Le Livre Blanc des Sciences Humaines en Médecine : un témoignage de Mai 68 à la Faculté de Médecine de Paris

Le Livre Blanc des Sciences Humaines en Médecine : un témoignage de Mai 68 à la Faculté de Médecine de Paris

À l’heure où se multiplient les commémorations de mai 68, il m’a paru amusant, voir utile de publier le document que vous pourrez lire ci-dessous. Au moment où ont commencé les occupations des facultés, la faculté de médecine ne fut pas en reste. L’année préparatoire se déroulait alors pour l‘essentiel dans les locaux de la faculté des sciences du quai Saint Bernard. Les CHU n’existaient que sous une forme élitiste avec les CHU de Necker St Antoine et la Pitié Salpétrière. L’essentiel des enseignements théoriques avait lieu soit rue des St Pères soit dans les locaux de l’ancienne faculté de médecine.

Les « mandarins » faisaient la loi à l’hôpital et dans les enseignements l’anatomie servait avant tout de moyen de sélection –peut-être est-ce encore le cas ?- vis-à-vis des premières années. La médecine fut un champ d’affrontement important à l’époque et celui qui résista sans doute le mieux aux coups de boutoirs que nous lui assenions. La grève dans les hôpitaux devait prendre bientôt le relais de la révolte étudiante. On pouvait enfin espérer faire un peu bouger les choses. Que reste-t-il de tout cela ? Difficile de le dire aujourd’hui.

Très vite en tout cas la faculté de médecine fut classée parmi les facultés les plus réformistes malgré une agitation importante entretenue par l’extrême gauche. Un premier Comité d’Action fut constitué – quelque part, si je me souviens bien - au cours d’une nuit de mai entre 3h et 4h du matin au sous-sol de la faculté occupée. J’y fus « élu » représentant des CPEM ! Puis des commissions furent mises en place, leur travail centralisé fut résumé dans un « Livre blanc ». Les demandes en étaient très raisonnables, certaines furent d’ailleurs reprises par la suite. Certaines le seront sans doute un jour ou l’autre comme le « tronc commun » entre les diverses professions médicales et paramédicales: stage chez le praticien en fin d’études, généralisation des CHU etc. Parmi les commissions constituées, l’une était consacrée à la psychiatrie l’autre aux Sciences Humaines. Je n’ai pas participé à la commission psychiatrie. J’étais alors en CPEM c’est-à-dire dans la première année d’aujourd’hui. J’ai pris une part active à la Commission des Sciences Humaines en médecine et largement contribué à la rédaction de ce qui sera le « Livre Blanc des Sciences Humaines en Médecine ».

À la relecture, ce texte me semble assez représentatif de nos positions de l’époque et parle bien de ce sentiment de crainte et d’espoir mélangés. Il est rempli de nos illusions, de nos peurs, de notre obsession de ne pas nous faire « récupérer » par le système comme on le disait alors. Il mériterait un commentaire complet auquel je ne me livrerai pas pour le moment. Il dénote une ambivalence entre le « laisser à chacun la liberté de ses choix » et un autoritarisme de tendance « garde rouge » qui perce à l’évidence dans certains passages et nous a fait côtoyer des précipices peu évidents alors mais bien clairs aujourd’hui.

La Commission des Sciences Humaines s’est réunie tous les jours en mai et juin 68 et a reçu la visite d’un certain nombre de psychanalystes en particulier ceux qui, à l’époque s’intéressaient à la formation des médecins via les groupes « Balint ». J’ai raconté ailleurs cette aventure1. Le « livre blanc » en est une des conséquences. Certaines propositions concernant la formation avec les élèves infirmiers et les assistantes sociales, de groupes de formation à la relation seraient encore d’actualité aujourd’hui s’ils voyaient le jour ; D’autres propositions visant à sortir les médecins de l’enfermement auquel conduit l’hégémonie des sciences biologiques aussi.

Je livre ce texte comme témoignage .Ceux qui le liront garderont en tête que nous avions 20 ans – ou moins !- à l’époque. Face aux espoirs étouffés de l’après guerre nous avions envie de vivre autre chose. Ce qu’il en reste au temps du sarkozysme est une autre affaire. Mais nombreux sont ceux qui ont continué bien après 68 à se battre pour que les choses changent. Ils ont gardé l’espoir et le rire .Ils sont restés mes amis. Je les salue ici.

Laurent Le Vaguerèse

LE LIVRE BLANC DES SCIENCES HUMAINES

INTRODUCTION

I ère partie : Pourquoi les Sciences Humaines en Médecine ?

1) socialisation de la médecine ?

2) réflexion sur le rôle et la condition du

médecin généraliste

3)1’acte médical à ses trois niveaux

a/ somatique

b/psychologique

- désacraliser la pratique médicale

- écoute

-. problème de langage

c/socio-économique

4) Danger d'instaurer, danger de ne pas instaurer

les matières à caractères psychologiques dans

les études médicales.

1ère PARTIE BIS Remarques

IIeme PARTIE : Comment les Sciences Humaines en Médecine ?

1) Avant propos

2) Remarques préliminaires

3) Sensibiliser

4) Former

5) Contrôler

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INTRODUCTION

Le soulèvement qui s'est produit en mai dernier a posé tant dans

les usines que dans les facultés le problème des relations

humaines au sein d'une société dont les structures ont complètement bouleversé les rapports qui existaient antérieurement entre

les hommes. La concentration de la population dans les zones

urbaines, la parcellisation du travail, la destruction de la

structure villageoise, ont modifié profondément les rapports

quotidiens de l'homme avec son milieu et des hommes entre eux.

La. société française fondée sur 1' individualisme et l'exploitation neo-capitaliste a lentement élaboré une société où

l'homme vient se surajouter à une structure bâtie sans tenir

aucun compte, ni de ses aspirations sociales ni de 1'incidence

de ces structures sur sa vie quotidienne. Détruisant les lieux

de rencontre et de dialogue qui existaient antérieurement, elle

n'a pas. su en créer de nouveaux capables d'assurer à l'homme

une vie sociale satisfaisante faite de relations avec ses congénères,

habitants d'un même quartier, d'un même immeuble, travailleurs

d'un même bureau ou d'un même atelier. La société d’exploitation

capitaliste dans laquelle nous vivons vient ajouter son

propre joug à ceux déjà lourds que nous avons énoncé précédemment,

Face à cette situation, l'homme réagit généralement en refoulant

les conflits qu'elle suscite en lui. La pesanteur sociale qu'il

subit n'est pas seulement un concept pour intellectuels de gauche,

mais hélas la triste expression de la réalité. De plus, ces

structures oppressives, si elles créent des conflits chez l'homme,

accentuent aussi ses conflits personnels en les empêchant de

s'exprimer, elles les rendent plus aigus et aussi de plus en plus

refoulés. Mais les conflits rentrés ne disparaissent pas.

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L’impossibilité de les extérioriser, par exemple dans une révolte Organisée, peut faire reporter sur son corps ce que l'individu aurait pu exprimer à l'extérieur.

Il y a là un chemin pour une compréhension des phénomènes de « somatisation ».

Analysant cette situation, la commission sciences humaines s’est donnée pour tâche, d'une part de faire prendre conscience au

médecin du rôle qu'il joue dans la société ; lui faire comprendre que derrière une demande explicite de son patient, se cache une autre demande plus difficile à saisir, mais aussi profonde

traduisant un refus de la société telle qu'elle est conçue.

Faire prendre conscience au médecin de ses possibilités révolutionnaires, lui faire comprendre que les malades qu'il reçoit dans son cabinet sont pour la plupart en réalité les sous-produits d'une société traumatisante, est une tâche fondamentale, mais ne saurait

être dissocié d'une préparation du futur médecin à répondre aux problèmes qui lui seront posés par l'appel à l'aide du patient sur un terrain somatique ou non.

Comme toutes les commissions de la faculté de médecine, la commission sciences humaines, à la question quelles études désirez-vous, a répondu ; quelle médecine et surtout quelle vie désirons-nous pour nous-même et pour la société à laquelle nous appartenons et

dont nous dépendons. En aucune manière notre option présente ne saurait être dissociée ni de notre vie future, ni de notre engagement politique profond. Toute séparation abusive aboutirait à ne prendre de ce texte que la structure, en en oubliant l'esprit.

Nous espérons qu'au cours de cette lecture, vous garderez présent à l'esprit constamment cet avertissement.

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I ère PARTIE

POURQUOI LES SCIENCES HUMAINES EN MEDECINE

1) Socialisation de la médecine ?

Les drapeaux noirs et rouges qui flottèrent durant trois

mois sur le fronton de la faculté ont permis à certains d'avancer la thèse selon laquelle les étudiants en médecine noyautés par certains groupes extrémistes auraient désiré mettre en place une socialisation de la médecine aboutissant à une déshumanisation

complète de celle-ci. En fait, si les étudiants en médecine

désiraient bien une socialisation, ils ne mettaient pas sous les mêmes mots les mêmes choses. Au contraire de la déshumanisation dont

ceux-là mêmes qui la préconisaient agitaient la menace c'est bien

d'une humanisation de la, médecine qu'il s'agissait et tout ce qui suit tend à le démontrer le plus clairement possible. Si nous désirons une répartition géographique de médecins, c'est bien dans l’optique de mieux servir le malade qui doit disposer d'une

structure sanitaire près de son lieu de travail et de son lieu d’habitation.

