Loi du 5 juillet 2011

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Loi du 5 juillet 2011 : interviews du Dr Patrick Chemla

 


Psychiatre à Reims
Responsable du cente Antonin Artaud
Membre du groupe des 39 contre la nuit sécuritaire
Psychanalyste.

 


A la suite du discours prononcé à Antony par Nicolas Sarkozy et à sa demande, il a été voté une loi au parlement le 5 juillet 2011. Cette loi régit les modalités d'admission et de maintien en soins psychiatrique d'un malade que celui-ci soit ou non consentant.


Sont également définis dans cette loi les contrôles effectués par les juges afin que soient respectés ses droits et ses possibilités de recours face aux mesures qui lui sont appliquées et dont certaines peuvent entraîner des entraves à sa liberté.

Nous avons divisé cette interview en deux parties.

Dans la première partie sont interrogées les conditions d'admission du patient en soin psychiatrique, ses différentes modalités et ce que la loi du 5 juillet a ou non modifié.

La seconde partie concerne le séjour à l'hôpital et le contrôle effectué par les juges. Ce dernier constitue une nouveauté par rapport à la réglementation précédente. Patrick Chemla nous dit les avantages et les inconvénients liés à ce contrôle judiciaire renforcé. Il dresse un tableau sans concession de l'état actuel de la psychiatrie française.


Première partie : le quotidien de la psychiatrie hospitalière après la mise en place de la loi.
- Interview vidéo réalisée par Laurent Le Vaguerèse assisté de J_L Houbron

 


Deuxième partie : Le rôle des juges.
- Interview vidéo réalisée par Laurent Le Vaguerèse assisté de J_L Houbron

 

On pourra au sujet de cette loi consulter l'excellent article de Mathias Couturier. « La réforme des soins psychiatriques sans consentement : de la psychiatrie disciplinaire à la psychiatrie de contrôle », Revue de droit sanitaire et social janvier-février 2012, n° 1.dont une version résumée se trouve ici : http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3236

La rencontre citoyenne évoquée par Patrick Chemla ::

 


Quelle hospitalité pour la folie ?
Assises citoyennes de la psychiatrie et du médico social
31 mai et 1er juin 2013 à Villejuif


pour s'y inscrire : http://www.collectifpsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2013/02/Fiche-d-inscription-Assises.pdf

 

 

On pourra également visionner la vidéo de l'intervention du Dr Chemla, Thierry Najman, Serge Klopp et Matthieu Belhasen au nom du Groupe des "39 " proposée par Denys Robiliard, Président et rapporteur de la mission parlementaire sur la santé mentale et la psychiatrie


http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=5968
On pourra également se reporter au dernier numéro de la Revue Française de Psychiatrie qui est consacré à la Loi du 5 Juillet.

 

 

Texte pour le Collectif des 39 pour la mission d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie : table-ronde du jeudi 21 mai 2013

 

 

 


J'interviens au nom du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire et je tiens d'abord à vous remercier pour cette audience, mais insister aussi sur la nécessité de poursuivre nos échanges étant donnée l'importance du débat à avoir sur la situation actuelle et l'avenir de la psychiatrie.

 

 


Le Collectif des 39 s'est créé à l'initiative d'Hervé Bokobza, au lendemain du discours tenu le 2 décembre 2008 à Antony par Nicolas Sarkozy, discours introduisant la catégorie du " schizophrène dangereux ", inaugurant une attitude insultante envers ceux qui souffrent de troubles psychiques et dont il faut rappeler une fois de plus qu'ils ne sont pas plus criminels que les autres !

Ce nouveau discours, les méthodes musclées qu'il promettait et dont certaines se sont concrétisées avec la multiplication de chambres d'isolement et l'ouverture de nouvelles UMD, assimilait donc les patients aux délinquants et construisaient un nouveau rapport à la souffrance psychique et à la Folie aux antipodes de tout le mouvement progressiste qui a construit la psychiatrie française depuis la Libération.
La création de la politique de secteur intimement intriquée dès l'origine avec le mouvement de Psychothérapie Institutionnelle a constitué une situation française de la psychiatrie qui a longtemps été considérée comme un modèle en Europe. Lucien Bonnafé proclamait à la Libération qu'il " fallait détruire l'Asile pour bâtir son exact contraire ", et plusieurs générations de psychiatres et de soignants ont largement contribué à ce projet, en lien dans les meilleurs des cas avec des élus locaux, certains administrateurs humanistes et quelques politiques qui avaient compris très tôt qu'il était intolérable de prôner l'enfermement pour une catégorie de sujets en souffrance.

 

C'est cette éthique du soin et ce principe d'une hospitalité pour la Folie qui constituent le fil rouge d'une histoire de la psychiatrie écrite par ceux qui s'étaient insurgés contre l'extermination par abandon de 40000 malades mentaux pendant la guerre. Vous avez d'ailleurs auditionné Jean Oury qui est le témoin de cette transmission dont nous sommes porteurs.

