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DU COTE DE CHEZ SOI . Défendre l'intime, défier la transparence de José Morel-Cinq-Mars
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Après une série d'ouvrages remarqués, « Quand la pudeur prends corps »(P.U.F. 2002), « Psy de banlieue » (Ères. 2010), « Le deuil ensauvagé» (P.U.F. 2010) Josée Morel Cinq-Mars docteur en psychopathologie fondamentale et psychanalyste nous offre une nouvelle série de réflexions très riches sur l'intimité. Son livre : «Du coté de chez soi. Défendre l'intime, défier la transparence» est édité dans la prestigieuse collection: « La couleur des idées » au Seuil. Il y a parfaitement sa place : tant par la qualité de son écriture que par la finesse de ses analyses. Ici on est heureusement loin du jargon et des connivences théoriques qui marquent nombre de publications dans notre domaine.
L'auteure affirme que le monde ne peut être connu que si l'on se connaît soi-même, ce qui pour elle justifie la recherche de la vérité du plus intimement soi.
Dans une société où règnent le dévoilement permanent, l'aveu, l'exigence de transparence, notre désir de l'intime éprouve beaucoup de difficultés à trouver des espaces pour protéger ce qui est sensible et précieux. Pour Josée Morel Cinq-Mars « cela tient à la répugnance contemporaine à l'égard de ceux qui se détournent de la pleine lumière. Seule la censure, le complot et l'obscurantisme, tous trois également haïssables, sont supposés inciter à ne pas tout dire tout montrer, tout regarder »
Cette dimension constitutive et fragile que constitue l'intime est donc soumise, dans notre monde, à de multiples défis. Celui, par exemple, de la puissance des plaisirs du regard, du plaisir de voir et d'être vu. Le défi pour l'intime sera de savoir « faire une place au plaisir du regard sans renoncer à maintenir des espaces des lieux qui échappent à ce qui tend à devenir une tyrannie de ce même regard. »
Un autre défi auquel il nous faut faire face : celui de l'entremêlement des territoires privés et publics pris dans une porosité croissante que viennent renforcer les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Prenons garde au fait que le risque de l'indifférenciation fait monter celui de la brutalité. Face à cela il convient de bâtir l'intime qui « appelle le tact et la discrétion » . Mais « comment éviter que le sans-gêne devienne la règle prédominante dans l'espace public et dans les relations humaines en général » ? Ces atteintes ne restent pas sans effet : « Toute une part du travail psychanalytique est ainsi consacrée à la remontée d'associations en associations jusqu'au souvenir d'une atteinte passée demeurée inscrite avec toute sa puissance de nuisance psychique »
Pour se percevoir comme être singulier, porteur d'une identité inaliénable, il faut qu'existe une clôture entre soi et le monde, entre soi et les autres. « Cependant en raison de l'instabilité relative de l'identité qui perdure tout au long de la vie, un risque d'ébranlement d'identité n'est jamais totalement écarté, et seule la fréquentation de ses territoires intérieurs permet d'éprouver la fermeté de son identité et de résister à son absorption par l'environnement » C'est pourquoi entraver la connaissance d'expressions de l'intime fragilise également l'identité.
« L'intime est ?dans la psyché dont rien ne peut le déloger sauf à pulvériser le sentiment d'être soi-même séparé, irrémédiablement distinct de l'autre, son proche, son semblable »
Dans un long développement sur l'aliénation à l'image l'auteure montre que le désir d'intime ne pourra pas ignorer l'image propre mais qu'il s'opposera à sa survalorisation. Elle s'aventure aussi dans une réflexion sur la trace dans son rapport à la création. Elle note à ce sujet que « la trace affirme que l'être excède l'image, dans la mesure où elle donne à lire dans le monde réel ».
Revisitant les apports de la psychanalyse J. Morel Cinq-Mars souligne que le désir d'intime se renforce de l'expérience œdipienne d'un voir pour savoir qui fait grandir. En effet c'est lui qui permettra, si elle a lieu, « aux différences de sensibilité, de penser, de juger, d'agir de l'autre d'être perçues comme une chance et non comme une menace ou un défi… Le désir d'intime est animé par la certitude que tout ce qui est humain mérite d'être connu et que si la connaissance fine de soi et de l'autre oblige à perdre des illusions et à voir se décomposer ses idéalisations, elle oblige à affronter la complexité des êtres et leur ambivalence, elle est aussi ce qui met en contact avec ce que l'autre a de plus singulier, de plus précieux de plus sensible ».«La connaissance intime de soi ou de l'autre est une connaissance qui affecte »
L'ouvrage se poursuit par une réflexion sur les mouvements intimes : comment les explorer comment accepter de se confronter à cet angoissant « lâcher prise » pour affronter nos mécanismes internes de censure et de distorsion. J. Morel Cinq-Mars souligne finement que « la fuite face à une lucidité jugée embarrassante et inconfortable a pourtant un coût que l'hédonisme contemporain tend à sous-estimer, elle peut se payer d'un malaise, souvent non reconnu par celui qui en est affecté, fait d'angoisse, de dépression, de sentiment de passer à côté de sa vie. Celui qui, fuyant sa vie intime, se fuit lui-même pourra d'ailleurs d'autant mieux persister à ignorer les racines de son mal-être que la réponse médicale actuellement prédominante tend à classifier ces manifestations et à y répondre selon un ordonnancement qui n'est pas loin d'être réduit à la taille d'un ordonnancier : à chaque trouble sa molécule, à chaque malaise sa pilule, et la passion d'ignorance pourra continuer à séduire en toute innocence… »
L'ouvrage s’achève sur un un éloge de la persistance du désir d'intime Devenir capable de choisir ce que nous montrons de nous même nous conduirait à valoriser au delà du langage , la métaphore et le poétique .