Notre objectif unique est de satisfaire les besoins de

santé de la population, les conditions d'exercice de la médecine devant s'y adapter.

Nous voulons un égal droit à la santé (l) pour tous, et refusons

toute forme d'études conduisant à la production de deux catégories de médecins de classe.

(l) Lorsqu'on parle de "droit à la santé", il ne s'agit pas d'une

catégorie purement juridique, il s'agit d'un de ces droits économiques et sociaux qui ne peuvent être satisfaits que grâce à des moyens économiques, il s'agit d'un choix dans la finalité de l'économie. (Péquignot Le Monde du 6/9/67.)

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Ce n'est pas souscrire à la fonctionnarisation au service

du patronat (médecine du travail, droit de regard sur la sécurité sociale) telle qu'elle est conçue actuellement qui ne fait que souligner le droit à une bonne ou à une mauvaise médecine, selon les moyens financiers des malades et qui fait de l'acte médical une marchandise vénale.

Par "socialisation" de la médecine, nous entendons que

tous les malades puissent accéder à la médecine dont ils ont besoin. C’est-à-dire que les compétences reconnues ne soient pas réservées aux malades payants parce quels, mais utilisés à leur maximum d'efficacité.

Ce qui implique la disparition des deux secteurs hospitaliers distincts, où le "privé" qui reçoit les malades privilégiés choisis par le patron, réunit les conditions de confort et de

besoins optima, qui devraient être le fait de tous.

C'est également concevoir la thérapeutique comme moyen de rendre le malade responsable de lui-même, donc de le soustraire aux contingences économiques ou politiques qui le régissent actuellement.

Ceci suppose la prise de conscience par le médecin de son rôle dans la société et, en particulier, du rôle aliénant que lui impose le principe de rendement, en en faisant un outil utilisé pour réinsérer les malades au plus vite et au moindre coût dans le circuit de production.

Or cette conception de la médecine impose une médecine humaine qui considère toutes les dimensions de l'homme ; humaniser la médecine nécessite la revalorisation du médecin généraliste.

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2) REFLEXIONS SUR LE ROLE ET LA CONDITION DE MEDECIN GENERALISTE

tout d’abord, on ne le répétera jamais assez, la France est

un pays sous-médicalisé. Une étude comparée de la densité médicale en France et dans les autres pays européens n'est guère à notre

honneur, on le sait. Avec 144 médecins/100 000 habitants, la

France connaît la plus faible densité médicale de tout le Marché

Commun. Elle vient après l'Espagne (124,6), la Grèce (134,3) et

l'Argentine (148.)

- Par ailleurs, il est inquiétant de voir que de moins en moins

d'étudiants envisagent l'omnipratique : l'an dernier 17 % des

stagiaires chez le Professeur Aboulker prétendaient devenir

omnipraticiens A Rouen, 7 % en 3e Année.

- Débordé de travail, à la fois complexé et méprisé par

rapport au spécialiste, incompétent dans la plupart des problèmes

psychologiques qui lui sont posés (l), le médecin

généraliste tend à devenir graduellement un officier de santé

administrateur d'aspirine et d'encouragements, caricature du

médecin tel qu'on peut le concevoir avec un minimum de bon sens.

(l) Rappelions que les diverses enquêtes faites à ce sujet, en

particulier celles réunies dans le rapport de Guyotat et collaborateurs au Congrès de Dijon (juillet 1967) montrent la très haute

proportion de "fonctionnels" dans la clientèle du médecin (50 à

50 %).

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-. Allant de pair avec la dévalorisation de sa profession.,

l'atteinte qui est faite à l'individualité- du médecin en tant

qu'homme est chose qui nous inquiète beaucoup, et sur laquelle il

faut insister s'il est vrai que la disponibilité du généraliste

est le premier impératif de cette profession, nous pensons que

celle-ci est exploitée à l'excès par une politique de santé

défaillante. La vie familiale, le recyclage indispensable, la

culture personnelle sont toujours remis à plus tard. Trop souvent,

il n'a guère le temps de réfléchir à sa condition, si ce n'est

qu’à "raz de terre" dans sa voiture entre 2 visites, de sorte

qu'il demeure généralement : incompétent méfiant ou désabusé

devant ce qui touche le syndicalisme, la santé publique, la

politique, l'économie.

Aux entretiens de Bichat sur la médecine rurale, on a parlé

d'abdication du médecin devant le carcan administratif. On a dit

qu'il vivait avec ce défaut congénital de n'avoir jamais à. participer à la création d'organismes sociaux car l'incompétence qu'il

reconnaît avoir en matière sociale le conduit à penser que cette.

participation est quelque chose qui se fera toujours contre lui,

- Pour sortir de l’impasse à laquelle nous conduit la

situation actuelle, une des premières mesures à prendre par la Fac

se situe sur deux plans.

quantitatif : accroître le rendement pour augmenter

le nombre de médecins

qualitatif : améliorer sa rentabilité pour que

parmi les futurs médecins, de réelles orientations

vers l'omnipratique puissent s'effectuer : sa

formation ne doit donc plus porter uniquement sur des problèmes

somatiques, mais doit également aborder tous les problèmes

affectifs, sexuels, psychologiques, sociaux auxquels le médecin

est habituellement confronté.

Cette formation doit lui permettre d'accomplir l'acte médical dans

un sens beaucoup plus large : la prise en charge de l'homme malade

dans sa totalité, somatique, psychologique et socio-économique.

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L'ACTE MEDICAL A SES TROIS NIVEAUX

a/SOMATIQUE

Actuellement, on reproche au médecin de ne s'intéresser qu’aux problèmes organiques, somatiques du patient qu'il examine, et de ne pas accorder l'attention suffisante à ses problèmes psychologiques et socio-économiques»

II recherche, avec une méthode stéréotypée "le signe qui le mettra

sur la piste d'une lésion somatique qu'il connaît. Il aura donc

forcément tendance à laisser au second plan 1'aspect "fonctionnel"

ou psychologique de la demande formulée par le malade.

À la base de cette opération de filtrage, il existe une préoccupation

légitime de la part du médecin, il cherche à mettre en relief

les troubles sur lesquels il est sûr de pouvoir agir, selon les

méthodes qu'on lui a enseignées au cours de ses études.

Il ne veut pas "passer à côté" d'une affection somatique qui

requiert un. traitement médical ou chirurgical précis et dont le

diagnostic est parfois difficile, les symptômes pouvant passer

inaperçus au milieu des problèmes psychologiques que le malade

cherche à exprimer.

Mais il y a d'autres raisons à cette attirance préférentielle vers

la pathologie organique.

Le médecin ne se sent pas compétent pour prendre en charge les

problèmes psychologiques de son malade, on ne lui a rien appris à

ce sujet ; il se contente de son bon sens, de son flair, de son

intuition mais il se trouve angoissé de constater combien cette

action est difficile à manier, pouvant même être dangereuse.

Cette angoisse est d'une telle intensité qu'on comprend aisément

pourquoi le médecin cherche à éviter ces problèmes psychologiques,

de différentes manières ;

- en considérant le malade fonctionnel comme un "tricheur",

un "malade imaginaire", voire un parasite paresseux désirant exploiter

son médecin, son employeur et la société.

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en étiquetant le malade rapidement "névrosé" ou

« hystérique », et en acceptant par là même l'impossibilité de lui

venir en aide.

en regrettant amèrement que les conditions du travail

de médecin ne lui laissent absolument pas le temps d'avoir un

entretien prolongé avec ce malade, car il se doit de voler au chevet

des. autres patients qui l'ont appelé.

en se tirant d'affaire par une ordonnance comportant

un cocktail habituel de tranquillisants et somnifères, assorti de

conseils judicieux ; repos, sommeil, détente, sport, volonté,

philosophie, calme, etc. En fait, ce n'est qu'une fausse économie

car laisser évoluer les problèmes du malade reviendra très cher au

malade et à la société.

Toutes ces formes de dérobade témoignent d'une fuite du médecin

devant l'angoisse d'affronter une véritable relation avec son malade ;

en effet, elle ne peut être thérapeutique que si cette relation

comporte une implication importante de la personnalité du médecin.

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b) PSYCHOLOGIQUE

Nous avons vu que, très souvent, trop souvent, on reproche

au médecin de ne pas s'intéresser à la psychologie du patient ; on

peut penser que nous vous parlons de certains médecins qui "n’ont pas de cœur "

En fait, il s'agit d'un problème très général. Dans la pratique

actuelle, cette relation est souvent faussée à la base et nettement

déviée des conditions qui seraient favorables à un effet bénéfique.

