L'autisme paradigme de la complexité.

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La polémique actuelle initiée notamment par certains parents d’enfants autistes, relayée par un député et alimentée par les pétitions qui tentent d’y répondre par une mobilisation massive, nous permettra-t-elle d’avancer dans la réflexion concernant la question de l’autisme, rien n’est moins sûr. Même si les jeux ne sont pas joués, bien des aspects du débat actuel poussent vers une simplification et parfois même une très grande confusion des esprits. On ne s’en étonnera pas

L’heure est, dans un monde complexe, en plein bouleversement, sans repère évident qu’il soit philosophique, politique ou religieux, à la simplification à l’extrême, aux slogans, ainsi qu’aux démonstrations d’un populisme inquiétant.

À ce titre l’autisme constitue un paradigme de notre rapport au monde et à la condition humaine. Il nous renvoie, si nous en acceptons l’énigme, aux questions qui font ce que nous sommes. Qu’en est-il de notre déterminisme génétique ? de celui lié à notre être pulsionnel et de langage ?.Quelle part prenons-nous à nos choix ?. Quel est l’effet de l’environnement qu’il soit d’ordre purement matériel ou de façon sans doute plus essentielle, de l’environnement humain, familial, culturel, dans ce qui nous détermine ?. Qu’en est-il des traces des événements plus anciens dans notre histoire personnelle , celle de nos parents de nos grands-parents ? celles de l’Histoire avec un grand H qui a bouleversé tant de vie, pensons aux guerres pas si lointaines, aux migrations, aux massacres, aux camp d’extermination.

Ces questions sont légitimes. La quête du savoir dans tous les domaines qu’elle touche en particulier aux sciences dites de la vie ou aux sciences dites humaines conduit à des approches complémentaires qui ne sont jamais des certitudes intangibles.

La psychanalyse, lorsqu’elle veut être une explication du monde perd sa pertinence et sa légitimité. Plus encore, lorsqu’elle se décrète comme étant la seule approche qui vaille pour venir en aide aux souffrances de l’humanité. Elle défend au contraire sa place dans la cité lorsqu’elle invite à une interrogation complexe du monde qui intègre toutes les dimensions qui transitent par le langage d’un sujet qui parle, ou qui, s’il ne parle pas, est parlé et témoigne d’une autre façon de son être au monde. L’enfant autiste est une énigme. Son rapport au langage en est une aussi. Notre réponse à cette énigme n’est pas simple. Vouloir qu’elle soit technique, biologique, ou psychologique est une insulte à la radicalité de sa question et à celle de ses parents. La pensée n’est jamais un catalogue prêt à l’emploi

Sans doute, faut-il s’indigner de l’absence dramatique de lieux d’accueil et de soins pour les enfants et leur famille, mais cette situation n’est-elle pas le reflet de l’incapacité de notre société à prendre en compte la maladie et le handicap en se drapant dans notre culture universaliste pour mieux masquer les différences qui entravent notre société et dissimulent les inégalités et l’injustice faite aux plus faibles.

Aujourd’hui la tache des psychanalystes n’est pas de défendre un quelconque pré carré, pas plus qu’elle ne doit prétendre à être une technique de soin à l’égale des autres. Elle ne peut être elle-même que dans la défense de la question contre la réponse, une défense qui s’appuie sur le travail de recherche de plusieurs générations d’analystes, qui questionne aussi bien les avancées que les errances d’une discipline qui s’appuie d’abord et avant tout sur une éthique.

Bien des psychanalystes, ne recevant que des adultes, n’ont jamais croisé dans leur pratique un enfant autiste. Ils n’en sont pas moins concernés, ainsi que tous ceux qui travaillent dans les lieux de soins et d’accueil, dans la dimension ouverte par la pratique de la psychanalyse. Tous sont concernés par le débat actuel et par la réponse que donnent les associations de psychanalyse et les voix qui défendent la psychanalyse, à cette interpellation. Si cette réponse ne s’avère pas à la hauteur de l’enjeu, alors il y a lieu de nous questionner sur ce que devient dans cette affaire, la psychanalyse et la société dans laquelle nous vivons, une affaire qu’il nous faut suivre avec intérêt, mais aussi, ne le cachons pas, avec une certaine appréhension mêlée d’inquiétude.

