La démocratie en danger
La malédiction de la violence. La démocratie en danger
Jean-Pierre Bénard a exercé les professions de psychanalyste et de psychiatre. En 2000, il est interpellé par les recherches entreprises sur les massacres commis au XXe siècle. Il perçoit alors l'antinomie structurelle entre démocratie et paranoïa, mais sans pouvoir mesurer l'ampleur du problème au niveau de nombreuses gouvernances mondiales, ni de ce que cela impliquait au niveau de la structure de l'espèce humaine. Il reprend donc ces questions, en travaillant sur des événements présents et passés, et sur des travaux d'historiens, d'anthropologues, de politologues, etc.

Malgré tout ce qui a été dit et écrit sur les violences et malgré les actions des organismes juridiques internationaux, d'effroyables affrontements continuent de répandre lamort, d'innombrables souffrances et des destructions massives. Cet ouvrage propose de découvrir qu'ils reposent tous sur une même trame logique. Aussi différents soient-ils en apparence, ces antagonismes s'inscrivent dans un terrible phénomène de répétition qui repose sur des éléments de la structure même de l'humain.

Avoir la conviction absolue que l'on détiendrait la seule et indissoluble vérité pour la gouvernance du monde que l'on s'auto-attribue, a pour conséquence structurelle inéluctable la production de « l'ennemi » qu'il conviendra d'éliminer. Jean-Pierre Bénard, docteur en médecine, psychanalyste et psychiatre, a été très tôt plongé dans la recherche des ressorts des actes humains et tente de percer le secret de cette énigmatique normalité, en tentant de nourrir une certaine espérance.

ISBN 979-10-423-0104-0

27 euros

 

Jean Pierre Bénard a exercé les professions de psychiatre et de psychanalyste . Il a précédemment publié chez l’Harmattan « Tentation paranoïaque et démocratie : essai sur l’horreur»

Difficile de résumer en quelques lignes ce nouvel ouvrage original, fruit d’une longue réflexion,  qui se propose d'aller au-delà des réprobations émotionnelles de bon aloi et des idéologies du Bien, pour tenter de saisir des éléments de ce qui organise profondément les jouissances meurtrières auxquelles le monde est si souvent confronté.

L’auteur considère que le conjoncturel tel que peuvent l’analyser, la sociologie, l’économie ou l’histoire ... n’est qu’un « déclencheur qui suppose un substrat préalable qui reste énigmatique »

 J. P. Bénard analyse la mise en danger de la démocratie par le pulsionnel de tout un chacun en posant la question directe « quelles sont les potentialités humaines qui permettent ces crimes (guerres,dictatures, génocides ...) », c’est à dire quels sont «  les éléments structuraux constitutifs de notre espèce qui sont susceptibles  d’être mobilisés pour conduire à tant de radicalismes meurtriers ». Vaste mais salutaire programme !

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Les promesses d’avènement d’une ère nouvelle et d’un homme nouveau, que ce soit sur le plan politique ou à travers différentes idéologies, déclenchent systématiquement une exacerbation émotionnelle des foules qui porte au plus vif  des passions aveugles .

L’auteur invite à sortir des logiques binaires qui stigmatisent un ou des coupables tour travailler sur la complexité psychique de chacun de nous y compris dans les zones les moins avouables ;

d’abord autour de nos potentialités de violence : « existerait-il, chez l'humain, une propension et un plaisir à spolier, faire mal, brutaliser, démembrer, énucléer, brûler, tuer, détruire, violer, … assez communément partageables et rendues possibles dans des contextes spécifiques ? Soit un certain nombre de potentialités de violence diversement utilisées et bloquées en période pacifiée. D'emblée la réponse est tragiquement : oui. »

Ce point souvent aveugle est étayé de nombreux exemples dont, parmi d’autres , la logique de fonctionnement de ces milliards d'humains qui adhèrent à des thèses religieuses ou les acceptent, thèses qui mettent en scène  un enfer pour les mauvais «  soit les pires cruautés imaginables au nom du bien! »

Autre potentialité structurelle abordée par l'auteur : la cupidité : « pourquoi ne pas profiter de l’aubaine ? ». Que les désirs doivent éclipser les besoins  fait fonctionner la machine productivisme-consumérisme .  Mais songeons  plus loin : à la notion de paradis  où promesses et jouissances infinies sont  pour quelques milliards de croyants un des piliers des « religions du livre ».

