Déconstruire la transmission coupable

Personne ou mythe ? A cette question factuelle, le livre de Miren Arambourou-Mélèse n’apporte pas de réponse. Pourtant dès le titre est abordé la question de la filiation, de la transmission et donc du trans-générationnel, des héritiers. Qui hérite donc de quoi ?

Pour certains, le personnage mythique de Don Juan serait né d'un fait divers rapporté par la Chronique de Séville au XVe ou au début du XVIe… Le mythe de Don Juan naissait. Il fut alimenté de différentes histoires et écritures, dans la littérature et le théâtre.

C’est en se reposant sur trois œuvres différentes évoquant la figure de Don Juan que Miren Arambourou-Mélèse va s’appuyer. En 1630, est publié El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra par Tirso de Molina, dramaturge espagnol. Puis Molière adapte le texte en 1665. Da Ponte et Mozart en font un opéra Don Giovanni, en 1787. Don Juan, habile, défie la morale, l'ordre public, et Dieu. Le personnage évolue légèrement avec les époques dans les différents textes.

La figure de Don Juan est par essence celle de « l’homme qui, récusant son ascendance, n’aura pas de descendance. » Dans ce livre, Don Juan, y est décrit comme un « épouseur à toutes mains que jamais sa parole n’engage » : séduction des femmes, rejet des règles sociales et morales, défi de l'autorité et de Dieu, châtiment « exemplaire ». Don Juan, impatient d'accéder à la jouissance, récuse l'ordre des pères et l'attente imposée par la transmission : « Que transmettent les adultes, détenteurs du pouvoir, à leurs rejetons, quand ils témoignent des bénéfices extraordinaires de jouissance qu’ils retirent du rejet de toute limite, lorsque c’est le « tout est possible » qui fonde la légitimité de leurs actes ? »

Après un gros travail de recherches, quelques fois un peu trop dense, l’auteur analyse la proximité de Freud avec la figure de Don Juan, et applique ainsi son questionnement à Freud. À partir de plusieurs de ces correspondances : avec sa femme Martha, avec Josef Breuer, Wilhelm Fliess et Sandor Ferenczi, l’auteure montre d’une façon très fine comment les interrogations du clinicien se transforment en une théorie analytique. Miren Arambourou – Mélèse met en lumière le côté donjuanesque de Freud, dans sa recherche permanente d’héritier. L’auteure explique comment la créativité de Freud s’est élaborée à partir de la réalité dans laquelle il était engagé. Que se soit avec Don Juan ou Freud, il est question de créativité, et du lien étroit entre le passage à l’acte et le passage à l’œuvre.

Ce livre est un remarquable travail de recherches et de liens dans les différentes œuvres où Don Juan a existé, et dans les différentes correspondances, souvent peu connues de Freud. De plus, à aucun moment, l’auteure ne s'est prise au jeu d’une « psychanalyse de comptoir » de Don Juan.

Le travail de Miren Arambourou – Mélèse est peut-être trop riche, le contenu est parfois trop dense à la première lecture, le lecteur aurait apprécié des phrases un peu moins longues, et des paragraphes un peu plus aérés qui auraient permis de ne pas trop coller au texte.

Néanmoins, Don Juan a traversé les époques, et la lecture de cet ouvrage nous laisse penser que la figure de Don Juan est encore bel et bien toujours présents dans la clinique contemporaine, chez ces personnes qui évoquent cette toute-consommation, cette consommation à outrance, de toxique, d’objets, de femmes, voire même de temps. « Il vise la jouissance sans limite » écrit l’auteure.

Pour conclure Miren Arambourou – Mélèse écrivait : « Le passé pèse, l’avenir est bouché : Don Juan choisit de vivre le présent, dans une jouissance toujours à répéter, qui n’inscrit aucun lien ». Pourtant avec l'excellente capacité à faire lien de l’auteure, et de ce nous entendons au quotidien, Don Juan est bel et bien être immortel, b.a ba pour un mythe.

Florian Ben Soussan