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Donner ou ne pas donner ? Is that the Question ?

Par Robert Bitoun, vendredi 26 septembre 2008 Conférence écrite dans le cadre d’une soirée caritative organisée par l’association B.E.A, mai 2008.

Je me propose de vous faire part de quelques réflexions concernant ce que, finalement, j’en suis venu à appeler « la Chose du Don », comme on dit la Chose pour parler de la découverte freudienne. La pensée du don a quelque chose du fuyant, d’inapproprié à la raison, un peu comme l’inconscient. Et parce que je suis peut-être plus psychanalyste que philosophe, j’aurais tendance à dire qu’au début était l’amour. C'est-à-dire : le don de ce qu’on a pas. Je reviendrais sur cet aphorisme du psychanalyste J. Lacan. Le philosophe, lui (en bon vitaliste), dirait peut-être : non, au début était la vie. La donation suprême. La vie nous est donnée. Certes. Mais nous la rendons – non pas seulement en donnant la vie - mais en rendant la vie, par la mort. C’est le cadeau empoisonné de la vie. Le philosophe pointe là quelque chose qui est au cœur du problème du don – son ambivalence, son ambitendance, et, le caractère vaniteux qui guette toujours le donateur, et son donataire. L’ambivalence est inexpugnable du don : le grec dosis le dit bien - à la fois le don mais aussi la dose pharmaceutique qui tue ou guérit selon la dose. Mais le vieux français aussi avec potard, la potion est aussi bien poison. La Chose du don est en effet marquée d’une telle ambivalence que c’est à se demander si le don n’est pas constitutif de l’ambivalence de l’humain comme tel. Il semble aussi que la question du don ne se laisse pas facilement « expertisée ». Elle comporte en elle une forme d’interdiction sacrée. Il nous faut, semble-t-il toujours pouvoir dire qu’il y a du don. Il y a là un appel humaniste. Ce « Il faut qu’il puisse y avoir eu don », quelqu’en soit la forme, tente t’il de sauver ce qui s’évanouit dans l’achèvement même de son procès ? Est-ce un cri ? Un cri d’amour ? D’alarme ? Sans doute… Peut-être… A moins qu’il n’y ait là qu’un dit, qu’une façon de s’imaginer que l’humain est toujours possible dans un monde où l’inégalité est la règle, un monde naturel en somme. A moins qu’il n’y ait là qu’un simulacre déguisé derrière l’urgence, derrière l’horreur, toujours.

Mais enfin, quoi qu’on en dise, vous êtes là en partie pour en attester, le don, quoi qu’il soit, peut rassembler, peut faire lien – au moins entre donateurs. Je dis cela parce que vous constatez comme moi qu’on donne de plus en plus a des inconnus. Mais donne-t-on vraiment à un inconnu. Ou bien à celui qui nous soumet sa cause. A l’intermédiaire. Et donc plus précisément à une cause. Et faisons-nous corps nous-mêmes avec cette cause ? Il semble que nous n’en ayons nul besoin. Je veux bien que l’on soit touché personnellement par une cause - mais là justement le mot « cause » le dit : c’est finalement la cause qui nous oblige à produire cet effet : celui de donner. La cause serait finalement ce qui est perdu, ce qui est abandonné, et auquel on dirait pardon - par le don, plus précisément. Par la culpabilité de celui qui reste.