 

 

Tout naturellement nous nous sommes rassemblés contre ce discours de Nicolas Sarkozy qui renversait radicalement ces valeurs et que nous avons perçu comme une attaque à la dignité des patients et des soignants, et à notre effort constant pour construire des lieux d'accueil de la souffrance psychique, lutter contre l'exclusion et la ségrégation au quotidien, lutter aussi contre l'obscurantisme et la peur archaïque de la folie qui resurgit en chacun de nous.

 

Il n'est pas nouveau que des attitudes défensives se fassent jour au sein de la société, mais il est nouveau depuis la 2° guerre mondiale qu'elles soient portées par la plus haute autorité de l'Etat.


Il ne faut jamais oublier que cette loi du 5 juillet qui a été retoquée à la marge par le Conseil Constitutionnel, est le fruit de ce discours et d'une politique de la peur basée sur la médiatisation de faits divers tragiques et exceptionnels.
C'est donc l'ensemble de cette loi, de ses principes, de sa vision de la maladie mentale et de son traitement qu'il faudrait récuser radicalement
pour repenser une politique de la psychiatrie à la hauteur des difficultés nouvelles que nous rencontrons en tant que professionnels, et qui relèvent d'une désagrégation du lien social et du pacte républicain. Un grand nombre de patients psychiatriques sont aujourd'hui à la rue ou en prison, dans des situations d'abandon qui devraient constituer une urgence morale et politique.


Notre travail de psychiatres et de soignants nous conduit à nous tenir au plus près de ceux qui sont en proie à cette désorganisation psychique, aggravée aujourd'hui par une crise sociale et morale qui leur rend la vie difficile et pousse un grand nombre d'entre eux au ban de la société, où ils sont avant tout victimes d'agression, de vol et de viols.
C'est cette vulnérabilité qui devrait constituer le souci d'une politique et non le risque démesurément grossi et médiatisé du passage à l'acte agressif, dont nous ne nions pas l'existence, mais nous affirmons l'extrême rareté à la suite de toutes les études les plus sérieuses.
C'est ce souci de l'autre qui nous anime et qui a fait se rassembler dans notre collectif des soignants de toutes générations et de tous les métiers de la psychiatrie, mais aussi des familles, des patients regroupés dans l'association Humapsy, des juristes, des artistes et intellectuels. Nos différents appels et pétitions ont rassemblé plus de 40000 personnes qui reçoivent notre newsletter et fréquentent notre site et nos rassemblements.


Cela pour dire que nous ne représentons pas d'autre cause que celle d'une psychiatrie humaniste et que nous avons pu constater avec bonheur une ouverture bien au-delà de nos professions au fur et à mesure de nos mobilisations : la souffrance psychique et la Folie font partie intégrante de la Culture et représentent des enjeux citoyens.
Vous nous questionnez aujourd'hui sur certains aspects d'une loi que nous jugeons profondément antirépublicaine, dangereuse pour les libertés publiques, comme des internements de militants et de " personnes dérangeantes pour la norme " ont pu malheureusement le prouver.

On ne peut pas réformer une mauvaise loi conçue avant tout comme un outil de maintien de l'ordre et dont il nous faut dénoncer l'esprit qui préside à sa rédaction.


La Folie y est envisagée de façon réductionniste et caricaturale comme un désordre biologique que les progrès de la science pourraient permettre de traiter et de résoudre. Nous devons le dire avec force : cette assertion est une imposture ! Il n'y a eu depuis 40 ans aucun autre progrès dans les médications que celui -non négligeable- de leurs effets secondaires ; et il faut en plus tempérer cette assertion par le trucage avéré des études produites par les laboratoires pharmaceutiques, avec certaines déconvenues rendues publiques (comme par ex pour le prozac), et les effets secondaires nouveaux et imprévus que nous constatons.


Prétendre que le médicament constitue une panacée qu'il faudrait donc administrer de façon contrainte constitue une contre-vérité, et une faute dans la recherche d'une confiance dans la relation soignante. Cette confiance est bien souvent le fruit d'un long travail et il ne saurait y avoir de court-circuit laissant croire que l'administration de la loi et du médicament viendrait à bout du " déni des troubles ". Cette expression est devenue un lieu commun présentant comme une évidence la nécessité dessoins sous contrainte en ambulatoire, rebaptisés par un euphémisme " programmes de soins ".
Tout pousse maintenant les praticiens à la mise en place de ce que nous dénonçons comme " programmes de contrainte " : le manque cruel de place dans les services de psychiatrie, l'absence de formation des soignants à une approche relationnelle et psychothérapique, l'obligation même à des formations centrées sur la rééducation et le dressage de comportements jugés déviants. Pire même l'ensemble des soignants sont contraints à des formations sur la violence inspirées par cette " peur du fou " qui est en train de diffuser y compris chez ceux qui devraient se former au contraire à l'accueil et à la relation.


