Britannicus de Jean Racine au Thèâtre des Amandiers de Nanterre

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Britannicus Texte de Jean Racine. Mise en scène Jean-louis Martinelli du 14 septembre au 27 octobreThéâtre des Amandiers de NanterreBritannicusDu 14 septembre au 27 octobre 2012Salle TransformableTous les jours à 20h30 sauf le dimanche à 15h30 et le jeudi 19h30 - Relâche le lundi - Représentation en audio-description le 7/10 à 15h30 Durée : 2h10 Texte Jean Racine Mise en scène Jean-Louis Martinelli Scénographie Gilles Taschet Avec : Anne Benoît, Éric Caruso, Alain Fromager, Grégoire Œstermann, Agathe Rouiller, Anne Suarez , Jean-Marie Winling Production : Théâtre Nanterre-AmandiersLe texte Britannicus est publié aux éditions Gallimard, collection La Pléiade.Spectacle proposé en tournée pour la saison 2013-2014. 

« Après m'être confronté avec bonheur à deux textes de Racine, Andromaque en 2003 et Bérénice en 2006, je nourrissais le désir de traverser la totalité de son œuvre. J'y reviens donc aujourd'hui, avec l'une de ses pièces les plus politiques : Britannicus. Non pas pour nous chercher dans cette œuvre, nos contemporains désemparés du politique, mais pour scruter ce qui peut fonder l'âme humaine, les désirs de pouvoir de la Rome antique à aujourd'hui et ce dans l'économie de la langue du XVIIe siècle.Si Calme de Lars Norén retrace l'enfance et la naissance d'un auteur, Britannicus nous narre les péripéties qui consacrent la naissance d'un tyran. Impossible de séparer ici politique et sentiments amoureux, chacun se nourrissant de l'autre. Tout rapport est frappé du désir de possession, d'assouvissement de l'ego prêt à envisager toutes les stratégies afin d'arriver à ses fins. Le début de l'intrigue est fort simple : l'empereur Claude a eu un fils, Britannicus, avant d'épouser Agrippine et d'adopter Néron, fils qu'elle a eu d'un précédent mariage.Après avoir empoisonné l'empereur Claude, son troisième mari, Agrippine écarte du pouvoir Britannicus au profit de son fils, Néron. Tous deux sont amoureux de la princesse Junie qui doit faire un choix déchirant : ou bien rester fidèle à Britannicus et provoquer sa mort, ou bien sauvegarder la vie de celui qu'elle aime et sacrifier son amour en cédant à Néron... »Jean-Louis Martinelli, mars 2012

Britannicus , cela sonne comme le Louvre ou la Tour Eiffel : un monument. On sait que ça existe, mais on n'a pas forcément envie de le visiter.

Des phrases reviennent venues d'on ne sais où, mais à coup sûr d'un pays trop lointain. Néron, la figure même du tyran, et sa mère comment s'appelait-elle déjà, ah oui, Agripine ( pas celle de Bretecher!)

Rendez-vous donc est pris à Nanterre pour se rafraîchir un peu la mémoire.

Le théâtre des Amandiers a, depuis Malraux, pris ses quartiers dans un lieu pas si commode à dénicher. Les tours « nuages » nées de l’idée d’un architecte Émile Aillaud, forment un décor naturel. Tout proche, le quartier de la Défense n’en finit pas de voir monter des tours à l’image de la démesure du monde.

À l’entrée le public habituel de ce genre de lieu. Pas vraiment populaire, plutôt bourgeois cultivé à majorité germanopratine. Des adolescents, moins nombreux qu’attendus en costume, sérieux ou rieurs.

Le décor est sobre, austère, presque lugubre. Une fontaine vient créer un espace différent au centre de la scène. À gauche, une femme assise semble attendre on ne sait quoi. C’est Agripine et celui qu’elle cherche, c’est son fils, Néron qu’elle a mis sur le trône. Ce dont nous parle Racine est une question mille fois répétée mais à laquelle le talent de l’auteur et la magie des alexandrins donnent une extraordinaire stature. Comment un fils peut-il échapper à une mère juive ? On sait depuis toujours qu’il n’est pas nécessaire d’être juif pour avoir une mère juive, même si ça aide. Cette fois, celle-ci est romaine et son fils, le représentant phallique de sa mère, est empereur de Rome et maître du monde connu. On ne saurait illustrer de façon plus géniale cette situation.

Les stratagèmes que Néron élabore pour échapper à sa mère sont multiples. Racine nous les décrits du plus puéril au plus tordu. D’abord Néron tente d’empêcher sa mère de l’approcher. Chaque fois, il impose la présence d’un tiers, quand elle tente un tête à tête car il sait bien qu’autrement, il va retomber sous sa coupe, ce qui d’ailleurs se révélera tout à fait exact. Le seul résultat de ce stratagème, qui ne peut durer qu’un temps, c’est d’alerter sa mère sur le danger qu’elle court et susciter sa fureur.

Il s’est soumis jusqu’à présent et s’est fait aimer du peuple et du Sénat. Mais, chacun sait, dans Rome, que cet amour du peuple n’est que l’hommage rendu à de sa mère. Il n’en tire rien qui lui revienne en propre, rien qui soit seulement de lui. Toujours son ombre se dessine derrière chacune de ses actions. Plutôt que de feindre et de lutter à contre-courant, il préfère, dans les premières années de son règne et en toute occasion lui rendre hommage. Il sait trop que c’est grâce à sa rouerie et à son amour démesuré du pouvoir qu’il peut occuper cette place qu’il a ravi au prétendant légitime Britannicus, son ennemi.

L’amour d’une femme, peut-être, fera-t-il un rempart suffisant pour le protéger de cette mère envahissante qui use et abuse de son amour incestueux pour mieux en faire son jouet. Pas l’amour de cette pauvre Octavie avec laquelle il est marié mais qui ne lui sert à rien et d’autant moins qu’elle semble avoir été l’un des éléments du puzzle mis en place par sa mère dans sa conquête du pouvoir. Dans la pièce elle est même la grande absente. Et si la répudier ne semble guère poser de problème, elle n’occupe dans la pièce et sur ce grand échiquier, qu’une place insignifiante.

Aimer alors, peut-être, une autre femme, une vraie, d’un amour suffisamment fort pour résister à Agripine. Et sur qui porter son regard sinon sur Junie dont l’amour pour Britannicus le fait se consumer d’une envie jalouse?.

Mais aimer ne suffit pas, encore faut-il savoir se faire aimer. Néron ne sait pas. Il enlève Junie, la menace si elle lui résiste de tuer Britannicus, mais bien entendu, ce plan soufflé par ses conseillers ne tient pas la route. N’est pas Agripine qui veut. Et il faut alors savoir quoi faire de ces deux-là qui s’aiment d’un amour dont Néron est bien incapable. Et puisque la solution décidément, lui échappe, il ne lui reste plus pour sortir de l’impasse que de renverser l’échiquier et de choisir la tyrannie en s’identifiant au pouvoir absolu, en substituant, dans son identification à Agripinne, la force brutale à la manipulation.

Dès lors, le destin de Britannicus et celui de Junie sont scellés et celui de Néron l’est également. Une démonstration magistrale et une leçon de théâtre, même si la dimension tragique de l’homme face à son destin manque un peu de puissance à la fin.

On sort et l’on retrouve Néron qui prend un verre au bar avec sa compagne. Proximité des acteurs, extraordinaire modernité de Racine. Une démonstration à ne pas manquer.