Alors qui est le vrai donateur ? Celui qui donne, celui qui reçoit ? L’authentique donateur, n’est-ce pas celui qui reçoit en reconnaissant le présent comme don ? Sans la personne qui reconnaît avoir reçu un don, y a-t-il don ? Mais cette reconnaissance ne s’opère-t-elle pas dans la surenchère du don, par un don du donataire ? Ce cycle est-il condition du don ? Et finalement n’y a-t-il pas don véritable qu’en quand aucune des parties ne sait qu’elle a donné ou reçu (la reconnaissance transformant en échange le don – et donc l’annulant - puisqu’il y a gratification en retour) ? Et contrairement à l’échange ou au commerce, l’objet ne s’évanouit-il pas après avoir été donné et reçu ? Et qu’est-ce qui est véritablement donné ? L’objet, l’argent, une satisfaction ? Un plaisir ? Ou bien quoi alors ? Qu’est-ce qui différencie le simple échange du don ? Chacun a sa réponse, on s’arrange avec le fait que l’intention y était – c’est le geste qui compte comme on dit – mais justement, le don supporte-t-il la comptabilité ? Autre question inévitable : tout don implique-t-il une dette ? Question que l’on peut décliner ainsi : la dette doit-elle vérifier le don, en être sa cause première ? Le don doit-il mettre en dette celui qui reçoit ? Le don nous préoccupe peut-être beaucoup plus aujourd’hui – et ce malgré les poussées de l’humanitarisme de masse – que parce que nous l’avons peut-être perdu depuis l’avènement de l’Homo Œconomicus. Le don est en effet contaminé par l’échange marchand qui l’a transmué dans le registre comptable du donnant-donnant, et, d’autre part, par la charité chrétienne qui en a généralisé l’obligation et condamné la monstration en le dogmatisant. « Donne mais cache toi ! » D’un côté l’aliénation marchande et la jouissance sous la forme de la plus-value, de l’autre, la jouissance d’un surmoi par la culpabilité. Confusion de l’échange et du don, c’est la naissance du service payant avec plus-value. Confusion de la charité avec la pitié – c’est la situation de la mendicité, qui s’affirme de plus en plus comme un péage obligatoire.

Je vais prendre trois perspectives qui me semblent intéressantes parce qu’elles ont l’avantage de s’exclure à priori tout en se répondant les unes les autres sur des points qui me paraissent cruciaux. La perspective de la sociologie et de l’anthropologie à travers la question des origines du don et de son caractère social. Celle de la philosophie qui soumet le don à la rude épreuve de son phénomène : se peut-il qu’il y ait vraiment don, observable ? Et enfin, je terminerai avec la psychanalyse qui pose la question de la transmission, de l’amour et de la dette.

Le don ouvre à la dimension comme telle du social – c'est-à-dire du lien. On ne parle pas de lien économique en tant que tel ? L’économique c’est donnant-donnant à minima – et plus-value si affinité. Je te donne, tu me payes, on est quitte ! Ici, le don, ne serait-ce que par sa prétention à la gratuité prend son caractère d’anomalie.

Nous, nous sommes dans la socialité secondaire, celle de l’Homo-Œconomicus, et cette société est réglée par des lois impersonnelles : la loi du marché, la science, la technologie, la nature, tout ça, c’est fonctionnel et du même coup c’est impersonnel. Et bien Marcel Mauss est celui qui a ouvert à partir de ses travaux d’anthropologue et de sociologue à une pensée du Don (Cf. Essai sur le don, 1923). C’est une œuvre majeure parce qu’elle constitue aujourd’hui le socle à partir duquel on peut commencer à penser le don. Et pour vous le dire tout de suite – Pour Mauss, le don c’est le Fait social total. Ca veut dire : le fait qu’il y ait du lien, ça ne passe par rien d’autre que – d’abord – par le don.

Que nous dit Marcel Mauss ? Que dans un grand nombre de sociétés, dites primitives (on ne sait trop pour quelles obscures raisons), ce qui préside à leur constitution comme principe fondateur, c’est le don et non l’échange marchand. C’est bien plus qu’une hypothèse, c’est pour M. Mauss la matrice même de nos sociétés. Mais attention, il ne s’agit pas d’un don-charité. Là, il s’agit du don dit agonistique. Ce don s’articule essentiellement à partir d’un cycle renouvelable : le donner-recevoir-rendre. C’est un don de rivalité, de pur prestige. Le donner-recevoir-rendre est une guerre. Mais c’est une guerre de générosité, une guerre dans laquelle chacun doit se montrer le plus généreux possible. C’est l’objectif, notamment du rituel du potlatch où l’on aplatit son rival pour le « mettre à l’ombre de son nom ». Ici, donner c’est détruire, c’est montrer qu’on est prêt à reculer devant son bien. Le potlatch témoigne en effet du recul de l'homme à l'endroit des biens « en tant que c'est ce à quoi il a affaire dans son destin » pouvait dire Lacan dans son séminaire sur l’éthique de la psychanalyse, « à la destruction avouée des biens, qu'il s'agisse de propriété collective ou individuelle. » Mais donner, montrer qu’on est supérieur en générosité, en puissance donatrice, c’est humilier son prochain. Celui qui ne peut pas rendre tombe alors sous le pouvoir de son donateur. Mauss, nous dit à quel point ces dons se déploient dans un climat d’hostilité. On est prêt à retomber à tout moment dans guerre pour de vrai.

