Décès d'Anne Dufourmantelle

Décèss d'Anne Dufourmantelle

 

« Les membres du conseil d’administration du Cercle Freudien ont la grande tristesse de vous annoncer le décès accidentel de notre collègue Anne Dufourmantelle survenu le 21 juillet à Ramatuelle.

Anne était une psychanalyste aux qualités humaines exceptionnelles talentueuse et inlassable chercheuse.

C’est une immense perte pour la communauté analytique et pour le Cercle Freudien. »

 

Guy Dana

 

Comme vous avez pu le lire par ailleurs, Anne Dufourmantelle a trouvé la mort en tentant de porter secours à deux enfants en train de se noyer sur une plage du sud de la France.

 

Pour notre part nous avions eu à plusieurs reprises, à l’occasion de la parution de ses livres, le plaisir de rencontrer Anne Dufourmantelle. Elle avait été sélectionnée en 2010 dans le cadre du « Prix oedipe des Libraires » pour son livre « En cas d’amour » dans lequel elle décrivait notamment les différents conflits que peut engendrer ce sentiment. Une difficulté technique nous empêche pour l’instant de rediffuser l’interview faite par Isabelle Carré, mais elle sera prochainement à nouveau disponible.

 

Plusieurs articles ont été publiés à la suite  de ce décès retraçant la carrière très riche de notre collègue. On pourra s’y référer pour consulter sa biographie ainsi que la liste de ses publications..

 

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Anne_Dufourmantelle

 

Nombre de ses livres figurent  sur le site oedipe.org où vous pouvez vous les procurer.

 

Un très bel hommage lui a été rendu par Élisabeth Roudinesco dans l’édition du « monde » daté du mercredi 26 juillet.

 

Sur OEdipe vous pourrez lire notamment les critiques de Robert Bitoun au sujet de son livre au titre prémonitoire « Éloge du risque »et « En cas d’amour »

 

http://www.oedipe.org/prixoedipe/2010/dufourmantellebitoun

 

http://www.oedipe.org/prixoedipe/2010/dufourmantellebitoun

 

Anne Dufourmantelle

 

Philosophe, psychanalyste

 

Née à Paris le 20  mars 1964, Anne Dufourmantelle a trouvé la mort le 21  juillet, sur la plage de Pampelonne, près de Ramatuelle (Var), dans des circonstances tragiques en portant secours à deux enfants en difficulté, finalement sains et saufs. Au cours de ce sauvetage, Anne Dufourmantelle a succombé à un arrêt cardiaque. Elle avait 53 ans.

 

Philosophe, romancière, psychanalyste, auteure d'une œuvre importante, elle était la fille d'une psychanalyste d'obédience jungienne et avait soutenu sa thèse de philosophie en  1994 sous la direction de Jean-François Marquet, avec pour thème : " La vocation prophétique de la philosophie ". Elle en fera un livre (Cerf, 1998). Elle y donnait un portrait fulgurant de deux figures emblématiques du " dessaisissement subjectif " : Cassandre, sombre personnage de la tragédie d'Eschyle, et Jonas, prophète de la Bible. L'une incarne la voie de la fatalité, l'autre indique que la prédiction inaccomplie ouvre à un avenir où l'homme accède à une humanité spirituelle. Le destin de ces deux héros retiendra sans cesse son attention.

 

" Humanité exceptionnelle "

 

Amie de Jacques Derrida et d'Avital Ronell – elle publiera un dialogue avec chacun (De l'hospitalité, Calmann-Lévy, 1997, et American Philo, Stock, 2006) –, elle mêlait avec bonheur ses activités de philosophe et de psychanalyste, tout en étant à la fois éditrice (d'abord, chez Calmann-Lévy, puis chez Stock) et chroniqueuse au journal Libération. La compagne de l'écrivain Frédéric Boyer était aussi diplômée de l'université de Brown (à Providence, Etats-Unis) et enseignante à NYU, se réclamant d'une inspiration spinoziste pour cerner les relations entre fatalité et liberté, thème majeur de l'ouvrage qu'elle consacra en  2007 à La Femme et le Sacrifice. D'Antigone à la femme d'à côté (Denoël).

 

Analysée par Serge Leclaire et membre active du Cercle freudien, elle recevait ses patients avec une douceur extrême, au cinquième étage sans ascenseur de son cabinet de la rive gauche.

 

Cette " chercheuse inlassable ", comme le souligne le psychiatre et psychanalyste Guy Dana, son ami et " superviseur ", faisait preuve aussi d'une " humanité exceptionnelle ", attentive aux souffrances d'autrui et prête à se dévouer en toutes circonstances.

 

Elle regardait le rêve comme l'instrument majeur d'une transformation de soi : " On peut rendre fou quelqu'un, disait-elle, en l'empêchant de rêver. On peut aussi sauver sa vie en écoutant -ses rêves à temps. " (L'Intelligence du rêve, Payot, 2012).

 

En  2009, dans En cas d'amour. Psychopathologie de la vie amoureuse (Payot), elle décrivait les souffrances des couples – querelles, jalousies, séparations, trahisons – en se demandant pourquoi tant d'hommes et de femmes prennent un malin plaisir à répéter inconsciemment des situations anxiogènes au point de transformer leur vie en supplice permanent. Mais surtout, elle se demandait en quoi la dictature de la transparence, propre à la société postmoderne, portait atteinte à l'intimité de chacun. D'où sa réflexion sur une nécessaire Défense du secret (Payot, 2015).

 

Anne Dufourmantelle n'était pas tendre avec les mères. Dans un essai de 2001, La Sauvagerie maternelle (Calmann-Lévy), elle n'hésitait pas à affirmer que toute mère est sauvage, en tant qu'elle fait le serment, inconsciemment, de conserver toujours en elle le lien qui l'unit à son enfant depuis la naissance. Et elle soulignait que cette attitude se perpétuait bien souvent de mère en fille.

 

Et pourtant, face aux violences du monde contemporain, elle soutenait l'idée que la douceur est une puissance infinie. Elle en faisait une fête permettant de transformer " l'effraction traumatique " en créativité : " La douceur appartient à l'enfance, elle est un retour sur soi, le nom secret de la beauté et de l'élan mystique " (Puissance de la douceur, Payot, 2013).

 

C'est dans un livre de 2011, Éloge du risque (Payot), qu'elle développe ce qui a     été son engagement le plus émouvant. Elle y commente en effet la célèbre phrase d'Hölderlin : " Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve " pour affirmer que ce temps du risque – celui des résistants – serait le contraire miraculeux de la névrose. Prendre le risque d'aimer, de vivre afin de s'extirper de toute dépendance, tel serait pour le sujet l'essentiel de toute forme d'éthique. Anne Dufourmantelle aura eu, jusque dans cette mort tragique, le courage de se saisir du magnifique poème d'Hölderlin.

 

élisabeth Roudinesco

 

© Le Monde