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DESACRALISER LA PRATIQUE MEDICALE

La relation du médecin avec son patient est l'une des plus

fausses qui soient. Elle contribue à consolider dans l'esprit du

patient l'image du médecin tout puissant du prêtre qui a tout

pouvoir selon son désir de guérir son patient ou de le maintenir

dans la maladie. Elle confère au médecin un esprit qu'il doit

combattre énergiquement s'il veut atteindre cette médecine humaine

dont nous parlions. Cette relation- maître-élève, dominant-dominé,

mettant en contact d'une part un homme affaibli, inquiet, heurté à

quelque chose qu'il ignore, face auquel il est impuissant et qui

l'atteint au plus profond de lui-même, et d'autre part, un homme en

bonne santé, en pleine possession de ses moyens physiques et mentaux

jouissant d'une situation sociale supérieure à celle de son malade,

devra être abolie à brève échéance dans l'intérêt du patient et dans

celui du médecin.

Il faut y mettre fin dans l'intérêt du patient qui doit être traité

en adulte et non pas en enfant et qui doit pouvoir assumer sa maladie.

Il faut y mettre fin dans l'intérêt du médecin qui doit trouver en

face de lui, non pas un objet qu'il manœuvre suivant ses caprices,

mais un homme qui vient chercher conseil et qu’il faudra aider et

non manipuler.

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Au patient cette situation permet de conserver cette qualité

d’homme et. toute la dignité et le respect inhérent à cette

qualité… Contribuant à sa guérison, il met fin à cet état

d’infériorité qui le liait au médecin, assumant sa maladie,

il devient moins dépendant de celle-ci.

Au médecin, elle permet de mettre fin à une situation paternaliste

qui l'amène à maintenir sa coupe sur les quelque 500 enfants de

sa progéniture.

Deux objections peuvent nous être faites : la première, que cette

situation semble voulue par le patient, la seconde, qu'elle peut

présenter parfois un intérêt thérapeutique.

Ces deux objections sont très importantes, à examiner, car elles

nous permettent d'éclaircir un certain nombre de positions prises

dans ce texte. En effet, nous sommes parfaitement conscients que,

partant d'autres options fondamentales que les nôtres, quelqu'un

pourrait nous démontrer leur justesse. On peut dire, effectivement,

qu'à cause de l'angoisse que procure à chaque homme la maladie, il

a besoin d'un personnage sécurisant et quelque peu magique, que

sa propre personnalité se "diluant", il a besoin d'une personnalité

de rechange forte et structurée qu'il va emprunter au médecin pour

lui permettre de franchir ce mauvais cap, d 'où la valeur thérapeutique ; que la maladie fait retrouver à chaque homme des relations

enfantines avec sa mère ou avec son père, au choix, que le

malade demande donc au médecin de se comporter comme un père ou

comme une mère ? que etc.… etc.…

Il n’y a rien à opposer sur ce plan, à cela,

Mais que se passerait-il si le médecin refusait ces rôles. Le

malade se verrait refuser le recours à un "autre" pour combler ses

manques. Il serait immanquablement renvoyé à lui-même, à son

angoisse, à sa solitude. Acte criminel, diront certains ; seul

chemin vers la possibilité d'être homme, diront d'autres. C'est à ce niveau-là que se situe la réponse.

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Renvoyé à lui-même, le malade peut comprendre que la

solution à ses conflits ne lui sera pas donnée toute faite par sa relation avec le médecin, Que la solution lui revient en propre,

qu'elle est à inventer, à créer, jamais donnée par un quelconque acte magique, toujours à refaire.

Pour un certain nombre d'entre nous, c'est cela le retour à la

santé, la santé "positive" comme on dit. Et notre désir thérapeutique va jusqu'au désir que le malade retrouve, cette santé-là, d'où

notre option d'un type de relation ; et on ne peut pas remonter

cette phrase en sens inverse. C'est à partir de notre vision

globale de l'homme que nous choisissons nos attitudes, pas l'inverse-

Aussi, aux deux objections formulées plus haut, nous pouvons

répondre ; certes, cela peut avoir une valeur thérapeutique, mais

pas dans notre optique, pas pour l'homme que nous visons et que

nous désirons.

Toute attitude révolutionnaire est une vision de l' homme mise en

fait, vécue, prenant, corps et vie. Et l'attitude ne peut être

comprise qu'à partir de la vision, globale, pas l'inverse. Il est

donc bien entendu que tout ce texte est sous-tendu implicitement

par une notion de l'homme et qu'il ne peut être compris qu'à

partir d'elle.

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ECOUTE

L'humanisation de la médecine ne doit pas en rester à cette seule désacralisation du médecin. À partir de cette conception

nouvelle de la médecine, le travail de rénovation en profondeur que nous avions décidé d'entreprendre pouvait commencer. Nous

avons voulu aborder tout d'abord les problèmes de l'écoute du

malade et de la compréhension par le médecin des problèmes exposés

par son patient. Il nous est apparu, dès le début, que nous devions

tous apprendre à écouter. Cet apprentissage qui paraîtra probablement superflu à la plupart ne l'est pas en réalité. Au fur et à

mesure que l'on avance en âge et en pratique, il se forme dans

notre esprit des schémas de pensées qui, s'ils se révèlent

quelquefois utiles, nous empêchent le plus souvent de véritablement écouter ce que veut nous dire le patient. À toutes nos

questions nous n'obtenons la plupart du temps que des réponses,

réponses qui se révèlent fragmentaires, déformées par rapport à

la réalité, modifiées par le fait même de la question. Apprendre

à écouter sans poser de questions, mais en orientant le patient

dans sa relation de faits n'est pas une chose à imposer seulement

aux médecins réactionnaires, mais bien à tout médecin même le

plus ouvert et la plus jeune. Apprendre à écouter ne doit pas être

une chose à imposer aux autres, mais à s'imposer à soi.

Cette ouverture dans l'écoute suppose que l'on pense que

cette écoute est nécessaire. C’est-à-dire que l'on comprenne que

derrière la relation que le malade fait de ses problèmes affectifs

sexuels ou familiaux, se cache presque toujours la solution de la

maladie ou de la plainte du malade.

Pour ceux qui désireraient une étude approfondie de ce problème,

nous les renvoyons à l'excellent livre du Docteur Michael Balint ;

"le médecin, son malade et la maladie" (Payot).

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mais l'écoute du malade, condition nécessaire à une bonne

approche, ne saurait tenir lieu de condition suffisante. D'une

part, parce qu’un. certain nombre de facteurs gênent le patient

dans l'expression des problèmes qui le préoccupent, et d'autre

part, parce que si, à ce stade, le problème commence à être

posé, il n'est pas pour autant résolu.

PROBLEMES DE LANGAGE

Les difficultés que ressent le malade à s'exprimer devant

son médecin sont nombreuses, nous n'en citerons volontairement

que quelques-unes ; Certaines tiennent à la nature même de la

relation, d'autres sont propres au langage employé au cours de

cette relation. Mais les unes et les autres représentent une

gêne pour la compréhension mutuelle et rendent difficile le rôle

du médecin. La première difficulté, comme nous l'avons vu,

tient à la nature même de cette relation, c'est à. dire au fait

qu'il s'agisse d'un homme malade. La maladie elle-même fausse

le dialogue. Le malade peut, par exemple, se sentir fautif,

éprouver sa maladie comme une punition et ressentir toute parole

comme un jugement. Il peut, au contraire, se sentir justifié par

sa, maladie, acquérir par celle-ci un certain rôle social, une

place dans la société, et vouloir faire entrer le médecin dans

ce système etc.,

Le médecin aura beaucoup de mal à dévoiler tout cela, s'il veut

réussir à instaurer un jour un véritable dialogue.

Les tabous de la société actuelle, surtout en ce qui concerne

les problèmes sexuels, ainsi que le manque d'éducation du

malade à ce sujet n'améliorent évidemment pas les choses, et le

médecin, même avec la meilleure bonne volonté, se heurte parfois

à un mur.

-14- '

Le médecin n'est pas le seul responsable des tabous sexuels,

bien sûr, mais il contribue souvent à les entretenir.

les manières illusoires d'aborder ce problème, langage familier ou

grossier, lui permettent d'échapper à la considération directe

de ces questions qui nécessitent un véritable dialogue. Ceci peut

être illustré par la réputation de "paillardise" de l'étudiant en

médecine.

Le malade a peur d'aborder le sujet ; "le médecin, on ne peut pas

lui parler de ces choses-là» « » c'est trop délicat"

C'est dire toute l'importance du langage. » langage employé au

cours du dialogue qui s'instaure entre le malade et son médecin.

Généralement issu d'un milieu social inférieur à ce dernier, le

patient a du mal à s'exprimer. Il ne sait pas trouver les mots

pour traduire la nature de son mal, de ses douleurs, et lorsqu'il

s'agit de problèmes autres que physiques, il n'arrive généralement

pas à fournir à son médecin une relation précise de la situation

qu'il décrit. S'il a souvent tendance à supposer connus des faits

que le médecin ignore totalement, il inclinera également à passer

sous silence des faits qui ne lui semblent pas susceptibles

d’intéresser son médecin, ou qu'il jugera sans intérêt, alors que

ces mêmes faits seront capitaux pour le médecin s'il veut effectivement appréhender correctement la situation dans laquelle il

se trouve plongé, si l'on peut dire, en même temps que son client.

