Décès de Claude Boukobza

Claude BOUKOBZA

Claude Boukobza nous a quittés ce lundi 4 juin 2012
Je n’oublierai pas son engagement constant de travail dans et pour l’association Espace Analytique dont elle a été une Présidente rigoureuse, mais jamais dogmatique, exigeante, toujours affable, conviviale, mais jamais complaisante ni laxiste, garante d’une psychanalyse théorique et clinique toujours en cheminement et en question, ouverte à tous les courants majeurs de notre discipline .
Élève de F.Dolto et de M. Mannoni et riche d’une longue expérience elle a aussi été cofondatrice et responsable de l’unité mère –Enfants de l’hôpital de Saint-Denis (93), chargée de cours à l’université de paris 7 ,fidèle à ce qui nous a été transmis par ces grandes psychanalystes :entre autres : le goût et le plaisir d’un travail créatif, sans relâche innovant, et toujours risqué, avec les enfants et les jeunes en grandes difficultés et leurs familles, l’engagement dans la formation de nos jeunes collègues, l’écoute des patients .
Claude n’a jamais ménagé sa peine, y compris très fatiguée et éprouvée par la maladie, pour être de tous les combats
contre la ségrégation et l’exclusion* et les attaques virulentes dont la psychanalyse a été souvent l’objet, surtout ces dernières années .
De ce travail incessant de la défense et illustration de la légitimité particulière de notre discipline et de notre pratique clinique singulière – qui n’exclut en rien la nécessité du dialogue et de la confrontation avec les autres disciplines s’intéressant aux mêmes champs que la nôtre, avec de toutes autres recherches, théories et pratiques, de ce dialogue qu’elle savait susciter et soutenir patiemment et fermement dans l’association et hors d’elle – témoignent ses très nombreuses conférences, écrites, et participations à des colloques, congrès, et ouvrages .*

Nous partagions engagements dans la cité et goût de la transmission, ouverture théorique et passion de la clinique, et, plus personnellement , amicalement ,et ce pour des motifs différents et propres à chacune , un attachement particulier pour le Maroc où la psychanalyse tente aussi de faire sa place dans le champ du savoir et de la pratique .nos échanges de travail au sujet des patients, adultes ou enfants ou analystes en formation que nous pouvions à l’occasion nous adresser l’une à l’autre,en toute confiance, ont toujours été par téléphone, rue Bonaparte,rue de Bourgogne,et en tant d’autres lieux, aisés, féconds, conviviaux ,dynamisants, et utiles à ces patients et pour nous-mêmes .

Claude restera, pour tous ceux qui l’ont connue estimée, appréciée, aimée, cette femme courageuse, élégante, souriante, chaleureuse, discrète, accueillante, et cette analyste créative ,consciencieuse, militante, que nous n’oublierons pas, elle est partie trop tôt et si vite, lui restent acquises mon amitié et ma grande estime .

Il a plu sur la ville comme dans les cœurs de ses très proches en cet après-midi gris de juin où elle a été inhumée, mais comme le dit le poète : « le vrai tombeau des morts c’ est le cœur des vivants » ( Jean Cocteau)
Régine Mougin
*Entr’ autres travaux écrits :
À quoi sert l’école ? ( Audibert 2002)
La psychanalyse, encore- sous sa direction ( Érès 2001)
Les écueils de la relation précoce mère -bébé ( Érès 2007)
Clinique psychanalytique de l’exclusion ( avec Olivier Douville et Michèle Benhaim )Érès 2012

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Hommage à Claude BOUKOBZA (7 juin 2012)

J’ai connu Claude Boukobza en 1988, elle fut ma première analyste-contrôle.
J’ai été ravi de la connaître au début de mon activité libérale. Elle a su m’éclairer quant à de nombreux cas que j’estimais délicats, complexes et risqués à traiter lorsque l’on débute sans filets. Elle m’a toujours encouragé pour que je les suive en me garantissant qu’elle serait là, prête à en parler et m’éclairer dès que nécessaire. Et ce fut toujours le cas. Je me souviens de cette formule en parlant d’un patient difficile, « …vous pouvez le recevoir, on sera deux à le traiter ». Cela ne veut rien dire, bien sûr, nous n’aurions pu être deux face au patient, mais cette formule m’avait bien encouragé.