Nous sommes aujourd’hui assez loin du donner-recevoir-rendre, en tout cas dans sa dimension intercommunautaire. Qu’en reste-il sinon la course aux cadeaux à Noël, qui ressemble assez au Potlatch par son caractère délirant. On peut tout de même pointer que le caractère agonistique s’est dissout dans le système de la concurrence. S’y est donc perdu le don comme tel. En cela l’humanitaire relèverait plus de la solidarité héritée de la charité (Caritas, cherté) chrétienne que de ce don originaire. Mais après tout la démocratie n’est-elle pas une forme radicalisée du donner-recevoir-rendre ? L’émergence, voire la démultiplication des associations de tout poil, retrouvant je crois la triplicité du don non pas agonistique, mais du cycle repéré par Mauss. Ce qui prouverait que l’homo-œconomicus peut cohabiter avec l’associatif, ou l’humanitaire. Mais avouons que ça n’empêche pas d’exister comme dirait l’autre, d’humilier son prochain, de jouir de lui, de le tuer, de l’exterminer (je fais ici référence à Freud dans Malaise dans la civilisation, où il critique le commandement chrétien : aime ton prochain comme toi-même). On peut y voir l’instrumentalisation des associations et l’instrumentalisation des donateurs par les associations elles-mêmes. C’est pour ça qu’il ne faut pas se gausser trop vite d’une possible coexistence avérée ou non, du donnant-donnant et du don.

A moins qu’un don soit possible au-delà de tout présupposé historique ? C’est ce à quoi s’est rompu la langue du philosophe Derrida, en montrant le caractère d’impossibilité du don. Plutôt qu’un long discours, je vais vous lire un passage de Donner le temps. 1. La fausse monnaie, chap. I.

Extrait « Pour qu'il y ait don, il faut que le donataire ne rende pas, n'amortisse pas, ne rembourse pas, ne s'acquitte pas, n'entre pas dans le contrat, n'ait jamais contracté de dette. (Ce « il faut », c'est déjà la marque d'un devoir, le devoir de-ne-pas... : le donataire se doit même de ne pas rendre, il a le devoir de ne pas devoir, et le donateur de ne pas escompter la restitution.) Il faut, à la limite, qu'il ne reconnaisse pas le don comme don. S'il le reconnaît comme don, si le don lui apparaît comme tel, si le présent lui est présent comme présent, cette simple reconnaissance suffit pour annuler le don. Pourquoi ? Parce qu'elle rend, à la place, disons, de la chose même, un équivalent symbolique. Le symbolique ici, on ne peut même pas dire qu'il re-constitue l'échange et annule le don dans la dette. […] La simple identification du passage d'un don comme tel, c'est-à-dire d'une chose identifiable entre quelques « uns » identifiables, ne serait autre que le procès de la destruction du don. Tout se passe comme si, entre l'événement ou l'institution du don comme tel et sa destruction, la différence était destinée à s'annuler constamment. À la limite, le don comme don devrait ne pas apparaître comme don : ni au donataire, ni au donateur. »

Finalement le choix de l’anonymat est de donner au don une implication pure du sujet et ainsi de se rapprocher de cet impossible. Mais n’est-ce pas en même temps l’assurance de ne pas être pris en flagrant délit d’auto-gratification ?

 

Proche de cette critique du phénomène et la possibilité de l’acte du don (c'est-à-dire son impossibilité d’en attester la valeur) on trouvera au Moyen Age, une certaine idée de la pureté du don chez le philosophe Maimonide qui distingue sept degrés dans la charité :

(1) Donner, mais tristement.

(2) Moins qu'il ne convient, mais de bon coeur.

