L'oedipe chez  Mélanie Klein

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L'oedipe chez  Mélanie Klein.

« A mon avis, le complexe d'Oedipe naît pendant la première année de la vie et commence à se développer dans les deux sexes de manière semblable. »

- M. Klein
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mélanie klein
Le ton est donné, Melanie Klein (1882-1960), innove et découvre à partir de son expérience d'analyste auprès de très jeunes enfants. Cette élève de Freud, qu'elle rencontre en 1917, a poursuivi de manière créatrice l'œuvre du maître. Sa conception, dérangeante à l'époque, l'amène à théoriser à partir des archaïsmes psychiques précoces et à imprimer sa marque en élargissant le champ de connaissance ouvert par Freud. Elle crée une nouvelle technique psychanalytique adaptée au petit enfant, La technique du Jeu. Melanie Klein ouvre tout une monde fantasmatique primitif impitoyable où l'on coupe, dévore, déchire, difficile à entendre pour beaucoup. Elle découvre l'obstacle primitif lié au clivage de l'imago maternelle en une bonne mère et une mauvaise mère gênant l'intégration du bon objet dans le moi. Le moi, dans le vocabulaire freudien et kleinien, se rapproche tantôt du moi lacanien, imaginaire, tantôt du sujet. Le bon objet va aller dans le sens de la pulsion libidinale, le mauvais objet à son encontre. Ces situations anxiogènes précoces, ces fantasmes d'être châtré ou anéanti par une mauvaise mère, sont à l'origine de troubles psychiques du petit enfant, inhibitions et compulsions qui enrayent son développement psychique, son intelligence et sa créativité, qui altèrent parfois gravement son rapport à l'autre. On se situe ici avant le « stade du miroir » décrit par Lacan, l'identification imaginaire à l'image spéculaire que l'enfant découvre aux environs de dix-huit mois, constitutive du moi. L'analyse va permettre d'étudier et de dater les différents moments d'introjection des fantasmes. C'est dans ces stades précoces que Melanie Klein, à la suite de Karl Abraham, localise l'origine des psychoses.

Sa manière de travailler sur l'inconscient est un apport majeur, utile dans la clinique psychanalytique. Aller y voir, de manière un peu plus profonde dans ces couches psychiques, même si Lacan a remis en cause cette notion de profondeur en attribuant à l'inconscient, depuis son séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, une structure temporelle de l'ordre d'une pulsation2. Le point de vue kleinien ouvre à une meilleure compréhension des fantasmes précoces du lien à l'Autre maternel. Le fantasme est directement analysable chez Melanie Klein.

Le complexe d'Oedipe, elle en découvre et repère des éléments chez de tous petits enfants. Il s'agit pour elle d'un Oedipe primitif qui va trouver son origine dans le tout premier développement du psychisme ainsi que le surmoi, un surmoi archaïque. Elle se différencie là fondamentalement de Freud, pour qui le surmoi se développe à partir du complexe d'Oedipe et l'écrit dans son article « Le développement d'un enfant »3. Freud en est à la même époque à la période charnière de sa théorie, à l'élaboration de sa dernière théorie des pulsions, donnant un nouvel élan à sa recherche. Il formule en 1920, dans Au delà du principe de plaisir4, sa théorie d'une dualité entre pulsion de vie et pulsion de mort.

Melanie Klein avance donc que le complexe d'Oedipe, dont on pensait à l'époque qu'il n'apparaissait pas avant l'âge de quatre ou cinq ans, avec un point culminant vers les six ans serait tout à fait repérable chez des enfants plus jeunes. Elle constate aussi que le surmoi n'est pas un précipité survenant à la fin du complexe d'Oedipe, mais qu'il fait partie intégrante de ce complexe. Le surmoi archaïque se développerait durant la phase orale cannibalique. La phase orale se résume chez Melanie Klein essentiellement à la phase sadique-orale. Ce surmoi, c'est d'une part une force vive qui oblige l'enfant à vivre et d'autre part, une force destructrice qui jugulée au niveau des orifices du corps, produit les pulsions partielles orales, uréthrales et anales du sadisme. Pour Melanie Klein, le sadisme est d'une importance capitale au début de la constitution du moi, l'excès de sadisme fait naître l'angoisse et mobilise les premières réactions de défense du moi. La première défense du moi se réfère pour elle à deux sources de danger : le propre sadisme du sujet et l'objet attaqué dont il a peur qu'il se retourne contre lui. Freud en avait peut être eu l'intuition dans cette remarque : « Il est possible que, avant que le moi et le ça ne soient suffisamment différenciés et avant que le surmoi ne soit développé, l'appareil psychique utilise des moyens de défense différents de ceux qu'il emploie après avoir atteint ces niveaux d'organisation. »5 Cette défense diffère du mécanisme de refoulement ultérieur. Le moi à cette époque, insuffisamment développé, doit faire face à l'immense tache de dominer l'angoisse la plus intense qui soit, celle d'une annihilation totale. Les fantasmes sadiques constituent la base de la première relation au monde et à l'extérieur. Ces fantasmes se retrouvent dans l'identification aliénante à l'image de l'autre lorsque l'unité se trouve dans l'image du corps renvoyée dans le miroir, où l'autre, le semblable, est équivalent à soi. Le lien que Lacan fait de l'image spéculaire et de l'agressivité s'articule ici, dans cette identité mal démélable de celle de l'autre et où le sadisme agit. La thèse entière de Melanie Klein repose sur le fait que le conflit œdipien apparait à une époque où le sadisme domine. Elle décrit dans son article « L'importance de la formation du symbole dans le développement du moi »6, à partir de la cure d'un petit enfant psychotique, Dick, sa thèse selon laquelle le sadisme agit dans un stade précoce sur toutes les sources du plaisir libidinal. Toute sa théorie est développée sous l'angle de la relation objectale, de l'importance des relations d'objet et du monde interne de l'enfant.

