Au vitriol

Nouvelles remarques sur le passage à l'acte
Nouvelles remarques sur le passage à l'acte

Jean Allouch. Nouvelles remarques sur le passage à l’acte. Essais. EPEL 19€ 132p

Au vitriol.

Une chose est sûre. Avec ce livre , Jean Allouch ne va pas se faire que des amis. Le connaissant cela me surprendrait grandement que cela l’affecte et qu’il souhaiterai, comme Lacan à certains moments de son enseignement,  et que, peut-être ce coup de gueule serve à quelque chose et  introduise un semblant de débat dans une communauté analytique passablement assoupie. Dans son viseur, entre autre, un numéro de la revue La clinique lacanienne de 2013 dans lequel figure un dossier intitulé « passer à l’acte » dont Jean Allouch indique qu’il représente assez bien la pensée des analystes se revendiquant aujourd’hui  de Lacan.

Cela fait pas mal de temps que jean Allouch tente de sortir de son isolement et se heurte à un mur de silence. Il en est sans doute en partie responsable, du fait de son intransigeance mais c’est aussi ce qui fait sa force. Et ce ne serait que justice car ce livre est sans aucun doute l’un des plus pertinents et des plus intelligents de ces dernières années. Il fait suite à quatre ouvrages écrits sur le même thème. En collaboration avec Erik Porge et Mayette Viltard la « solution du passage à l’acte. Le double crime des sœurs Papin (1984)Marguerite ou l’Aimée de Lacan (1990) ; Louis Althusser récit Divan (1992) ; Ombre de ton chien ; Discours psychanalytique, discours lesbien (2004). J’ajouterai pour ma part le livre qui pour moi fait indiscutablement référence dans ce domaine « Erotique du deuil au temps de la mort sèche » ouvrage indispensable que tout analyste se devrait d’avoir lu.

 

L’ouvrage reprend ce terme de passage à l’acte qui est passé dans le langage courant et que les médias utilisent à foison et en particulier en ce qui concerne les actes violents et terroristes qui secouent régulièrement la planète. Je reprendrai ici l’une de ces interrogations et qui touche au spectacle finalement assez navrant des experts psychiatres  sommés de servir au tribunal un discours logique, compréhensible d’un acte qui semble à première vue incompréhensible et dont la violence provoque une certaine forme de révolte chez celui qui en saisit le récit. Suit un spectacle dans lequel les dits experts souvent d’avis opposés se ridiculisent assez régulièrement, leurs commentaires apparaissant aux yeux d’un honnête homme pour ce qu’il est : un discours confus, un vide orné de mots qui se veulent savants mais qui au fond n’aident en rien à la compréhension du dit « passage à l’acte »

 

C’est que Jean Allouch, s’aidant d’un concept forgé par Fethi Benslama, le saut épique, souligne la distinction indispensable à ses yeux entre ce qui fait récit dans le contexte de l’acte quel qu’en soit le caractère violent voir insupportable, et ce qui reste hors récit. Pour lui, les actes terroriste commis au nom d’une idéologie qu’elle soit politique ou religieuse ne relève pas du « passage à l’acte » mais bien plutôt du saut épique, le passage à l’acte lui ne relevant d’aucune sorte « d’explication » et la réclamer alors aux auteurs, la réclamer à des experts revient à ne pas en saisir l’essence.

 

Jean Allouch revient sur plusieurs exemples déjà abordés par lui dans ses ouvrages précédents, le meurtre de sa femme par Louis Althusser, le « roman » l’Amante anglaise de Marguerite Duras, le crime des soeurs Papin. Chaque fois l’éclairage qu’il donne est absolument limpide.

 

J’avoue que la vue  du moindre schéma supposément lacanien me fait immédiatement sauter la page en question. J’ai certainement tort mais enfin j’avoue que cela ne m’a jamais été d’aucune utilité dans ma pratique. Curieusement ceux figurant dans l’ouvrage m’ont parus très justes et compréhensibles, aidant réellement à la mise en perspective du texte.

Pour le reste une seule remarque. Après une lecture approfondie le livre est parti en mille morceaux. Un peu de retour sur la qualité de la confection ne ferait pas de mal car ce livre doit à coup sûr être conservé dans sa bibliothèque et pas en morceaux si possible

 

Laurent Le Vaguerèse

Mis à jour
11/11/2019