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Gérard Pommier : « Le nom propre » - Fonctions logiques et inconscientes - P.U.F - 314 p.
Qu’est-ce qu’un nom ? Du sacré à l’état civil, des aspects anthropologiques et philosophiques aux principaux repères psychopathologiques, l’étude de la fonction du nom propre que nous propose Gérard Pommier est une traversée à la fois dans le temps et dans l’espace de tous les dédales d’un labyrinthe. Tout ceci ne rend pas cet ouvrage très dense et à multiples tiroirs - facile à aborder. Il se dérobe à tout résumé. Pour en parler il faut impérativement sélectionner quelques angles.
L’attribution du nom, nous dit Gérard Pommier, a été originairement articulée aux plus anciennes religions : animisme, totémisme, polythéïsme, monothéïsme. Dans le totémisme celle-ci fonctionnait comme un nom du père, avec un père en bois. Avec le monothéïsme,le culte des idoles devient interdit et l’on donne le nom au nom d’un Dieu qui n’en a pas. Avec un père qui n’a ni nom ni matérialité on est tranquille, pas de risque incestueux endogamique. Mais les exigences du parricide persistent car nous dit notre auteur, le père doit être à la fois vivant, mort et castré. Le totémisme latent n’a pas disparu. Statue, symbole ou abstraction, on a tué le père, caché le cadavre et on l’a symbolisé grâce au nom. Le fantasme parricide caché de la nomination est l’ombilic de ce livre. Prendre ou transmettre un nom n’est donc pas anodin.
Beaucoup plus tard, l’état-civil devenant impraticable avec la multiplicité des noms semblables, le passage du nom unique vers les noms et prénoms est institué. Le surnom devient patronyme et l’on ajoute le prénom. Nos noms propres nous dit Gérard Pommier étant souvent des surnoms, des traits unaires ou des symptômes. Le totem ressurgit à nouveau et devient patronyme. Cet ouvrage permet de dégager ces filiations totémiques abstraites ou peu visibles. Le nom, nous dit-on, est une “assignation à résidence” de la fonction du père, ancêtre, divinité ou totem. On peut noter que l’auteur ne lie pas forcément le nom du père au système patriarcal. Dans le cas des sociétés matrilinéaires le père est relégué et supplanté soit par des oncles, soit par des frères. Avec le nom se matérialise l’espace endogamique qui perpétue l’interdit de l’inceste.
Les entrées suivantes de ce livre sont multiples. Sous-ensembles du nom : nom propre, nom commun, nom de famille, prénom, surnom, pseudonyme, signature. Aujourd’hui, le « vrai » nom est le nom donné par le désir des parents, donc le prénom. Il est le point de départ de la subjectivité, la possibilité de se situer à une place à soi, d’avoir une certaine autonomie. Sont également passés en revue les rituels de nomination, chez les Mossi, les Egyptiens, au Crazy Horse ou chez les Inuits. Le chapitre central sur les fonctions du nom propre intéresse plus directement le psychanalyste, avec une très intéréssante articulation entre le nom et la pulsion, ainsi que le suivant consacré aux dimensions cliniques : amnésie, oubli, phobie, forclusion.
On peut avec ce livre, dans le désordre et suivant les chapitres, prendre scupuleusement des notes, certains passages sont lumineux, admirer son érudition ou s’y perdre, maudire son arborescence, sourire de son humour, ou trouver qu’il y a des redites, des arrêts, des départs, des retours en arrière comme dans une séance de psychanalyse. La solution est de le considérer chapitre par chapitre. Toutes ces histoires autour du nom, de son inconscient, de ses secrets, pleines d’un bon sens psychanalytique, pardon mais ce n’est pas si répandu, on n’en soupçonnait pas tant. Gérard Pommier, psychanalyste lisible et souvent stimulant en a fait un livre. Son patronyme n’y est peut-être pas pour rien. Une chose est sûre, après cette lecture, on n’entend plus l’énoncé d’un nom sans se poser quelques questions.
Gérard Pommier est psychanalyste à Paris, psychiatre et professeur émérite des universités, membre d’Espace Analytique. Il enseigne actuellement à Paris VII. Il est notamment l’auteur de “Naissance et renaissance de l’écriture” (PUF, 1993) et de “Que veut dire “faire” l’amour ?” (Flammarion, 2010).