L’éclipse du symptôme. L’observation clinique en psychiatrie 1800-1950. S. Demazeux par L.Le vaguerèse

L'éclipse du symptôme. L'observation clinique en psychiatrie 1800-1950
L'éclipse du symptôme

L’éclipse du symptôme

L’observation clinique en psychiatrie 1800-1950

Steeves Demazeux

Ithaque

Col Philosophie anthropologie psychologie.

360p 24€

 

On ne se débarrasse pas facilement des idées reçues, en particulier de celles qui ont pu prendre racine dans un contexte peu concevable aujourd’hui, celui du lacanisme triomphant et de la psychanalyse reine. Mais soyons rassurés d’autres se font jour et encombreront de la même façon les esprits de ce siècle. Donc, oui, la psychanalyse a partie liée avec la psychiatrie et plus largement avec les avancées de la médecine. Non, Freud n’est pas apparu dans le monde tout auréolé de la vérité qui sortait par sa bouche et sans lien aucun avec les idées et les concepts qui l’entouraient. Oui, il est légitime de prendre certaines de ses hypothèses avec du recul et j’ajouterai, non il ne suffit pas de lire Lacan pour que tout s’éclaire et que la clinique quotidienne ne soit plus qu’un jeu d’enfant.

 

Ceci étant posé – pour ma part depuis un certain nombre d’années - revenons au livre très intéressant de Steeves Demazeux. Cet ouvrage vient à la suite d’un autre consacré au DSM et que j’avais illustré d’une vidéo lors de sa sortie[1]. Il en constitue en quelque sorte le préambule, car bien entendu avant d’en arriver au DSM, la clinique, ou plus exactement la manière d’identifier les maladies pour les mieux reconnaître et les soigner, a bien entendu évolué radicalement au cours des siècles.

 

Le livre de Demazeux est intéressant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il fournit au fil des pages des informations intéressantes ensuite parce qu’il pousse la réflexion dans une dimension qui n’est pas habituelle au psychanalyste fut-il psychiatre par ailleurs. Et l’un des fils suivis par l’auteur tient dans le débat récurent sur la définition d’un symptôme et ce qui le différencie d’un signe. Le point de départ est relativement simple : les symptômes sont subjectifs, les signes objectifs. Malheureusement ces définitions élémentaires n’ont pas tardé à perdre de leur pertinence et à se complexifier.

 

Ce dont nous parle l’auteur, outre cette complexification, c’est notamment de la cassure qui s’est opérée dans un premier temps entre la médecine et ce qui allait devenir la psychiatrie, car si la première allait effectivement pouvoir sur l’instigation des médecins français comme Laennec, Claude Bernard et Broussais, se référer à des signes tangibles recueillis in fine sur le cadavre dans la salle de dissection , la psychiatrie elle cherchait en vain à s’appuyer sur des données concrètes pour asseoir son diagnostic, les pesées du cerveau ne lui ayant servi qu’à se perdre en conjecture.

 

On ne saurait condamner les aliénistes puis les psychiatres, car s’ils n’ont pu longtemps faire des progrès sensibles, cela tient d’abord à l’approche qui est la leur et aux outils dont ils ont disposé. Un pas essentiel fut lié à l’établissement des rapports de la Préfecture et aux certificats associés aux internements. C’est, pourrait-on dire, dans ses confrontations avec la question de la liberté et de la justice que la rigueur s’est invitée dans la description des symptômes et des signes et dans la rédaction des certificats dont une part nous est parvenue. L’autre obstacle fut que, jusqu’à l’apparition des neuroleptiques, il n’existait pas de traitement vraiment efficace, même si plusieurs tentatives avaient été faites à l’instar du traitement moral et de l’usage de divers procédés plus ou moins pertinents. Difficulté d’établissement d’un diagnostic et d’une classification des maladies, absence de traitement, la tâche était immense.

 

Ce que nous dit Steeves Demazeux c’est que c’est la statistique qui est devenue la caution « scientifique » de la psychiatrie et que cette caution prise d’abord avec toutes les précautions possibles pour préserver le rôle des psychiatres dans l’établissement du diagnostic et la préservation de la part nécessaire laissée à l’appréciation subjective a bientôt disparu pour faire place à un procédé laissant le moins de place possible à la subjectivité.