Toutes ces difficultés font que la relation entre le malade et le

médecin est tissée de malentendus de toutes sortes qui gênent le

médecin dans son travail. Comment donc remédier à cette situation ?

Le dialogue qui peut ainsi se créer par l'attitude

réceptive du médecin et sa connaissance des problèmes posés par

le dialogue, constitue d'une part la matière première à partir de

laquelle le médecin va pouvoir interpréter la demande de son

malade et tenter de l'aider à sortir de la situation critique dans

laquelle il se trouve, et d'autre part, une première thérapeutique,

15

En effet, le simple fait d'exprimer ses problèmes devant une

personne qui l'écoute avec bienveillance et le dirige avec sûreté,

permet au malade d'éclairer lui-même et à ses propres yeux la

Situation dans laquelle il se trouve, peut-être même la simple

expression du problème lui fournira-t-elle les premiers éléments

de réponse.

La conceptualisation des difficultés exprimées par le malade

va donc lui permettre de structurer une situation qu'il ne percevait lui-même que d'une manière floue, de préciser l'attitude de

l'un ou de l'autre, de replacer dans son contexte tel ou tel

évènement. Peut-être cela lui permettra-t-il aussi de revenir à

une échelle de valeur plus juste que celle que lui avait fournie

son attitude de malade, et de reprendre contact avec la réalité, de

se désintoxiquer du quotidien. En quelque sorte, et pour employer

une expression peut-être imagée, le problème auquel était exposé

le malade et qui s'exprimait par une douleur à l'estomac ou un

mal de tête parce qu'il ne pouvait pas se traduire autrement,

trouvera là un autre moyen d'expression qui lui permettra peut-être

de renoncer au premier.

D'autre part, comme nous le disions, ce dialogue constitue

une matière première qui devra être utilisée, par le médecin. Mais

est-il capable dans l'état actuel de ses connaissances, et en

supposant que tout se soit déroulé à merveille jusque-là, qu'il

ait évité les pièges que nous avons énoncés, d'utiliser cette

matière première parfois d'une très grande richesse, avec un

rendement satisfaisant ? Se fiant à son bon sens et son habitude,

ne va-t-il pas faire de ce précieux instrument de travail une

utilisation anarchique et le rendre inefficace ? Certains auront

l'humilité de l'avouer et accuseront à juste titre une absence

totale de formation en ce domaine ; d'autres se réfugieront

derrière l'habitude. Ces derniers confondant la psychologie avec

un passe-temps pour intellectuel de gauche, n'auront que mépris

pour ce texte et pour renseignement que nous préconisons. Nous

disons, nous, que la psychologie, comme d'ailleurs la plupart des

sciences humaines, a atteint l'âge adulte.

c/Socio-Economique

Si nous désirons vraiment améliorer la formation de

1’étudiant à une médecine humaine, il ne faut pas se limiter à

une formation en psychologie.

À côté de celle-ci, on doit donner beaucoup d'importance aux

sciences sociales ; en effet, tout ; l'objet de l'étude du médecin :

le comportement et la santé, sont influencés tout autant par les déterminismes d'ordre psychologique que d'ordre socio-économique,

Le contexte social, son environnement : ses conditions de

vie, interviennent dans les différents secteurs de la médecine

d'une façon puissante :

- vis-à-vis des actes médicaux :

dans quelle mesure un patient pourra-t-il payer, suivre et faire surveiller une

thérapeutique ? C'est une question aussi importante à se poser

que la posologie des produits prescrits.

- les problèmes juridiques et administratifs (pensions, arrêts de travail, reclassement

professionnel) doivent être l’objet d'une réflexion documentée

de l'étudiant.

= vis-à-vis de la maladie ;

.la dénutrition, les parasitoses, les maladies contagieuses, les troubles psychiques,

le

suicide, les grossesses répétées, l'avortement… sont

conditionnés tout autant par des difficultés socio-économiques

que par des conflits psychologiques isolés.

= vis à vis de la société

l'alcoolisme, la délinquance, la violence, l'incapacité à un travail stable, étant bien

souvent une forme de révolte contre une pression sociale -

psychologique et aussi économique.

17

c’est pourquoi la sociologie (au sens large) ne doit plus être

considérée comme une science humaine académique et ésotérique pour

le médecin, mais comme une dimension basale et quotidienne de son travail.

Les facteurs pathogènes socio-économiques sont appelés à occuper

une place de plus en plus importante dans le champ de la médecine.

Les difficultés familiales, professionnelles sociales étant

amenées à constituer non plus l'entourage, l'environnement de

l'individu malade, l’« écrin de la maladie », mais bien plus : ce

sont des agents directs d'atteinte de la santé, au même titre qu'une

bactérie ou un virus.

Dès lors, le médecin ne peut plus rester dans son enceinte aseptique,

"au dessus de la mêlée", protégé par les conventions de Genève et

la blouse blanche ; les hommes en blanc ne peuvent plus continuer

à se "laver les mains" de tout cela.

On nous objectera que tout cela représente une somme

De connaissances énormes : il s'agit surtout d'amener 1étudiant à

une prise de conscience de ces problèmes,

On pourra nous dire que cette formation ne convient qu'à un groupe

très restreint de médecins, ceux qui, pour des raisons diverses

travaillent dans un secteur de médecine dite sociale (dispensaires,

sécurité sociale, services d'aide sociale… etc.…)

Ces médecins sont trop peu nombreux, ils sont sous-estimés trop

souvent par leurs confrères qui les considèrent comme des bureaucrates connaissant mieux les problèmes administratifs que l'art de

soigner, dont 1'influence sur 1'énorme machine administrative qui

les emploie est très négligeable.

Nous pensons qu'il ne peut pas y avoir une appréhension

complète des problèmes d'un sujet si tout le secteur "socio-économique" de ses troubles est laissé à 1'usage exclusif de structures

médicales institutionnalisées, à 1'écart de la médecine de soins.

-18-

Nous avons va combien le contrôle et la qualité de la

relation médecin malade avaient d’importance pour la thérapeutique

et nous appuierons le plus possible pour développer la formation

à cette relation.

Mais cette relation n'est qu'un instrument, ce n'est pas

une fin en soi.

Elle ne doit pas servir d'alibi pour limiter son action sur la

maladie aux facteurs psychologiques. Lorsque les médecins discutent

en groupe d'un cas, ils argumentent essentiellement les aspects

psycho-dynamiques qui interviennent : cette analyse peut constituer

un cul de sac, si le médecin polarise d'une façon trop exclusive

sur ce point toute son attention, au détriment des facteurs

socio-économiques et politiques qui interviennent dans la maladie.

Si on veut modifier les études pour permettre à

l’étudiant de prendre conscience des dimensions humaines de la

médecine, l'inventaire doit être complet, il faut avoir l'honnêteté

d'envisager toutes ces dimensions.

Entendons-nous bien l nous no cherchons pas à dénigrer la médecine

psycho-somatique ; nous voulons diffuser et développer son usage

car c'est un élément essentiel de qualité pour 1'action thérapeutique.

Ce que nous contestons, c'est de limiter exclusivement

à cela 1'activité du médecin et sa prise de conscience.

L'activité thérapeutique est un tout ; sinon, elle n'a

pas de sens

Nous critiquons, de la même manière, l'attitude qui

consiste à utiliser comme "excuse" des difficultés socio-économiques grave chez un sujet (chômage, économiquement faible, pour

se croire dispensé d'une prise en charge psychologique ou d'une

thérapeutique somatique de qualité.

19-

4) DANGER D’INSTAURER, DANGER DE NE PAS INSTAURER LES MATIERES A CARACTÈRES PSYCHOLOGIQUES DANS LES ETUDES MEDICALES.

L'instauration d'un enseignement de matières à

caractère psychologique, suivant les modalités exposées plus

avant, au sein des études médicales, ne saurait être considéré

comme un remède miracle, une solution à tous les maux éprouvés.

Nous allons tenter de donner au moins deux raisons qui font de

cette introduction des sciences psychologiques en médecine une

arme dangereuse et à double tranchant. Tout d'abord, si la

psychologie est une science, elle est aussi une technique. Et à

ce propos, il est juste de dire que comme toute technique, elle

pourra être, soit utile, soit nuisible selon 1'éthique qui la

soutendra. Elle sera utile dans la mesure où elle permettra comme

nous 1'avons vu, au médecin d’aider son patient dans un certain

nombre de situations où il était jusque-là impuissant à lui

fournir ne serait-ce qu'un commencement de "réponse". Dans la

mesure aussi où cette science et cette technique tendront à lui

ouvrir l’esprit et 1'inviteront à s'intéresser à des problèmes

qui jusque-là ne lui étaient pas familiers. Elle sera nuisible

par contre, dans la mesure où elle tendra à devenir un moyen pour

le médecin de se défendre de ses malades, dans la mesure où elle

lui permettra plus facilement qu’auparavant de mettre une étiquette sur les gens, les idées, les attitudes etc.… Ce danger

n'est pas minime. Il est, au contraire, d'importance. Comment faire

alors, pour éviter ce piège ?

