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Lukas Bärfuss, Les névroses sexuelles de nos parents (texte français de Bruno Bayen), Paris, L’Arche, mars 2006.
Lukas Bärfuss, Les névroses sexuelles de nos parents (texte français de Bruno Bayen), Paris, L’Arche, mars 2006.
Lukas Bärfuss, Les névroses sexuelles de nos parents (texte français de Bruno Bayen), Paris, L’Arche, mars 2006.
Le médecin de Dora est mort*. Le cher homme, dit la mère de Dora au nouveau médecin chez qui elle se trouve aujourd’hui, pour la première fois, avec sa fille, votre prédécesseur, que n’a-t-il pas fait pour elle ? Elle lui appartenait à lui plus qu’à moi.
Et voilà que la mère énonce sa volonté : maintenant, que la prescription cesse. Que j’entende à nouveau le rire de ma fille, ce rire étrange, de poissarde.
De fait, la mère paraît plutôt curieuse. Comme si elle feignait de s’aventurer à dire, quand elle exige. Elle voudrait, dit-elle, essayer quelque chose. Et si jamais quelque chose changeait quelque chose à quelque chose… Si non, elle ferait machine arrière, n’est-ce pas. Elle est si calmée, Dora, dit-elle, qu’« elle ne crie plus, oui, mais rit à peine, ne pleure jamais, mange ce qu’on lui tend ». « Parfois je souhaite le retour de ses crises délirantes », dit-elle encore. Et si se faufilait l’imprévu du désir, là où une mère avoue son manque ? Non. Sur cette scène, c’est autre chose qui a lieu : la volonté d’une mère. Le médecin œuvre à son service. Il se contente d’informer au sujet des risques encourus. Et, la volonté obscure, de l’exaucer.
Comment la parole, alors, va-t-elle opérer ?
Les voilà, mère et fille, ensemble soudain dans leurs petits ensembles rayés, pareilles.
Dora qui n’avait cessé, dans la scène inaugurale, de répondre au médecin à chaque question posée : « sais pas », « sais pas », est là. Avec des gestes, un corps, une voix. Une prise dans le langage, à la lettre.
Chacun qui la rencontre ne peut pas lui parler sans tomber dans ce piège, d’exiger d’elle qu’elle ne croie personne, sauf lui, ou elle, qui lui dit cela. Chacun qui lui suppose un lieu où débattre avec l’autre et se croire elle-même rehausse l’absence de ce lieu.
Même le médecin ne peut qu’ajouter sa voix au concert des voix étrangères dont il lui recommande de se garder.
Or, la parole, Dora ne la prend jamais. Elle en attrape seulement des bouts, des chutes au hasard qui la fait se heurter à un homme, s’y prendre, s’y abandonner. Un seul.
Cet homme, c’est « l’homme délicat ». Lui échappe à cette fatalité ou l’assume. Pour l’aimer, il enveloppe celle qui a nom Dora dans son fantasme, la vole, la viole, la berce de mots, la baptise « petite menteuse », « ma petite Russe », la vouant au petit bonheur qui n’a que faire des personnes.
Et ce sont ces paroles mêmes, là consignées, qui engendrent ce corps qui pâtit, bondit, jouit de se faire verbe et chair, rebondit et court à sa perte, sans fin, sans retour, sans autre mémoire que le texte qui file sa toile autour des personnages. Des odeurs flottent, des coups pleuvent, les amoureux bavardent. Après Faulkner, après Beckett, le spectacle continue.
« Parfois ce sont les médicaments qu’on ne prend pas qui font le plus d’effet », dit le médecin à la mère de Dora.
Et par la subtilité de la mise en scène de B. Bayen, ce sont aussi les mots qu’on n’entend pas, les mots inaudibles, qui font le plus long feu.
À voir, du 15 avril au 7 mai 2006 au théâtre de Gennevilliers, dans une mise en scène de Bruno Bayen.
Du même auteur Les hommes morts, roman à paraître au Mercure de France à Paris (traduction de Bruno Bayen également).
* une version de cette note critique est parue dans la Lettre Mensuelle de l’ECF en février dernier.
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