L'universalité du schéma cupidité – prédation est parfaitement constatable : il y dans le fonctionnement humain  une ardeur prédatrice : le toujours plus de l’hubris.

L'auteur note : « L'acte discriminatoire fait partie de nos potentialités, il est source de jouissance dans tous les domaines où il peut s'appliquer par la grâce de quelques éléments différentiels servant cette fin : la race, la couleur, le genre, la langue, la religion, l’opinion politique, l'origine nationale ou sociale, la fortune, l'étranger… nous devons ainsi envisager qu’il est naturel à l’humain  de pouvoir considérer certaines catégories d'autres comme des biens taillables et corvéables à merci. » Il poursuit « Autant nous pouvons considérer que les plaisirs de faire souffrir, de torturer, de tuer, ainsi que la cupidité, appartiennent à nos potentialités primaires, autant les faits de discrimination – élimination appartiennent nécessairement à nos potentialités secondes car leur existence est liée à notre entrée dans un mythe fondateur, dans un modèle de fonctionnement du monde. L’éliminationnisme est une conséquence des logiques binaires radicales où chacun des deux termes est défini d'une manière univoque, fermée, dogmatique, en Vérité absolue : Le Bien c'est ceci et uniquement ceci, et le Mal c'est cela et uniquement cela et ce de manière supposée universelle . »

La croyance, magique, en La vérité, une et absolue, présente l'avantage de pouvoir s'appuyer sur des assises supposées inébranlables qui nous allégeraient des pesanteurs du doute. Dans ces cas la vérité absolue est détenue par le système si bien que toute opposition critique ne peut à l’évidence que provenir d’ennemis donc de coupables ; c'est le schéma que l'on retrouve dans tous les systèmes totalitaires séculiers ou sacrés ou religieux .

On peut donc, avec l’auteur, considérer que les grands systèmes idéologiques ont le plus souvent une architecture paranoïaque quant à leur gouvernance . C’est ce mode de gouvernance que l'on retrouve dans les cadres dictatoriaux et/ou néofascistes mais que l'on peut aussi repérer dans tous les champs sociaux – théologique – politique : la prétention paranoïaque s'arroge le droit de soutenir qu'elle détient la seule et unique vérité . A partir de là on assiste à tout une  série de conséquences systémiques, diversement mises en œuvre  mais  qui aboutissent toujours à une des formes d’éliminationsme.

Ce qui rend difficile le repérage de ces phénomènes c’est qu'ils reposent sur l'existence d'une composante paranoïaque commune à chaque être humain ; celle ci est susceptible de  nous rendre aveugles aux signaux qui pourraient nous alerter parce que ces signaux appartiennent à une forme de normalité : celle des délires métaphysiques auquel adhèrent des milliards d'humains.

 En effet la paranoïa n'est pas le seul trait distinctif de quelques dirigeants, elle entraîne dans son sillage le soutien qu'ils ont reçu, qu'ils reçoivent et qu'ils recevront de dizaines de millions d'êtres humains : « si l'on ne prend pas en compte la joie pleine de fulgurances et l'adhésion exaltée des innombrables foules qui accompagnent les discours de haine partagée des meneurs, on ne peut pas comprendre les explosions de scènes de barbarie vengeresse que nous déplorons »