J’avais notamment apprécié sa grande souplesse : pouvoir lui présenter des difficultés ponctuelles et différentes lors de nos séances. C’est-à-dire qu’elle m’autorisait à ne pas me restreindre à un patient unique, en relatant la manière dont je menais la cure avec lui. Au contraire, de séance en séance, je pouvais exposer tel ou tel cas indistinctement qu’il s’agisse de patients en institution ou en libéral, enfant, ado ou adulte. Cette liberté qui m’était donnée rompait radicalement avec les supervisions plus rigoristes centrées sur un ou deux cas maximum. La diversité des pathologies dont nous traitions, les positions transférentielles en jeu avec mes patients, le contre-transfert que j’apprenais à manier grâce à elle, etc. tout cela lui revenait très vite à la mémoire, car elle savait puiser finement (dans les notes qu’elle prenait) le point nodal que nous avions travaillé auparavant. Sa clairvoyance affutée me servait de tremplin pour aller plus avant avec mes patients.
Je garde en mémoire son accueil, sa courtoisie et même sa gêne non feinte, lorsqu’elle devait habillement « redresser la barre » face à mes interprétations hâtives ou ma pratique peu trop hésitante avec les enfants. Elle était tout simplement gentille, discrète et toujours bienveillante.

Au 1, rue Bonaparte, ce grand escalier qui menait à son appartement me laissait le temps de me couper du tumulte du quartier de Saint-Germain-des-Prés. Petite salle d’attente dans le couloir. Je regardais par la fenêtre pour permettre au patient précédent de ne pas croiser mon regard. Une minute ou deux passaient puis je montais les quelques marches qui menait à son très petit bureau. Fauteuil de cuir rouge, en accord avec son étole, son rouge à lèvres, son carnet de rendez-vous. L’exiguïté du lieu produisait de fait une contention intérieure qui favorisait selon moi la retenue, la retenue des idées, la concentration de ce qui méritait d’être apporté à la supervision. Une sériation des éléments à livrer selon une priorité nécessaire à son analyse à elle. Tout concordait alors et l’on se sentait à l’aise pour parler. Elle savait mettre à l’aise.

Lorsqu’il s’agissait pour moi de parler d’un enfant, je notais souvent un changement de position dans son fauteuil. Elle tendait encore plus l’oreille et je vois encore ses sourcils droit et gauche onduler au point de former un S horizontal. Manière comme une autre de m’indiquer qu’elle était encore plus attentive. Pour exagérer le trait, elle semblait dire « On me parle d’un enfant, l’heure est grave, soyons attentifs ». Les cas d’enfants qui me posaient le plus de problème étaient ceux que l’ASE me confiait par le biais des assistantes maternelles ou des foyers maternels où ils résidaient, séparés de leurs parents. Claude Boukobza avait cette finesse d’écoute, le sens clinique qui fait passer au crible tous les aspects des premiers mois du développement de l’enfant. Du reste c’est bien parce que je connaissais ses écrits et sa pratique institutionnelle centrée sur la dyade mère/enfant dans leur relation précoce, que je m’étais adressé à elle.
Puis, c’est elle qui, un jour, m’a indiqué que nous pouvions espacer les séances de supervisions et passer à une rencontre mensuelle. Au terme de quatre années et à la faveur des vacances d’été qui approchaient, elle avait eu cette phrase « Si vous avez vraiment besoin de revenir après les vacances, n’hésitez pas ». Tout tenait dans ce « vraiment ». La délicatesse de cette femme était à l’image de ses formules, toutes en douceur et toujours bienveillantes. Nous nous sommes adressé mutuellement quelques patients et j’ai pu la conseiller à de nombreux collègues en recherche de supervision.

Je regrette de ne m’être pas rendu à l’une de ses dernières conférences, celle donnée aux Séminaires Psychanalytiques de Paris, il y a quelques mois. Je garderai tout de même de Claude Boukobza le souvenir d’une analyste chaleureuse qui m’aura aiguillé durant les premières années de ma pratique analytique.
La meilleure manière que j’ai trouvée d’honorer la mémoire de Claude Boukobza tient dans le fait qu’aujourd’hui, dans ma pratique de superviseur avec les jeunes analystes, émane ce que j’ai appris d’elle tout au long de ces quatre années. J’ai dû intérioriser le meilleur de ce qu’elle m’a apporté.

Harry IFERGAN

Localisation: Paris

Régine Mougin, Harry Ifergan