Si l'on prend le problème de plus haut, et qu'on tâche

d'en saisir la dimension politique, on s'aperçoit que loin d'être

une mesure révolutionnaire, la mise en place d'un enseignement

de sciences humaines à là faculté, va dans le sens d'un accroissement du pouvoir médical sans pour autant changer 1'orientation

de ce pouvoir, ni modifier 1'intégration du médecin dans la

société capitaliste. En cela, elle pourrait être qualifiée à juste

20-

titre de mesure réactionnaire. C'est la raison pour laquelle»

pour nous l’établissement de cet enseignement doit être soumis à

nu contrôle permanent de la part des étudiants et ne doit pas

dans leur esprit être dissocié de la volonté qu'ils ont de

transformer profondément la société dans laquelle ils vivent.

Toute dissociation abusive de la part des uns ou des autres

conduirait inévitablement à un renforcement de la structure

capitaliste et permettrait au régime sur ce point précis du moins

de récupérer à son profit la révolution étudiante. Il semblera

peut-être abusif à certain de traiter la structure médicale de

structure capitaliste d'exploitation et d'intégration. D'autres

textes seront consacrés à la démonstration de cette affirmation.,

Nous voudrions cependant mettre 1'accent sur deux points. D'abord

sur le plan de la dictature individuelle, le rapport psychologique

est pour le médecin une arme non négligeable. Despote du corps

il devient ou plutôt améliore son rôle de dictateur des esprits.

Proposant comme modèle à ses patients les solutions personnelles

qu'il a employé, lui imposant sa propre morale comme sa propre

philosophie, imposant propre personnalité comme solution de

rechange à la personnalité atteinte du malade, le médecin risque

d'être renforcé dans ce rôle par l'enseignement qui lui sera

prodigué à la facultés

Pour la commission, il s'agit donc en même temps d'introduire les sciences humaines en médecine, et d'y insuffler l’esprit révolutionnaire qui pousse le médecin à aider son malade à reconstruire sa personnalité propre, à structurer les éléments

qu'il possède déjà en lui et qui sont suffisamment sains pour

servir de points d'appui à un nouveau départ, plutôt que de se

substituer à lui.

le second point est plus général, il envisage la structure

médicale en tant que structure intégrée au système capitaliste.

l’analyse faite par Cohn-Bendit au niveau de la sociologie et qui

sera reprise un peu plus loin pour ce que nous appelons les

-21-

enquêtes peut être transposée presque sans modification en ce qui

concerne la médecine.

Ceci nous amène à nous poser une question de fond :

Quelle est notre conception de la santé et de la maladie ?

En conséquence, quelle est 1'action la plus logique à entreprendre :

Calmer les symptômes ou dénoncer la cause ?

Lorsqu'un malade souffre d'un ulcère et qu'on s'aperçoit

qu'il est soumis dans l'entre prise où il travaille à un surmenage

permanent depuis plusieurs années, quelle. doit être la position du

médecin ?

Doit-il avoir pour objectif essentiel de faire disparaître les

symptômes sans laisser le "patient" remettre en question sa

situation, dans la société ?

Ou bien doit-il amener progressivement le malade à critiquer ses

conditions de vie, à reconnaître que cette symptomatologie organique n'est finalement qu'une forme de révolte "rentrée" contre une

situation insupportable et traumatisante.

On pourra nous dire que nous n'avons pas le droit d'augmenter

l'angoisse du patient en lui montrant les véritables causes de sa

maladie. Cependant, ce rôle de "pansement" que constitue un

traitement purement symptomatique est-il suffisant ?

La médecine est-elle une action destinée à mettre en veilleuse les

attitudes de refus et de révolte d'un patient ? Le médecin est-il

là pour couper le signal d'alarme devant une situation critique ?

En acceptant ce rôle, n'accepte-t-il pas de fait, la société actuelle et ses contraintes ? On peut penser que son rôle ne doit pas

être celui d'un doctrinaire, bien au contraire et qu'il ne faut

pas remplacer une attitude de démission par une position directive

attachée étroitement à une idéologie, quelle qu'elle soit.

22

-

Chercher à "conditionner" son interlocuteur ne représente-t-il

pas aussi une fuite des problèmes de la prise en charge

psychologique ?

Le médecin ne doit-il pas être capable dans le dialogue avec le

malade, de prendre assez de distance par rapport à son idéologie,

ce qui ne le dégage en rien de la nécessité de faire face à ses

engagements personnels et à ses responsabilités dans la cité ?

Le rôle du médecin ne consiste-t-il pas à accepter

1'ensemble dos "demandes" du patient, d'être capable de les

comprendre pour, à travers ce dialogue, permettre à son interlocuteur de prendre une claire conscience de sa situation et de

choisir, en pleine connaissance de cause, l'attitude qui lui

semble la plus constructive ?

En toute logique, le médecin a un rôle d'action.

directe sur tous les problèmes de santé de la cité.

S'écartant de la tradition qui limite le champ de la médecine à

la maladie, il doit contribuer au développement effectif des

mesures multiples (dialogue avec administrateurs, urbanistes,

architectes, enseignants, épidémiologistes, syndicalistes,

sociologues, etc.) qui tendent à s'attaquer tant aux causes de

la maladie qu'à tout ce qui assure, améliore et entretient le

patrimoine de "santé positive" de la population.

Cependant, malgré les dangers qu'il y a dans

notre optique du moins à instaurer un enseignenent de sciences

humaines en médecine, il nous apparaît à l'heure actuelle que le

danger est encore bien plus grand de lancer dans la nature de

-23

nouvelles générations de médecins qui referont, malgré les

progrès en ce domaine fait par les sciences humaines, les mêmes erreurs que leurs aînés : on a trop souvent tendance à mésestimer les maladies à caractère psychologique et sociaux. Là comme ailleurs, pourtant, il y a dos maladies 'bénignes et des maladies graves. Là comme ailleurs, il y a des maladies bénignes qui

peuvent devenir graves si on ne les soigne pas énergiquement

quand il faut et avec les moyens qu'il faut. Là comme ailleurs,

il existe des situations réversibles ou des situations désespérées. Si le malade n'est pas condamné à mort au sens physique

du terme, il l'est au sens où il ne pourra plus vivre normalement si tant est qu'il puisse exister une norme en la matière.

C'est donc en tenant compte de toutes ces données

et de beaucoup d'autres que, malgré les problèmes que cela pose

la commission a décidé 1'instauration d'un enseignement en

sciences humaines selon les modalités que l'on trouvera plus

loin.

Page 24

1ère PARTIE "bis – REMARQUES

1) Nous avons surtout analysé l'acte médical tel qu'il se

présente, en gros, dans le cabinet du médecin, ce qui ne constitue

pas une limitation de nos objectifs d'étude de premier plan, ni

une hiérarchisation de nos centres d'intérêt.

Au cours des discussions et confrontations que nous avons

eues, il est certain que les informations concernant 1'aspect

psychologique de la relation médecin malade ont été beaucoup plus

abondantes que celles concernant 1'aspect socio-économique.

La commission a conscience que ce fait est par lui-même signifiant.

Ce n'est pas par hasard que les étudiants en médecine, comme les

médecins, ont inversé ces ternes.

C'est d'abord par rapport à la pratique médicale que les problèmes

sociaux et politiques sont abordés ; c'est ce type même de retournement qui stérilise grandement 1es possibilités de réponse quant à

l’engagement social du médecin : N'est-ce pas 1' engagement social

et politique qui doit être premier ? Le problème n'est pas :"serai-

je révolutionnaire dans mon cabinet ?" mais "Suis-je révolutionnaire

dans ma vie, autour de mon cabinet ?" Je ne suis pas avant tout

médecin, mais homme face à d'autres dans un cadre social qui

m’implique et où j'exerce mon métier.

C'est ce type d'aliénation qu'il nous faudra déjouer, et déjouer

par là même les fausses situations soit disant insolubles.

2) Nous avons surtout analysé le cas du "docteur" seul face

à "son" malade en accordant moins d'attention aux problèmes du

"travail en équipe".

-25-

Cabinets de groupe, équipe hospitalière, relation avec les

spécialistes, les organismes collectifs, les structures administratives, les organismes de prévention, les autres membres de 1'équipe soignante et la collaboration avec les autres professions.

Or le médecin travaillera de plus en plus en groupe. II doit

trouver dès maintenant au cours de ses études le moyen de.

"développer "une sensibilité aux phénomènes qui sous-tendent la

vie de tout groupe". (Guyotat).

Ceci reste parmi nos objectifs essentiels ? nous prévoyons

d’étudier ces problèmes dans un prochain travail.

5) Que représentent les sciences humaines en médecine ?

a/On pourrait à première vue définir le travail de la

commission ainsi : "vous faites le nécessaire pour que l'on

"ajoute" aux études médicales actuelles les connaissances qui leur

manquent : la psychologie, la sociologie, le droit, l'économie

politique etc.