En 1934 elle se sépare des théories de Freud et de Karl Abraham et formule ses découvertes en utilisant sa propre conception structurale, basée sur le concept de « positions ». Bien qu'elle ne soit pas incompatible avec la deuxième topique de Freud (théorie structurale du moi, du ça et du surmoi élaborée en 1923), sa conception implique de définir la structure réelle du moi et du surmoi et le caractère de leurs relations en terme de positions paranoïde-schizoïde et dépressive. C'est le passage d'une théorie des lieux à une théorie des positions.

Pour Freud, la névrose infantile se développe en réponse à la situation œdipienne. C'est en relation au complexe d'Oedipe que s'établissent le refoulement et la régression aux stades prégénitaux en défense face aux angoisses œdipiennes. Les défenses conduisent à la formation de phobies, obsessions et autres symptômes. La névrose de l'adulte est une régression pour Freud, puisqu'elle puise ses racines dans la névrose infantile. Pour Melanie Klein, la névrose infantile est une défense contre les angoisses paranoïdes et dépressives sous jacentes, antérieures à l'Oedipe, visant à les lier et à les élaborer.

Le complexe d'Œdipe commence donc à se développer pour Melanie Klein, à la phase dépressive et en fait partie intégrante. Dans les premiers stades du développement, le nourrisson introjecte à la fois le bon et le mauvais sein, le corps de la mère et ensuite le couple parental. L'introjection des mauvaises figures est inévitable et l'angoisse que cela provoque conduit l'enfant à chercher le contact libidinal avec ses parents en tant qu'objets externes, de façon à chercher une réassurance dans la personne réelle contre la figure terrifiante interne. A l'apogée de l'ambivalence orale, l'enfant attaque dans son fantasme le corps de la mère et son contenu, le pénis du père. C'est la pression provoquée par les objets internes qui pousse l'enfant à une relation oedipienne aux parents réels. L'enfant est contraint à des équations nouvelles. Le désir de restitution et de réparation à l'égard de la mère dans une relation sexuelle, vise à compenser les dommages dont elle a été victime dans le fantasme. Pour le père en tant qu'objet libidinal, le bon pénis est recherché comme réassurance contre le mauvais pénis interne en tant que rival. Le père réel est bien moins terrifiant que le père interne déformé. Une fois que la mère est perçue comme objet total, le nourrisson va percevoir le couple parental séparé ayant des relations entre eux. Pressentant le lien libidinal existant entre ses parents, il va projeter en eux ses désirs libidinaux et agressifs ; faisant naître en lui des sentiments poignants de privation, jalousie et envie. Il perçoit ses parents comme échangeant des gratifications qu'il désire pour lui, ce qui majore ses sentiments et ses fantasmes agressifs. Dans ces fantasmes les parents sont attaqués et il les imagine détruits. Ces figures sont immédiatement introjectées et ressenties comme faisant partie de son monde intérieur. Dans cette situation dépressive, le nourrisson a non seulement affaire à un sein et à une mère détruits, mais à un « couple parental combiné » détruit de la situation oedipienne initiale.

Les angoisses du stade oral et du stade sadique-anal vont pousser dans le même temps, l'enfant à abandonner cette position archaïque pour une position génitale moins sadique.