(3) Seulement après avoir été invité à le faire

(4) Avant

(5) De telle sorte que l'identité de celui qui donne soit ignorée de celui qui reçoit.

(6) De telle sorte que celui qui reçoit ignore l'identité de celui qui donne.

(7) De telle sorte que l'un et l'autre agissent incognito.

Mais que nous dit Derrida qui, en fait, saisira plus tardivement l’occasion d’une critique du philosophe Marion sur le fait que Derrida aurait traité seulement de l’économie du don dans son apparaître comme tel ? C’est que si le don est impossible comme apparaître, comme existant, il n’en conclut pas qu’il n’y a pas de don. On est sur une limite. Mais cette limite cache en fait un retournement. Le don est impossible, donc le don c’est l’expérience même de l’impossible – bref il apparaît en tant qu’impossible – mais justement la disparition du donataire, du donateur et du donné, c’est précisément ce que réalise le don, ce qu’il doit réaliser, mais alors il disparaît, mais alors il est impossible (phénoménologiquement) . Il ne s’agit donc pas d’une évacuation du don mais du registre de l’impossible qui se manifeste, car si le don se manifeste, on retombe dans l’échange. En gros, il réfute Mauss parce que faire du don un échange, c’est de la sociologie. Mais le don, c’est là que j’interprète Derrida, c’est l’humain en tant qu’il tente l’impossible. On rejoint le caractère non pas humanitaire, mais humaniste du Don.

Si le philosophe ne faisait pas l’économie de la Chose Freudienne, l’inconscient, alors peut-être pourrait-il faire le pas de plus. Je court-circuite peut-être cette donation du don en en faisant un échange inconscient – ici, sur l’Autre scène, l’ob-scène, rien n’apparaît au sujet - mais il me semble que ça a tout son intérêt parce que le don retrouve alors une efficace, hors de son impossibilité parce qu’il surgit hors de la conscience du donataire, du donateur et même du donné. Au fond, on peut penser que le don Maussien de la surenchère se réconcilie avec le don limite indécidable de Derrida avec la psychanalyse. Mais je prendrais les choses autrement.

Finalement, le don, c’est une métaphore. Une métaphore du lien. C’est même le lien lui-même qui advient dans la métaphore du don. Et l’amour ? C’est aussi une métaphore. C’est l’aimé qui se substitue à l’aimant – comme dans le don où celui qui reçoit apparaît comme le vrai donateur – ordonnateur – du lien. La « surenchère » est ce qui officie dans la métaphore du don, et de l’amour. Lacan avait une formule qui peut nous guider et qui rassemble les deux métaphores en une seule. Aimer c’est donner ce qu’on n’a pas. Donner ce qu’on a ce n’est pas l’amour, c’est – au mieux – la fête. Là, le don apparaît nettement sur le versant de la dette. Mais finalement, le proverbe « Un " tiens " vaut mieux que deux "tu l’auras " » dit mieux que personne qu’on ne reçoit qu’au prix d’une perte. L’amour – « c’est donner de ce qu’on n’a pas » donne encore une indication – c’est que c’est notre manque à être, irréductible à un défaut, une carence, est condition de l’amour, du lien. L’amour est enfant de bohème, de pauvreté. Vous le savez sûrement, mais le concept de libido pour Freud, c’est une façon de généraliser le lien d’amour – d’ailleurs il n’y a pas d’autre forme de lien – alors aimer le pied d’une femme, aimer son ami(e), aimer sa patrie, aimer son chien – pour Freud c’est pareil – c’est du sexuel inhibé quand au but. Donner, ce serait l’acte par lequel s’inaugure le lien au sens fort du terme. Comment donner ce qu’on a pas – cette métaphore qui substitue autant le donataire et le donateur que l’aimé et l’amant, se réalise par le biais de la dette. Et que doit-on si ce n’est ce qu’on a pas pu rendre autrement que par une autre dette ? Là serait le don véritable parce qu’il ne souffre d’aucun échange, il est donné à l’enfant quelque chose qu’il ne peut rendre parce cette chose est quelque chose qui touche de prêt à notre propre manque à être.