En fait, ce n'est pas cela. Il nous faut au départ repenser la

finalité de la médecine. Dès lors, les études seront à orienter

vers cette finalité et ce changement d'orientation ne sera pas

1'objet exclusif d'une "matière" isolée : les sciences humaines ;

Mais le but ne sera atteint que lorsque tout renseignement

dispensé aux étudiants médecins aura modifié son cap.

b/Les biologistes sont-ils nos ennemis ?

-Certains opposent sciences humaines à sciences biologiques et

introduisent une situation de rivalité.

"Ou bien, ils constatent l'ambiguïté du sens que l'on donne à la

psychologie médicale : considérée tantôt comme science fondamentale et placée au début des études, ou comme science clinique proche de la psychiatrie.

26

-Pour nous, ce que l'on entend par sciences humaines débordé

largement le cadre des matière fondamentale ou clinique.

Il s'agit là encore d’un faux problème. Des sciences humaines face

Aux sciences biologiques n'existent pas. II n'est pas question ici

d'accepter les termes de "limites respectives", de "secteurs

particuliers", "d'interpénétration", car les sciences humaines

existent déjà dans le domaine des sciences fondamentales.

La réflexion épistémologique appartient en tant que telle

aux sciences humaines et elle fait partie intégrante de toute

science ; de même la réflexion méthodologique, et peut être la

pédagogie.

« La science n'existe que dans les gens" dit Rogers. Et cela»

parce qu'il s'agit d'un regard humain repris par la réflexion sur

lui-même. Un groupe de chercheurs, un type d'enseignement posent

les mêmes problèmes que la relation médecin malade.

La vitalité des sciences humaines à la faculté de médecine

concerne donc chacun, qu'il soit étudiant, clinicien ou chercheur.

Il n'y a pas de problème de compétition ou d'association ; il s'agit

d’une intégration très large.

Sans remettre en question le principe de cette intégration

générale des sciences humaines, un certain nombre de tâches noue

sont imparties dans la formation de l'étudiant. Nous développerons

ceci dans la deuxième partie.

27

II ème PARTIE ; COMMENT LES SCIENCES HUMAINES EN MÉDECINE

AVANT PROPOS,

Les buts de la commission étant à peu près clairement

définis, il convient à présent d'expliquer en détail comment

la commission entend résoudre les problèmes qu'elle a elle-même

exposée dans la première partie de ce texte, et quelle structure

elle propose pour la mise en place de cet enseignement en

sciences humaines. Mais avant toute chose, elle tient à affirmer

que toute structure, toute proposition résulte d'un esprit,

lequel peut disparaître à la lecture d'un texte comme celui-ci.

Aussi met-elle le lecteur en garde contre des impressions hâtives

ou partielles du travail qui a été fait pendant trois mois, et

qui trouve ici une expression condensée et forcement plus ou

moins déformée. D'autre part, elle tient également à dire

qu'elle se réserve à. tout moment de modifier tel ou tel projet

dans un sens ou dans un autre, à la lumière de nouveaux éléments

de réflexions, de nouveaux arguments qu'elle pourrait être à

même de découvrir dans les jours, les mois, ou les années à

venir.

28

REMARQUES PRELIMINAIRES

Dans le "livre blanc de la réforme" paru en Juin 1968,

nous demandions que 1'enseignement concernant les sciences humaines soit entièrement facultatif.

Cependant, un examen réaliste de la situation actuelle nous

montre combien il sera difficile d'obtenir l'existence même et

le développement de ce "cursus" de sciences humaines, au cours

des études médicales.

Pour les raisons que nous avons expliquées plus haut, il

n'est pas question pour nous de compétition avec les sciences

fondamentales. Mais il nous faut de la place et du temps Et

étant donné l'état actuel des choses, 1' enseignement des sciences

fondamentales occupant une place énorme dans les études de

médecine, nous sommes obligés de nouis montrer fermes, sinon

nous n'obtiendrons rien.

Mous nous trouvons donc devant la nécessité de demander

1'instauration d'un enseignement obligatoire. Étant bien entendu

que seuls peuvent être obligatoires "1'information", la

"sensibilisation" ; la formation en petits groupes ne pouvant

en aucune manière être rendue obligatoire.

-29-'

Ceci ne constitue pour nous qu'une adaptation

provisoire à cette situation critique, et nous espérons que le

plus tôt possible, nous pourrons revenir au principe d'une information -

et d'une formation n'ayant aucun caractère obligatoire.

Remarque: II est bien entendu que quand nous parlons d'enseignement

des sciences humaines facultatives, nous ne voulons pas dire par là

qu'elles doivent être ramenées au rang des options culturelles et

sportives, comme le laissait insidieusement entendre un rapport

récent de la commission mixte sur le tronc commun

30

Trois objectifs, semblent se dégager assez nettement. Du travail et de 1’analyse qui a été faite au cours de ces derniers mois à la faculté. Ils peuvent être résumés en trois mots :

trois mots; SENSIBILISER, FORMER, CONTROLER. ;

1 - SENSIBILISER

La sensibilisation aux problèmes exposés dans la première

partie n'est pas une tâche inutile et encore moins une tâche

facile. Elle doit être faite sur la plus large échelle possible.,

et doit s’appuyer sur tous les moyens possibles de propagande

existant actuellement : tracts, interventions en AG., affiches,

etc. mais elle doit également reposer sur quelque chose de plus

solide qu'un tract, - une affiche, etc.… afin de ne pas tomber

dans les abus publicitaires qui transformeraient rapidement les

sciences humaines en un gadget à 1 ' Américaine. Elle doit également couvrir un domaine assez vaste afin d’accrocher un maximum de gens.

Ce domaine, pour nous, c'est grosso modo ce qui demeure lorsqu’on

a retiré la médecine somatique. Cela va de la sociologie à la

politique, en passant par l'urbanisme, la philosophie, la

religion, 1'ethnologie, la linguistique. Tout le monde ne peut

pas s'intéresser à tout. C'est pourquoi il nous faut aborder

tous ces domaines sous l'aspect des relations qu'ils ont les uns

avec les autres.

Mais tout le monde est susceptible de s'intéresser à tel ou tel

problème particulier, et personne ne saurait faire un choix des

problèmes à aborder et ceux à ne pas aborder. Pourquoi de

1'ethnologie et pas de linguistique ? C'est pourquoi cette

sensibilisation doit avoir le caractère le plus ouvert possible.

31

Cependant considérant que le médecin doit avant

recevoir une formation à la médecine humaine, la sensibilisation

devra être plus accentuée sur ce plan que sur ce qui concerne

les autres domaines et devra se faire d'une manière particulière, plus intégrée dans 1 ' enseignement que la sensibilisation aux sciences humaines considérées d'un point de. vue plus général,

En conséquence, les propositions de la commission en ce

domaine sont de deux sortes.

D'une part, en ce qui concerne la sensibilisation au

sens large, nous demandons l'institution d'un cycle de conférences débats ayant lieu le soir ou dans la journée, (le soir devant

être choisi de préférence à l'après-midi pour des raisons de

commodités, ces conférences tachant d'être ouvertes le plus

possible sur l'extérieur et en particulier vers les autres

facultés et le monde médical en général et pour lesquelles la

commission a déjà, réuni une trentaine de noms. Ces conférences

pourront être de deux sortes. Les unes d'un caractère très

général seront à la portée de tous, les autres, d'un caractère

plus franchement médical, s'adresseront particulièrement aux

médecins pour qui une sensibilisation à la médecine humaine est des plus urgentes. La «Commission des « Sciences Humaines » dont les

orientations seront exposées plus avant se charge de l’organisation pratique de ces exposés, contestation et en assume l'entière

responsabilité.

D'autre part, la commission préconise la mise en place

de groupes de sensibilisation au niveau du premier cycle et

répondants aux objectifs suivants : permettre à l'étudiant

d'une part, de conceptualiser les problèmes que lui posera son

premier contact avec le monde hospitalier, et d'autre part, de

préserver en lui les aspects humains de la relation qu'il pourra

avoir avec le malade et l'initier progressivement à la médecine

humaine et à ses problèmes.

32

Prenant un premier contact avec l’hôpital, l’étudiant

ne peut pas manquer d'être sensible à un certain nombre de

problèmes, à un certain nombre d'aspects. particuliers de la vie hospitalière qui sont, par le fait d'une présence répétée

devenus familiers à leurs aînés, mais qui gardent pour des

esprits non avertis un caractère traumatisant. Certains d’entre

eux découvriront le doute chez le médecin, la hiérarchie,

l'impuissance médicale, d'autres, les faiblesses de ceux qu'ils

divinisaient, d'autres encore seront plus frappés par la

présence des malades dans cette situation particulière qui est

celle de l'homme couché par rapport à celle de l'homme debout,

frappés par leur situation de voyeur, par l'humiliation des

malades, ou encore prenant un premier contact avec la mort,

l'impuissance de l'homme devant elle. Il est primordial que

cette émotion ne se fige pas dans une attitude de défense. Il faut

tout au contraire, que, ressentant une émotion forte, il puisse

l'exprimer librement, la conceptualiser, l'analyser avec un

maximum d'éléments pour alimenter sa réflexion, qu'il puisse se

servir de celle-ci comme d'un moteur et non comme d'un frein

pour une approche plus objective des conditions de sa vie future.