Le symbolisme ou l'expression symbolique des fantasmes, constitue pour Melanie Klein « la base de toute sublimation et de tout talent, puisque c'est au moyen de l'assimilation symbolique que les choses, les activités et les intérêts deviennent les thèmes des fantasmes libidinaux. »7 Ce symbolisme inconscient est un lien essentiel entre les fantasmes primitifs et la relation à la réalité, rappelle Hanna Segal.8

De la résolution de ce complexe d'Oedipe précoce peuvent découler des conséquences sur la sexualité. Melanie Klein avance là des données fondamentales sur la sexualité féminine. Elle différencie l'Œdipe chez le garçon et chez la fille. Une fois détournée du sein maternel, la petite fille fantasme qu'elle va attaquer et vider le contenu du corps de la mère pour s'emparer de ce qu'il contient, le pénis du père. Elle va d'abord le faire à l'intérieur du corps maternel puis comme attribut externe du père, sur un mode d'incorporation orale. Une des grandes angoisses de la femme constate Melanie Klein, et que l'on retrouve fréquemment dans la clinique, est que sa mère vienne attaquer et vider le contenu de son propre corps à elle9.

Si le surmoi maternel archaïque est trop terrifiant pour que la petite fille puisse affronter la rivalité à sa mère, cela peut la conduire à l'homosexualité. Si le pénis du père devient un objet trop mauvais et trop angoissant, cela peut la conduire à la peur des relations hétérosexuelles.

Pour le petit garçon, la position féminine ou homosexualité passive se situe au moment où il se détourne du sein pour se tourner vers le pénis. Le conflit qui va se créer entre cette position et sa position masculine va l'amener ensuite à s'identifier au père et à désirer la mère.

Pour Melanie Klein, la phase d'attachement précoce de la petite fille à sa mère, découverte par Freud, voit déjà apparaître des désirs à l'égard du père, dans une oscillation dans toutes les positions libidinales. La conception freudienne de l'envie du pénis chez la fille est loin de jouer un rôle aussi important que Freud ne le pensait. Pour le garçon, Freud n'a pas donné pour elle, assez d'importance à l'amour pour le père. La situation oedipienne perd de sa puissance chez le garçon car il est poussé par son amour et sa culpabilité à préserver son père comme figure intérieure et extérieure.

La relecture que fera Lacan de L'Oedipe et la modélisation sans précédent dans l'histoire de la psychanalyse qui en découlera, substituant au mythe œdipien la métaphore paternelle, l'amènera à considérer la mère comme imago, élément d'une structure qui entre en fonction dans le sujet. La mère apparaît sous la forme du couple présence-absence dès les « complexes familiaux ». Le père de la réalité est réduit au Nom, à l'épinglage signifiant. La mère est réduite au désir, à la fonction du manque ou de la perte. La métaphore paternelle est une fonction qui pose le non interdicteur et symbolisant par l'intermédiaire du Nom-du-Père, de l'interdit de jouissance à la mère. De cet inter-dit qui peut se dire dans la mise en mots dans la cure de ces fantasmes archaïques, de ce réel à mettre en torsion dans le symbolique par le biais du langage, le génie d'interprétation de Melanie Klein peut nous aider à y entendre un peu mieux de la constitution de l'objet a. La coupure de la fin d'analyse, au moment de la traversée du fantasme, ne passe pas entre la mère et l'enfant mais entre le sujet et l'objet. Cette disjonction définitive entre la mère et l'objet, Lacan la posera à partir de « Position de l'inconscient ». Ce sujet qui se constitue par le biais de la métaphore paternelle opérant dans l'Oedipe ou dans la cure, en effaçant ce qui a trait à la jouissance de la mère, s'identifiant alors au signifiant phallique, un sujet qui se compte comme Un.

  • 1.

    Klein M., " Le complexe d'Oedipe éclairé par les angoisses précoces ", (1945), in Essais de psychanalyse, Payot, 2005.

  • 2.

    Lacan, Séminaire, Livre XI, " Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse ", Seuil, 1973.

  • 3.

    Klein M., " Le développement d'un enfant ", (1921), in Essais, op. cit., p. 29.

  • 4.

    Freud S., " Au delà du principe de plaisir ", (1920), Essais de psychanalyse, Payot, 1981.

  • 5.

    Freud S., Inhibition, Symptôme et Angoisse, Paris, PUF, 1965.

  • 6.

    Klein M., " L'importance de la formation du symbole dans le développement du moi ", (1930), in Essais, op. cit ;, P. 263 à 278.

  • 7.

    Klein M., " L'importance de la formation du symbole dans le développement du moi ", Essais de psychanalyse, Payot, 1968, p. 264.

  • 8.

    Segal H., Melanie Klein : développement d'une pensée, PUF, 1982.

  • 9.

    Klein M., Le complexe d'Oedipe, Petite Bibliothèque Payot, 1968.