sexualisée - et l'identification narcissique - désexualisée -, non sans faire la part, dans cette dernière, de l'identification mélancolique comme particulière puisque identification à un objet mort. Et toutes deux mettent en œuvre l'intuition dans la cure analytique sans pour autant l'éclairer. On se prend alors à rêver, au bonheur que ce serait de proposer, en termes simples, à ces deux cliniciennes avisées, quelques concepts lacaniens poussés dans le terreau du champ freudien où, décidément insiste la question de savoir si c'est le fond qui manque le moins. Celui de forclusion, par exemple.
FRANÇOIS LEGUIL Huitième dialogue : Nathalie Zaltzman, Jean-Luc Donnet
D'abord une confirmation : à l'exemple de l'ensemble du Colloque, le huitième et dernier dialogue rassemblant autour de Jean-Louis Baldacci, Nathalie Zaltzman, ancienne présidente de l'OPLF (Quatrième Groupe) et Jean-Luc Donnet, membre titulaire, auteur connu et clinicien réputé de la SPP, autour du titre " Travail de la culture, travail de la cure", s'est déroulé dans une atmosphère affable, permettant un débat serein qui masquait pourtant deux positions assez éloignées lune de l'autre. Acceptons-le tout net : cette confirmation est pour nous celle d'une surprise qui a duré deux jours. Une bonne surprise de voir en direct des collègues, des aînés pour la plupart, qui nous sont apparus disposer de plus d'entrain que nous leur en prêtions, avoir plus de relief que leurs écrits, comme débarrassés dans leur majorité des palinodies que nous redoutions. Une surprise agréable qui n'aurait pas eu besoin d'un dîner avec Monsieur de Norpois pour rehausser les motifs de son contentement. Une manière générale de parler, toute d'entregent et de libéralités tranquilles, donnait à croire qu'après les années de bello civili, une sorte d'homéostase gagnait nombre de grandes provinces du pays de la psychanalyse. Après la guerre, la vraie, la deuxième et la mondiale, Jacques Lacan rêvait que sa recherche ? (sans) manquer aux exigences de la vérité ? puisse être défendue dans les formes courtoises d'un tournoi de la parole (Écrits, p.152). Ce week-end à l'UNESCO, nous étions très au-delà. Dans ce Colloque où la SPP s'ouvrait aux interlocuteurs qu'elle jugeait dignes de son ouverture, nous spectateurs sages et attentifs, nous nous sentions sur un pied que n'expliquent pas seulement les ressources de l'hospitalité. Il y a un ton SPP que nous ne soupçonnions pas, avec une sorte de lenteur accueillante, une componction d'ambassadeurs de la subjectivité (la formule est de Jean Cournut), une bonace oublieuse des conflagrations natales, une touches.p.père en somme. La chose était bien plaisante, mais invitait aussi à aller y voir de plus près. C'est que, s'agissant du huitième dialogue, Mme Zaltzman et M. Donnet ont chacun exposé à peu près l'exact inverse de ce que l'autre soutenait. Cela n'a pas échappé à Jean-Louis Baldacci dans un résumé qui les opposait terme à terme. Selon Nathalie Zaltzman le travail de la culture - nommé Kulturarbeit, à maints endroits de son intervention, sans que nous soyons assurés d'en avoir trouvé la notion aussi distinctement développée chez l'auteur du Malaise mérite à bien des égards d'être défini de la même manière que le travail de la cure ici autant que là, spécifique de l'être humain, une même contrainte de transformation du déplaisir en plaisir n'échappe pas à la nécessité d'une indexation au langage du désir. Ici comme là, un surcroît de ces dépenses d'énergies, convoyeuses de nouvelles représentations, signe la défaite momentanée de la compulsion de répétition, établissant entre travail de la culture et de la cure une convergence digne d'être nommée : guérison (on y a insisté : une guérison précaire et obtenue de haute lutte, mais gagnée par un surcroît de dépense et non pas de surcroît ; quod erat demonstrandum). La figuration des instances désirantes hors-moi, socle inaugural de la causalité psychique (causalité psychique, l'expression est attribuée par Nathalie Zaltzman au titre d'un ouvrage d'André Green), le devoir d'investir