II doit pouvoir reporter ses défenses sur le groupe qui les

supportera un temps et les éliminera progressivement sans laisser

de traces durables

Outre la résolution des problèmes exposés précédemment, il faut que ce groupe soit pour l'étudiant une première approche de la médecine humaine et une phase intermédiaire

précédant la formation proprement dite. Il ne s'agit pas en

réalité d'initier létudiant à la médecine humaine, mais bien

de préserver cette approche de la médecine qui est déjà plus ou

moins la sienne et de 1'organiser afin qu'elle devienne moins

fragile et surtout moins sujette à caution.

33

Dans la résolution de ces problèmes, le leader a un

rôle difficile à jouer. Il doit tout d'abord s’efforcer de créer

un groupe, ce qui n'est pas une tâche facile. Créer un groupe

cela ne signifie pas rassembler un certain nombre de personnes

et de tâcher de les faire parler ; cela signifie au minimun la

création d'une personnalité pour le groupe, un processus

d'identification collective qui permette au groupe de tenir tête

à toute attaque extérieure, cela signifie pour chacun la

création d'une attitude nouvelle qui résulte de la personnalité

propre de chacun et des éléments propres au groupe etc.…

"le rôle du moniteur correspond essentiellement à la fonction

"d'élucidation et d’entraînement progressif de chacun à

"cette fonction. Ce faisant, il n'est pas douteux que le

"moniteur n'exerce une certaine induction ; en son absence,

"ces prises de conscience auraient peu de chances de se

"produire, mais il importe au plus haut point de marquer

"toute la différence entre cette induction qui va dans le

"sens des processus spontanés (mais encore subconscients ou

"réprimés) et quelque manipulation qui consisterait à

'"contrarier un phénomène émergent ou à en provoquer un

"artificieusement». En outre, alors que la manipulation est

"occulte et faite à l'insu des participants, sans qu'au moins

"sur le nouent même, ils le sentent et y consentent,

"1'élucidation est toujours explicite. Si les interventions

"du moniteur sont éprouvantes pour certains sujets, ils

"restent libres d'y réagir ou non ; ils peuvent la refuser

"et, s'ils 1'acceptent, ils mesurent son sens et son poids."

(Maisonneuve)

34

Ce travail compliqué plein d'embûches de toutes

sortes doit être confié à des gens non seulement suffisamment

qualifiés pour faire face à ces problèmes avec compétence, mais

aussi suffisamment proche de ces problèmes et suffisamment humains pour savoir dépasser leur qualification et la vivre à un niveau humain

"Quelles que soient les précautions prises : entretien

"préalable avec les futurs participants, grande expérience

"clinique des moniteurs, cette formule peut entraîner

"certains troubles psychologiques., non seulement chez les

"personnes dont les structures mentales sont trop rigides

"ou trop fragiles, mais même chez celles qui se trouvent

"provisoirement dans un état d'équilibre instable. Bien

"que ces incidents restent rares, ils ne sauraient être

"négligés, d'autant plus que les groupes de ce genre

"attirent électivement les sujets en quête d' expériences

"et d'émotions collectives intenses. Ceux-ci devraient

"être plutôt orientés soit vers des séminaires d'un autre

"type, soit vers des groupes plus durables, aptes à leur

"fournir un soutien thérapeutique dans des délais élargis

"et avec leur accord explicite."

(Maisonneuve)

Le seul critère qui puisse nous permettre de juger

si quelqu'un est ou non capable d'assumer tout cela, c'est de le

mettre à l’épreuve. Dans un premier temps, cependant, afin de

pouvoir limiter les dégâts, nous avons choisi comme premier

critère celui de 1'expérience de groupe qui nous semble fondamentale. En dehors de cela, nous accepterons toutes les bonnes

volontés, mais elles devront tout d'abord faire leur apprentissage

35

Nous en avons établi une liste fort incomplète d'ailleurs qui

montrera à l’évidence que tous les étudiants du premier cycle

ne pourront pas subir une telle formation. Malgré cette

difficulté qui sera, nous l'espérons, surmontée progressivement

au cours des années à venir, nous pensons tenter dès 1'année

universitaire 68/69 do mettre en place une cinquantaine de

groupes fonctionnant pendant deux mois (durée probable du stage

infirmier et couplé avec celui-ci. Nous tâcherons de tirer au

fur et à mesure les conséquences de cette expérience qui n'a

pas de précédent et qui, nous le pensons, nous réserve un

certain nombre de surprises les unes agréables, les autres moins,

et dans ce but, nous souhaitons que les étudiants qui auront

participé à ces expériences nous communiquent un rapport de

stage qui sera étudié par la commission et dont il sera dans la

mesure du possible communiqué à son auteur les remarques faites

au sujet de ce dernier. Cette expérience que nous lançons est

celle que la commission a le plus à cœur de mettre en place ;

nous souhaitons donc 1'appui maximum de chacun pour le faire

passer.

Nous pensons d'autre part, que ces séances ne devraient

pas s'adresser uniquement aux étudiants en médecine du premier

cycle, mais aussi à tous ceux qui prennent contact pour la

première fois avec l'hôpital, c’est-à-dire surtout les élèves

assistantes sociales et élèves infirmières de première année.

Ce brassage de personnes ayant à travailler ensemble plus tard

a la même tâche, mais à des niveaux différents ne peut que

favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

36

II - FORMATION

Cette sensibilisation appelle une formation. Celle-ci devra être à la fois théorique et pratique.

L’enseignement théorique en sciences humaines pour les

étudiants en médecine pose un certain nombre de problèmes

assez spéciaux dont certains ont été effleurés mais qui doivent

être approfondis. L'instauration d'un tel enseignement doit

être repensé dans sa forme, son but, son esprit et son contenu,

que ce soit en médecine ou ailleurs. Le terme repensé est

abusif en ce qui concerne la, médecine, car en ce domaine il

n'existait rigoureusement rien on matière de formation réelle,

Nous jetterons un voile pudique sur tel cours de 5ème année

contrôlé par QCM. (??''/????) Lorsque nous disons repenser,

c'est dans la mesure où dans cette discipline plus encore que

dans aucune autre il ne saurait se concevoir un enseignement

ne reposant pas sur une contestation permanente des cours

professoraux. Sur le plan du contenu, s'il nous est apparu que

la psychologie devait occuper dans cet enseignement une place

de choix, celui-ci ne devrait en aucun cas se limiter à cette

unique matière. Dans ce cas, n'allait-on pas aboutir à un

enseignement encyclopédique effleurant chaque matière sans

vraiment 1'aborder, et fournir dans chacune des matières composant "les sciences humaines" un digest ou une recette pour

consommation immédiate et prédigérée. (Ce qui semblait malheureusement ressortir de l'étude du SNES SUP). Nous pensons pour

notre part que les sciences humaines enseignées en médecine

doivent d'une part, ne pas être la somme des différentes

matières, nais un tout cohérent, sans séparation abusive,

résultant d'un éclairage mutuel des différentes spécialités

abordées et permettant une appréhension globale de l'homme qui

n'est pas psychique puis social puis linguistique, mais qui est

tout à la fois ceci et cela sans qu'on puisse le définir

uniquement sous tel ou tel aspect sans le déformer. Cette

37

synthèse des différentes sciences humaines susceptible d'être

enseigné aux étudiants en médecine n'est pas encore faite, la

commission tâchera d'étudier ce problème au cours de l'année qui

vient.

En attendant, pour palier à cette absence, la

Commission propose la création au niveau des chu d'équipes

d'enseignement en sciences humaines. Ces équipes rassemblent des

spécialistes de différentes matières qui seraient chargés d'enseigner ensemble aux étudiants un sujet choisi en commun. On peut

concevoir que l'un d'entre eux fasse un exposé de 20 minutes en

mettant l'accent sur l'aspect particulier du problème vu de. son

point de vue de spécialiste et que dans un deuxième temps, l'orateur

subisse de la part de ses collègues une critique et qu'il subisse

que ces derniers mettant 1'accent, eux sur leur spécialité,

éclairent de leurs points de vue le problème, et que le dernier

temps de 1'opération consiste en une contestation des uns et des

autres de la part des enseignés eux-mêmes.

Une autre possibilité à envisager serait qu'après

1'exposé fait par les spécialistes là, les étudiants se réunissent

en petits groupes sous la direction d'assistants et mettent au

point un certain nombre de questions qu'ils poseraient à leur

retour en assemblée. Ces exemples ne sont qu'indicatifs s et pourront

si on le juge utile se dérouler de manière totalement différente ;

l'essentiel est de ne pas faire une séparation abusive entre les

matières et de laisser la place la plus large possible à la

contestation.