Les nouvelles techniques de management inspirées de " l'hôpital entreprise " transformant les médecins en " producteurs de soins ", et tous les professionnels en exécutants de protocoles décidés par la HAS contribuent à entretenir un climat délétère dans les équipes. Le manque de moyens flagrants est ainsi aggravé par la multiplication de procédures pour se mettre en règle avec des contrôles qualité directement dérivés de l'industrie. Nous souffrons ainsi en premier lieu d'une destruction du sens de la finalité du soin psychiatrique, et tous les corps soignants souffrent gravement depuis une bonne vingtaine d'années de cette logique managériale. Il ne faut sans doute pas aller chercher très loin les raisons de la désaffection pour les métiers de la psychiatrie, et les postes de psychiatres vacants par centaines en témoignent. Au lieu de répondre par des primes, ce qui renforce la même logique marchande, il s'agirait plutôt de retrouver, ou plutôt de réinventer le sens du métier de psychiatre et des autres professions qui concourent aux soins. Il s'agit dans la pratique des " équipes engagées " de privilégier le climat de confiance dans la relation avec le patient, de favoriser aussi toutes les potentialités créatives qui poussent d'ailleurs de nombreuses équipes à travailler avec des artistes, et à valoriser l'expression et la créativité des patients comme des soignants.



Force est de constater que cette orientation relationnelle et humaniste se situe à rebours de la loi du 5 Juillet comme de la loi HPST. La logique gestionnaire combinée avec une logique prétendument sécuritaire donne un cocktail décourageant les initiatives, et encombrant les soignants avec une multiplicité de taches fastidieuses pour répondre à une exigence bureaucratique invraisemblable. Tout nous pousse à quitter notre fonction soignante et nous pourrions si nous nous y soumettions passer tout notre temps dans des commissions et dans des rédactions de certificats répétitifs. C'est très nuisible pour les patients, mais c'est aussi très néfaste pour les professionnels qui sont ainsi poussés dans des logiques administratives et de contrôle qui les éloignent toujours plus de leur mission.


Qui parmi vous aimerait confier un de ses proches souffrant à un psychiatre, à une équipe soignante se soumettant à de telles logiques et préoccupée avant tout par l'administration de protocoles ? Qui aimerait renoncer à une approche psychothérapique pour se contenter d'une prescription médicamenteuse?

Savez-vous que la HAS a annoncé son intention d'en finir avec toute approche psychiatrique fondée sur la psychanalyse et la psychothérapie Institutionnelle ?

Certains parmi nous pratiquent depuis longtemps et savent qu'il existe bien sur des situations critiques où la mise en place d'une contrainte aux soins s'avère nécessaire : essentiellement en cas de risque suicidaire ou de passage à l'acte agressif. Mais cela constitue des moments d'exception précédemment encadrées par la loi de 90, pendant lesquels il s'agit que cette contrainte soit la plus courte possible et dans les meilleures conditions d'hospitalité, en limitant autant que faire se peut le recours à l'isolement.
Or cette exception que nous avons toujours prise en compte, s'est généralisée avec la loi du 5 juillet, au lieu de poursuivre le chemin engagé depuis la Libération vers la recherche de la confiance avec le patient et ses proches pour la pratique de soins librement consentis. Nous pouvons témoigner que partout où ces principes guident l'action thérapeutique et institutionnelle, là où nous travaillons sur le territoire avec des élus locaux pour favoriser l'accès au logement et à la dignité du patient, nous observons un recul de ces mesures de contrainte. Selon les régions mais aussi dans le même hôpital cette proportion peut aller de 1 à 10, et nous pouvons tout à fait travailler en ambulatoire sans que les patients soient contraints par la loi à venir nous voir. Bien au contraire nous n'arrivons même pas à répondre à toutes les demandes venant de patients et de familles qui souhaitent pour leurs proches un accueil orienté par l'écoute et la psychothérapie individuelle et institutionnelle.


Cette loi du 5 Juillet 2011 constitue un frein énorme à toutes nos initiatives. Pire elle distille dans les équipes une banalisation de la contrainte et une inversion des valeurs humanistes qui sont au cœur de notre pratique.

Aussi nous récusons radicalement cette loi dans son esprit comme dans sa lettre et nous allons organiser à Villejuif avec les CEMEA les 31 mai et 1° juin prochain des Assises citoyennes pour l'hospitalité en psychiatrie et dans le médicosocial. Nous vous invitons d'ailleurs à y participer car nous souhaitons que ce débat ne se limite pas aux professionnels mais s'ouvre aux familles, aux patients, aux intellectuels et aux artistes, mais aussi aux poltiques.


Plus de 30 ans après les Assises organisées en 1981 par les CEMEA à la demande de Jacques Ralite ministre de la Santé du premier gouvernement de gauche de la 5° république ; 10 ans après les Etats Généraux de la psychiatrie qui s'étaient tenues à Montpellier à l'initiative du Dr Hervé Bokobza, il s'agit de relancer la perspective d'une psychiatrie humaniste.
Et comme il s'agit d'un débat sur les valeurs, qui devrait déboucher sur des propositions politiques de changement pour la psychiatrie, il serait logique que les élus du peuple y participent !

 


Pour le Collectif des 39
Dr Patrick Chemla, chef de pole Reims, Centre Antonin Artaud