les terres étrangères du refoulé confirme l'isomorphie (le mot est de Baldacci) entre les deux procès, celui de la culture et celui de la cure, c'est-à-dire celui d'un soll ich werden désigné à deux ou trois reprises sous le vocable de psychisation. Cette pastorale freudienne pourrait-elle être conclue sur ce mot : psychisation, en lui promettant un bel avenir de difficultés de prononciation qui n'auront que peu à envier aux fameuses chaussettes delarchiduchesse, archisèches comme on chait ? Il y a plus sérieux et, nos aspirations de civilité galante dussent-elles en subir cette éclipse, nous avouerions que là où les thèses de Nathalie Zaltzman nous plongeaient dans une douce perplexité, la solide intervention de Jean-Luc Donnet y répondait avec le tranchant éloquent d'une talentueuse rigueur dans l'étude des textes freudiens. La reprendre serait l'amputer, mais l'on peut avancer quelle ne desservait pas notre fréquentation du Séminaire de Lacan consacré à L'éthique de la psychanalyse. Un pessimisme de l'action, n'insultant pas notre époque ni ne brimant nos résolutions, s'inspirait des certitudes du Malaise comme de l'invention de la pulsion de mort. On regrette seulement qu'une analyse convaincante du Surmoi dans la deuxième topique, avec sa double astreinte érotomaniaque et persécutive, n'ait pas été mise à l'abri dune confusion possible avec la normativation post œdipienne et la formation de l'idéal ; sans doute la distinction de la relation du sujet au signifiant et d'une clinique de la jouissance l'aurait-elle permis. Ne faisons pas trop les doctes en boudant notre intérêt, quand bien même celui-ci n'aurait pas été amoindri par une confrontation théorique plus aventurée.
ANONYME Conclusion : André Green
Nous avons demandé un compte rendu à un membre de la SPP, qui a souhaité conserver l'anonymat. André Green a clos le Colloque par un discours chaleureux et inspiré d'une demi-heure, évoquantle limon qui nous lie. Il révèle que nombre de nos collègues de l'étranger souhaiteraient que les Français fassent preuve de plus de simplicité. C'est, explique-t-il, que nous avons poussé l'analyse de Freud à un point où l'on ne la pas poussée ailleurs. Il souligne l'usage de la métaphore à la SPP, qui l'emporte sur la métonymie, et qui nous renvoie à la poésie et à la création, ce qui l'approprie à l'étude du psychisme. Il fait l'éloge de la rencontre, toujours surprenante. Il répète à plusieurs reprises, avec force, l'expression perte de maîtrise perdre sa maîtrise, c'est toute la psychanalyse. Il explique que le sujet apparaît en après coup de l'expérience intersubjective. Il complète les nombreux commentaires entendus au cours du Colloque sur le réel, en soulignant : 1) qu'il ne faut pas oublier l'horreur du réel ; 2) que le réel lacanien ressemble comme deux gouttes d'eau au ça de Freud. À propos du désir de l'Autre, il fait valoir que l'aliénation du sujet est doublement répétée (il ignore son désir, et aussi celui de l'Autre) ; 3) que la reconnaissance (Hegel) reste un outil actuel. On a oublié, dit-il, l'obstacle majeur : le fait que la parole participe à la constitution de son objet. Il souligne à propos du psychosomatique l'importance de ce qui n'a pu entrer dans les rets de la pulsion (transcription non garantie). Il évoque Bion sur la haine. Il croit que la théorie du lien chez Freud va plus loin que le symbolique de Lacan, car le symbolique est capable de son imaginaire (transcription non garantie). Bref, la contribution d'un Maître qui domine son sujet. Il vient de publier un ouvrage intitulé Idées directrices, présenté par l'éditeur (PUF) comme le testament d'un des plus grands psychanalystes actuels. On ne peut que s'associer à cette caractéristique quand on est un membre de la SPP, et, je l'espère, au-delà, car le même limon nous lie. Je précise que, si je ne signe pas, c'est parce que ce ne serait pas encore bien compris par les collègues avec qui je travaille. Mais ça viendra ! Je n'ai pu tout comprendre, il faudra lire les Actes.
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