La commission réclame dans la logique de tout ce

qui a été dit précédemment au niveau des structures, d'une part au

niveau du deuxième cycle d'un certificat de sciences humaines, et

d'autre part, au niveau du troisième cycle d'une spécialisation

en sciences humaines. Cette spécialisation étant tout à fait

distincte de la spécialisation on psychiatrie,

38

L'enseignement relatif à cette spécialisation devra

tenir compte à la fois de l'acquis de 1 ' étudiant, et d’autre

part, des fonctions qui pourront lui échoir en sortant de cette

spécialisation. En aucun cas, il ne s'agit de faire de tous les

médecins des psychologues au rabais, non plus que de donner à

des gens des responsabilités et des tâches dépassant leur

qualification.

Ces"spécialistes en sciences humaines" devront pouvoir s'intégrer

dans l'hôpital, avec un statut d’enseignement et de membre à part

entière de 1'équipe hospitalière assistant les médecins pour les

problèmes particulièrement compliqués à résoudre. Un tel statut

doit faire, bien entendu l'objet d’une structure approfondie. La

commission ne s'est pas encore attelée à cette tâche, mais de

toute façon, même si un tel enseignement pouvait être mis en

place, dès l'an prochain, ce qui est douteux, la première génération ne déboucherait sur les hôpitaux que dans 6 ou 7 ans ce qui

nous laisse une certaine marge,

Dans ces conditions et pour que l’enseignement en

sciences humaines repose sur une structure solide, la commission

réclame la création au niveau de chaque CHU et dès la rentrée

prochaine, la création d'un département de sciences humaines.

responsable de 1'enseignement théorique do ces matières au

niveau du CHU.

'» •.'•''• '

Nous n’avons Jusqu'ici abordé que la formation

théorique. Mais, de même que dans toutes les autres matières

médicales la formation théorique s'accompagne d’une formation

pratique, la formation théorique appelle elle aussi à une

application pratique au niveau des sciences humaines. Cette

formation devra se faire dans des groupes que jusqu'à ce que nous

ayons trouvé un nouveau qualificatif plus juste, nous appellerons "groupes Balint."

39

Ces groupes ont été étudiés plus particulièrement

pour les médecins déjà en exercice, mais peuvent, grâce à de

sensibles modifications être appliqués aux étudiants au niveau

des responsabilités diagnostiques et thérapeutiques.

Qu'est-ce qu'un groupe Balint ? Comme nous 1'avons

dit, le problème de l'écoute du malade est un problème fondamental. Mais comment peut-on apprendre à écouter le malade, comment

peut-on apprendre à l'aider dans ses problèmes affectifs,

sexuels, sociaux etc.… Le Docteur Michael Balint psychiatre

anglais a en quelque sorte répondu à cette question. Il a mis

en place à partir d'une expérience pratique une technique de

groupe qui aide les praticiens à mieux écouter leur malade, à

mieux comprendre leur demande, à mieux organiser les éléments

d’information de toutes sortes qu'ils peuvent recueillir au

niveau du dialogue avec leur patient. Pratiquement et en

schématisant à 1'extrême, on peut dire que les choses se passent

de la manière suivante. Un groupe de médecins praticiens se.

réunissent avec un analyste et exposent des cas. Jusque-là rien

que de parfaitement banal. Là où les choses deviennent intéressantes, c'est quand ces cas sont abordés non pas sur le plan

somatique mais sur le plan des problèmes personnels exposés par

le patient. Les autres membres du groupe écoutent 1'exposé du

cas et critiquent l'attitude du médecin en la circonstance, ou

lui demandent des précisions sur tel ou tel aspect du problème.

En un mot, le groupe étudie le cas et conseille le médecin tout

en le laissant libre de choisir ou de refuser les solutions ou

les remarques faites par le groupe. De cette discussion, il

ressort généralement la mise en évidence des erreurs commises

par le praticien, une organisation des matériaux exposés par

le malade dans sa relation avec le médecin et par là, la

possibilité pour le médecin d’utiliser ces matériaux etc.

-40-

Cette technique de groupe peut s'appliquer aux

étudiants de deuxième cycle avec cependant la réserve que 1'externe

n'est pas responsable des cas qu'il expose, ce qui n'est pas sans

poser des problèmes. Nous pensons tout de même que l'externe étant

celui qui de par ses fonctions est le plus proche du malade en ce

qui concerne les contacts humains notamment, de tels groupes

peuvent être mis en place à leur effet.

Nous préconisons enfin la mise en place d ' enquêtes

ou plus exactement ce que nous appelons des rencontres étudiants.

population. Ces enquêtes auront par rapport à celles pratiquées

jusqu'à présent un caractère particulier. En effet, des enquêtes

sont conçues de telle manière que les gens qui fournissent les

renseignements, les personnes étudiées, ne pouvaient jamais utiliser

les informations auxquelles elles avaient contribué. Celles-ci

allant grossir les dossiers des administrations où elles attendaient

le bon vouloir du prince et servaient à mieux exploiter, de manière

plus rationnelle, la population enquêtée.

Il nous faut tenir compte de ces observations, et

faire que les enquêtes effectuées par les étudiants reviennent

par un moyen ou par un autre à la population étudiée. Ces contacts

permettront, nous l'espérons, de remédier à la barrière sociale

qui existe et existera hélas encore de nombreuses années entre les

étudiants en médecine et la population soignée, et permettra peut-

être à cette dernière, c'est en tout cas ce que nous souhaitons,

de mieux utiliser les moyens médicaux mis à sa disposition, et

d’avoir par rapport à la maladie une attitude responsable.

41

III- CONTROLER

La question qui se pose maintenant est celle de la permanence de la commission des Sciences Humaines, de son rôle futur et de

ses possibilités de contrôler les structures qu'elle désire mettre en place

Il faut que la commission PERMANENTE de SCIENCES HUMAINES

conserve l'originalité qu'elle a eue jusqu'à ce jour depuis le

mois de Mai. C’est-à-dire qu'en aucun cas elle ne saurait être

contrainte à quelque règlementation ou structuration que ce soit

Son caractère fondamental est d'être libre, largement ouverte,

tant sur tous les lecteurs de la société que sur le corps enseignant

-étudiants de toutes les facultés Elle doit rester le lieu

privilégié de la contestation permanente, du Pouvoir de l'imagination, de la créativité. Elle peut s'organiser comme bon lui semble.

Elle peut, quand l'occasion lui paraît favorable, organiser un

forum en employant les moyens de propagande habituels : tracts,

affiches, pour débattre des problèmes que n'importe qui peut

soulever.

Sur le plan matériel, elle doit pouvoir disposer do locaux,

d'un budget pour sa documentation et les diverses dépenses de son

fonctionnement.

C'est de cette manière totalement libre que nous avons

fonctionné pour écrire ce livre blanc

C'est aussi de cette manière que nous acceptons la contestation. Que la commission ait fait de nombreuses erreurs, nous en sommes parfaitement conscients, nous attendons les résultats des

premières expériences, afin de pouvoir juger des modifications

possibles qui seraient souhaitables. La réforme que la commission

propose pourrait-elle être acceptée jusqu'au dernier point qu'elle

n’en serait pas satisfaite pour autant. Elle désire pouvoir

contrôler, critiquer les structures qu'elle a elle-même élaborées,

-42-» •

afin de pouvoir les faire progresser constamment et d'en contrôler

l’esprit. Elle affirme qu'elle ne se gênera pas pour faire une

sévère auto-critique au moment opportun.

Reste le problème du pouvoir effectif do la Commission

des Sciences Humaines sur les structures générales de la Faculté. |

Par exemple, il est sûr que les 20 Heures de

psychologie accordées, officiellement à 1'heure actuelle nous

laissent rêveurs. Il va de soi que nous devons pouvoir faire pression

sur les organismes paritaires qui seront mis en place. Et cela se

représentera à diverses occasions.

Il semble que la Commission ait deux moyens de

Pression D'une part, la plus importante, par l'intermédiaire de

la "structure générale" du Pouvoir Étudiant. D'autre part, au

niveau des élections en présentant des candidats favorables à ses

projets

Mais tout ceci ne pourra être clair que quand on verra sur le

terrain la formation, les rôles et les pouvoirs, des organismes

paritaires.

Quel que soit 1'avenir, ce texte représente notre

point de vue sur la question à l'heure actuelle» Nous souhaitons

qu'à la lecture, vous ayez mieux saisi nos aspirations, que vous

ayez admis certains de nos arguments et que vous soyez, à 1'avenir,

décidés à coopérer avec nous pour créer cette nouvelle médecine

que nous sommes en train d ' imaginer et que nous vous invitons à

construire et à vivre avec nous.

La Commission des Sciences Humaines de

La Faculté de Médecine de Paris

  • 1.

    Mai 68 : des analystes à la rencontre des étudiants" Revue Internationale d'Histoire de la Psychanalyse ;1992,5,375-386 ; (tiré d'une conférence prononcée auCongrès de l'Association Internationale d'Histoire de la Psychanalyse - Londres Juillet 1990)