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A propos des positions publiques de la HAS

« La science manipule les choses et renonce à les habiter. » disait Maurice Merleau-Ponty dès la première phrase de L’œil et l’Esprit, son dernier écrit.
Claude Lefort, dans sa préface commentait : « Merleau-Ponty interroge la vision, en même temps que la peinture. Il cherche, une fois de plus, les mots du commencement, des mots, par exemple, capables de nommer ce qui fait le miracle du corps humain, son inexplicable animation, sitôt noué son dialogue muet avec les autres, le monde et lui-même – et aussi la fragilité de ce miracle. »
Comme on pouvait s'y attendre, la Haute Autorité de Santé, touchée par l'idéologie dominante de la science éducative, comportementale et développementale, conteste aujourd’hui officiellement la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle et le packing dans les pratiques d’approche des personnes qui souffrent de la massivité de leurs problématiques autistiques.
Ce qui est déterminant structurellement pour les humains est oublié. Nous assistons à une régression topique et économique, à une idéologie qui fait prévaloir les rapports utilitaristes, de conditionnement, voire de domination dans les commerces humains. Cette régression des politiques publiques et étatiques dans de très nombreux pays se manifeste à l’extrême, par la fréquente utilisation des chambres d'isolement et des contentions, en psychiatrie comme dans d'autres services du champ sanitaire ou médico-social. Ce symptôme ordinaire fait prévaloir les stratégies de contrainte à dominante sado-masochiste, dont les protocoles visent la sécurité et requièrent une docilité acceptée. La décision de la HAS survient dans ce contexte.
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" écrivait Rabelais en 1532. Médecin, il incitait à ne pas tomber dans une illusion scientiste simpliste. Aujourd’hui, il nous faut veiller à ne pas méconnaître la complexité de l'existence qui est toujours une co-existence. La simplification consensuelle des réponses normatives tend à écraser cette question de la complexité, la rabattant sur des considérations oubliant que l'humain se spécifie de ce qu'il peut dire, de sa façon de s’incarner dans sa parole... Les problématiques autistiques se trouvent donc aujourd’hui à une place paradigmatique, puisque justement le rapport au langage y est au premier plan.
Freud, dans son hommage à J.-B.Charcot dont l’approche faisait prévaloir le "visuel" dans l’observation anatomo-clinique, précisait l’avancée de son approche psychanalytique : au-delà de ce qui peut se voir et se corriger, il proposait d’écouter la parole de la personne pour qu’elle puisse se construire dans son rapport au monde, à autrui et à sa propre subjectivité.
Comment aujourd'hui faire entendre l'importance de demeurer attentif à cette nécessité de préserver des espaces où quelque chose puisse se dire et s'entendre d’une position subjective ? Cette exigence peut apparaître paradoxale quand elle concerne des personnes ayant une tendance autistique qui les confronte, plus que toute autre, à des difficultés extraordinaires à dire et à se faire entendre pour pouvoir se construire avec les autres.
L'humain s'incarne dans le langage qui construit son devenir en situation, à la condition de pouvoir se trouver dans la situation vécue de partager avec autrui l'énigme du désir de chacun. "L'art de l'écoute et de l'écho" (L. Bonnafé) peut toujours être mis en précarité par les occasionnelles dominantes idéologiques des politiques proposées par les autorités.
Demeurons "paradoxalement ouverts à l'espoir" (F. Tosquelles) dans nos contacts avec les personnes qui viennent à notre rencontre, comme jadis les professionnels de l'hôpital de Saint-Alban en Lozère où, durant la seconde guerre mondiale, aucun malade n'est mort de faim, alors que 40 à 60000 de nos concitoyens subissaient l'hécatombe des fous.
Il importe donc que tous nos concitoyens puissent exercer leur libre choix et leur citoyenneté de plein droit en rencontrant les professionnels de leur gré. Toute assignation statutaire par la HAS, comme celle concernant les personnes autistes de tous âges, devenant impérative me semble receler la proposition d’une citoyenneté restreinte, voire d’exception qui requiert notre vigilance, car la forme de notre cité peut s’en trouver infléchie : la logique des discriminations dites positives, privilégie le fait d’avoir des semblables sur le discours qui respecte chacun dans ce qu’il est de plus singulier. C’est l’enjeu de toute organisation collective que de pouvoir ou non être en prise sur cette question du singulier. Il s’agit de demeurer ouvert à l’accueil de chacun pour ce qu’il est unique et distinct de tout autre. Le cheminement que nous pouvons alors partager avec lui et son entourage prend sens à la condition de respecter éthiquement les disparités subjectives qui se manifestent dans nos rencontres.
"Ça fait longtemps que ça dure, mais ça ne fait que commencer", disait Samuel Beckett.
Dr Michel LECARPENTIER. Avec l’accord des Dr Jean OURY, P. BICHON, P. COUTURIER, C. DU FONTBARE, D. ROULOT, Psychiatres à la Clinique de La Borde, et du Pr Pierre DELION, Pédopsychiatre CHRU Lille. Jeudi 8 mars 2012

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