« La question se pose de savoir pourquoi tant de personnes ont accordé un tel crédit à de tels personnages : En fait leur fonctionnement s'inscrit dans le même type de logique. L'un est le chef et les autres, les fidèles et servants exécutants, forment un couple structurel, un ensemble complémentaire qui se propose d'accomplir un destin ouvrant leur univers, voir également celui des autres, vers le vrai monde qui ne peut  aller que bien. Et s'il va mal, ce sera parce qu'il y a des victimes innocentes persécutées par des nuisibles qu'il suffirait d'éliminer pour que l'horizon s'éclaircisse ». C'est ainsi que J.P. Bénard nous invite à comprendre la base élémentaire d'un fonctionnement paranoïaque : binaire et radical. « Il est explicitement exposé par les leaders, dealers  de rêves à leurs fidèles. » Il ajoute : « La foi paranoïaque victimaire et vengeresse des multitudes peut offrir ou  garantir les rênes du pouvoir à un nombre impressionnant de dirigeants radicaux, de chefs ayant le goût d'un pouvoir messianique, mégalomaniaque et absolu. » Pas l’un sans les autres !

Certes il reconnaît  que cette composante paranoïaque commune, est d'intensité variable, activée ou non, permanente ou non, en effervescence ou dormante, selon les circonstances ou des interdits intimes.  On la retrouve dans la recherche permanente de « boucs émissaires ».

L'appareil démocratique est même parfois hélas, un bon moyen pour agréger des troupes et déguiser à peine ses élans dictatoriaux. Il suffit parfois de ce qu'on appelle une crise, voire d’un incident pour rassembler cette composante paranoïaque commune, l’exalter, la concentrer, lui ordonner la voie,  la laver de tout soupçon , s’en faire reconnaître pour en  être le héros.

« Cela nous permet de mieux comprendre comment le populisme ne joue pas simplement sur l'émotionnel, mais sur la polarisation binaire absolutiste de l'émotionnel. C'est un point crucial. Ce n'est pas la radicalité d'une thèse qui emporte foule et masse, mais le talent de celles et ceux qui savent la convertir en un émotionnel radicalisé sur un air de scandale intolérable. »

 

Pour l'auteur si nous éprouvons tant de difficultés à prendre la mesure de l'espèce humaine comme potentiellement prédatrice, féroce , cruelle et paranoïaque nous le devons essentiellement à notre narcissisme grâce auquel nous occultons ce dont nous sommes potentiellement capables individuellement et collectivement . Nous cherchons , dans une logique binaire, à sauver notre image en minimisant nos attitudes et nos conduites tout en décortiquant celle des autres . Il montre ainsi comment «  notre narcissisme qui peut se prêter à tous les excès mégalomaniaques est un puissant obstacle pour oser prendre le risque d’une altération de notre image dans l’analyse des multiples potentialités de violence qui caractérisent notre espèce »

Une auto domestication de l’humain serait-elle possible ? Peut etre mais n’oublions pas que rien n'est définitivement acquis : l’humanité a pu progresser mais « de grands massacres ont eu lieu malgré la Déclaration universelle des droits de l'homme et la création d'organismes internationaux » .

On pourrait  objecter, au titre de nos potentialités universelles,  l’altruisme qui  fait partie des potentialités de base ; cependant l'obscurité des chemins qu'il peut emprunter dans nos  configurations ne lui donne visiblement pas une place  dominante . C’est  pourtant là que pourrait  se developper un refus humaniste de tomber dans des logiques paranoïaques.

 

Nous ne pouvons malheureusement pas, dans le cadre de cette brève note de lecture entrer dans les nombreux exemples concrets et pertinents qui illustrent les propos de l'auteur . Ils rendent son raisonnement accessible tout en soulignant l’étendue et la diversité des champs concernés.
Ce livre mérite donc une lecture attentive  car il nous permet de repérer les logiques qui nous traversent  souvent à notre insu . Il fournit des éléments de  réflexion  pour mieux comprendre  nos ornières anthropologiques et permettra, espérons le de nous en dégager .

 

                                                                                   Frédéric Rousseau