Dans le film Mr Schmidt, Jack Nicholson incarne un personnage dont on veut nous faire croire qu’il n’a de sentiment que pour lui-même, alors que justement il est incapable d’en avoir, parce que c’est un obsessionnel – et qu’un obsessionnel dans son genre c’est quelqu’un qui pousse le doute presque jusqu’à son dernier terme pour s’assurer qu’il ne doit rien à l’autre. (mais justement, il ne va pas assez loin pour se rendre compte à quel point cela est dérisoire) – il ne peut lâcher la moindre parcelle d’amour, parce qu’il sait l’égoïsme dont tout amour est frappé. La dérision de la névrose obsessionnelle c’est de vouloir s’acquitter d’une dette symbolique avec du cash. De découvrir sous le symbole, le signe qu’il ne doit rien. A la fin du film, on le retrouve effondré, en pleurs devant le dessin d’un petit enfant qu’il avait parrainé sans conviction à la seule vue d’un petit slogan télévisé. Qu’est-ce qui émeut ? – sûrement pas qu’un monstre s’humanise. C’est qu’il s’est trompé toute sa vie en voulant faire du symbole un signe – il a refusé au don sa capacité d’ élever l’échange à la dignité du symbole, et donc de la dette. Il le paye d’une solitude où rien ne se transmet puisque rien ne se transmet autrement que par la dette. Comme on le voit, l’amour et le désir peuvent attendre. Le donnant-donnant laisse de moins en moins de perspective à un monde où nous pourrions envisager notre prochain autrement que par le biais des services des biens.

Si donner c’est aimer avec ce qu’on n’a pas, irais-je jusqu’à dire que, d’une certainement manière, l’humanitaire donne ce qu’il n’a pas, en demandant aux autres de donner ? Qu’il y ait une résistance à l’amour dans un monde où l’on ne donne que ce que l’on a, et ce, plus que pour la fête, plus que pour les réjouissances, pour notre Jouissance, ça c’est certain. Le processus de désymbolisation est en marche depuis belle lurette parce nous aurions refusé à l’amour sa faculté de ramener la jouissance au désir de l’Autre.

Lorsque L’abbé Pierre raconte la fondation des communautés Emmaüs (qui n’ont pas été fondées au moment de l’appel radiophonique de 1951 pour héberger les SDF, mais trois ans auparavant) il rappelle qu’il hébergeait alors un camarade de déportation qui venait juste de faire une tentative de suicide. Il rapporte la chose ainsi : « subitement, sans réfléchir, » dit-il, « j’ai fait le contraire de la charité, le contraire de la bienfaisance. Au lieu de lui dire, je vais te donner quelque chose à manger, à boire, le gîte, le couvert, je lui ai dit, non je n’ai rien. La seule chose que je puisse te demander, de toute façon tu n’as plus rien à perdre, c’est de m’aider à aider les autres. J’ai fait le contraire de la bienfaisance, autrement dit, je n’ai pas donné, j’ai demandé à l’autre de donner ».

En conclusion, le cycle originaire du donner-recevoir-rendre nous permet à la fois de saisir à quel point notre lecture est empreinte de simplifications mystifiantes : les socialités primaires supportaient certainement bien mieux que nous l’ambivalence du don, c’est-à-dire l’obligation et la liberté en même temps que l’aimance et l’intérêt. En cela, supporter l’ambivalence c’est faire quelque chose plutôt que rien. Et si la pensée du Don dans son apparaître est impossible en effet, il semble bien inutile d’en appeler alors au dogme ou au culte, puisque hors de la cité de Dieu, il nous faut continuer, être « humain ». Et si nous avions encore à nous assurer que rien de ce que l’on donne vraiment ne puisse jamais entrer dans la ronde marchande, dans l’objet valorisé, la psychanalyse nous assure que ce qu’on donne vraiment, on ne l’a jamais eu : notre être ? Notre confiance en l’autre ? Notre humanité ?

L’ambivalence fondamentale dont je parlais au début doit pouvoir restituer sa formule au don tel qu’on aimerait encore l’envisager, comme producteur du désir – disons simplement : Donner laisse à désirer.

Robert BITOUN.

Psychanalyste et philosophe