 

Ce qui est frappant lorsqu’il m’arrive de recevoir des patients qui ont été vus par des collègues non formés à la psychanalyse et plus généralement à la psychopathologie, c’est de voir à quel point la façon dont ces derniers ont été reçus témoigne d’un refus de comprendre. La consultation est expédiée en deux temps trois mouvements, l’ordonnance rédigée et la consultation terminée avant même que le patient ai pu seulement ouvrir la bouche. On peut alors évoquer l’hypothèse de la complexité croissante de l’exercice de la psychiatrie et une forme de confusion théorique comme l’une des raisons d’un tel comportement. Dans ce renoncement lié à la complexification et à la multiplicité des références théoriques, l’apport de la psychanalyse a joué un rôle non négligeable qui, c’est mon hypothèse,  a en quelque sorte conduit beaucoup de jeunes psychiatres à renoncer à comprendre sinon par le biais des processus chimiques qui pourtant n’éclairent pas grand-chose de la clinique. La forme et le fond de l’apport lacanien dont on peut tout affirmer sinon qu’il est simple à saisir n’a me semble-t-il fait qu’ajouter pour beaucoup de la complexité à la complexité et de la confusion à la confusion. La violence des échanges entre les analystes et la multiplicité des empoignades pseudo-théoriques n’a fait ensuite qu’amplifier le phénomène tout en éclairant toutefois pour les plus avancés certaines questions restées jusque-là fort obscures. Faute d’en retenir certaines données fondamentales, le bébé est parti avec l’eau du bain.

 

Je voudrais encore souligner un point. Steeves Demazeux fait correspondre tout au long de l’ouvrage et avec une certaine insistance la démarche du policier dans les romans avec celle du clinicien. Les premières pages portent sur l’analyse par Lacan de la lettre volée d’E.Poe et l’auteur y revient souvent par la suite. Certes, cette page de Lacan, m’a parmi beaucoup d’autres laissé quelque peu sur ma faim et je n’en ai guère tiré de profit. Lacan, il est vrai y revient avec insistance et met cette page en ouverture des Écrits. Sans doute peut-on supposer qu’il y tenait vraiment beaucoup. Pourquoi ? c’est une autre histoire. Pour autant est-il légitime de  tenir ce choix comme suffisant pour faire du médecin et de l’enquêteur de roman policier les deux faces d’un même personnage. Pour ma part je ne le pense pas, mais cela me semble de peu d’importance comparé à une erreur plus fondamentale et qui tient précisément de la poursuite de cette comparaison. Le psychanalyste, en ce qui le concerne n’est pas un enquêteur. Celui qui cherche  c’est le patient, dans une lutte interne avec sa propre subjectivité et ça, évidemment ça change tout. L’autre différence fondamentale, que l’on semble aujourd’hui avoir oublié c’est que le psychanalyste a fait l’expérience de son propre inconscient et bien plus que toute autre considération, celle-ci qu’il ne faut cesser de rappeler fait la différence avec toutes les approches fondées sur le savoir.

 

Steeves Demazeux pose sur la psychanalyse un regard sans appel : « l’épistémologie de la psychanalyse est dans l’impasse. Acculée par de féroces coups de boutoir pendant plus d’un siècle, elle a fini par se replier sur elle-même. On entend souvent dire que seuls les psychanalystes seraient en capacité de comprendre la singularité de ce qui se joue ben clinique psychanalytique. Et peut-être eux seuls seraient-ils en droit d’en parler convenablement…

Pareille stratégie défensive est récente et elle révèle l’isolement contemporain de la communauté analytique dans le champ scientifique »

 

Ma remarque précédente tendrait à prouver qu’en effet il est bien difficile pour un non-analyste de parler de la démarche psychanalytique. Cela ne veut pas dire que nous ne soyons pas à un tournant ni que les critiques venues d’autres champs lorsqu’elles ne sont pas débiles ne peuvent nous être d’aucune utilité et le livre de Steeves Demazeux en est la preuve flagrante. Oui, la psychanalyse est dans une impasse, comment en sortir c’est la question que je me pose tous les jours. Une génération est en train de laisser sa place. J’ignore ce que feront de cet héritage que nous leur laissons nos successeurs. Quel que soit l’avenir, ils ont assurément du pain sur la planche.

 

Laurent Le Vaguerèse

 

[1] Qu’est-ce que le DSM ? genèse et transformations de la bible américaine de la psychiatrie Ithaque 2013

Vidéo du prix oedipe des libraires 2014 : https://www.oedipe.org/prixoedipe/2014/livre/quest-ce-que-le-dsm

Mis à jour
03/03/2020