5 Novembre 2011, Journée « Pour en finir avec le carcan du DSM »

5 Novembre 2011, Journée « Pour en finir avec le carcan du DSM ».

Voici un petit topo partiel, et partiellement subjectif, de la journée du 5 novembre. Je n’ai assisté qu’à trois des quatre débats. Je prie donc le lecteur d’excuser par avance l’incomplétude du propos. Je me suis efforcée de restituer au plus près les propos entendus et pris en note. Pour une approche plus complète de la journée, on peut se procurer les enregistrements des 4 débats chez « Congrès-minute», ou contacter les organisateurs (Initiative pour une Clinique du Sujet).

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Et pourtant oui : j’avais bien signé le manifeste anti-DSM au printemps 2011, notamment du fait de ma sympathie pour ses organisateurs, et de mon implication dans la culture analytique. Mais qu’en savais-je vraiment en détail ? Pas grand-chose. Ce colloque me rappela ce texte d’une intervention visionnaire de Lacan de 19661 : soit l’escamotage du transfert, de la parole, par l’inflation médicamenteuse. D’autre part, du fait de mon ignorance, j’étais loin de me rendre compte notamment de la proximité « psychiatrie/champ éducatif et pédagogique » autour des fameux « handicaps ». J’étais loin de savoir à quel point la « vision » DSM impacte le discours sur la subjectivité humaine en général. Ça esquisse un monde orwelien, kafkaïen, et une socièté qui renie ses fondements démocrates et républicains les plus nobles : ainsi, en France, l’éthique de « santé pour tous », instituée par la Résistance après la Seconde Guerre Mondiale.

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Patrick Landman ouvrit le premier débat. Il nota que la critique du DSM dépasse le seul enjeu du « soin psychique ». « Il s'agit d'un combat politique, citoyen », un combat international. Ce qui est notable est que le DSM se prétend légitime au nom d’un prétendu « a-théorisme », sous prétexte d’une conception organiciste et biologique.

Le DSM fait une négation de la réalité psychique. Il n’y a pas de nuance. C’est une méthode « critériologique ». Le DSM énonce des standards.

Donc, premier constat : « Il s'agit d'une éradication de l'héritage freudien ».

1ère table ronde : L’enfant et l’adolescent sous DSM :

Tristan Garcia-Fons :

Il insista sur le fait que les enfants sont les premières victimes du DSM, puisqu’ils sont trop vite étiquetés « handicapés » par celui-ci. Ma profession d’enseignante était là directement concernée. « Le symptôme est réduit au signe. » Ce sont les enfants du « déficit »…C’est ce qui s’illustre, notamment dans les textes « Educ. Nat », par ce fameux préfixe « dys »…De ce fait, « il y a une explosion du taux de prévalence, comme par exemple une explosion du taux de prétendus « autistes », ou du « spectre  autistique ». Ce systématisme mène à l’erreur. « Le système DSM, ajoute T.Garcia-Fons, a fabriqué un nouvel enfant, sans désir ni sexualité, animalisé, computorisé. C'est ce qui fait que le DSM s'avère congruent avec le système capitaliste. Derrière le traitement apparaît le fantasme d'un enfant orthonormé ». On est dans un système eugèniste…Le DSM nie le caractère évolutif et imprévisible de la jeunesse. Enfants et adolescents sont « en devenir », on ne peut pas « savoir » à l’avance.

Dominique Tourrès-Gobert :

Elle témoigne, elle, d’un grand nombre d’adolescents « atypiques » (= inclassables, non étiquetables). Contrairement aux apparences, l’adolescence peut être « bruyante » dit-elle, sans que ses suites soit problématiques. Ou, au contraire une absence de manifestations visibles n’empêchent pas que des symptômes graves d’apparaissent ensuite. D. Tourrès-Gobert évoque la règle des « 3 tiers » apprise en psychiatrie, suite à des symptômes « psychotiques » par exemple : 1/3 seraient sans lendemain, 1/3 montreraient une récidive, 3/3 ouvriraient vers la schizophrénie.

Le problème du DSM est qu’il fait craindre un grand nombre de « faux positifs ». « Nous sommes passés de l'ère de la prévention à l'ère de la prédiction », dit-elle. Or les psychanalystes s’autorisent, eux, « à donner du temps du temps et de prendre en compte la vie psychique ». « Il faut s’autoriser à ne pas savoir ». Il y a un « effet psychogène du diagnostic »: les ados vont sur Internet et s’affublent du diagnostic, ça fait « identité », etc…

Roger Teboul :

Évoque le travail de séparation de l’adolescence. L’adolescence est, selon R.Teboul, de structure « hystérique ». Or, l’hystérie disparaît dans le DSM IV… : donc, problème.

« Hystérique », dit-il, parce que « l'ado. est obligé de reconstitué la généalogie des désirs qui l'ont fait naître ». Il remet en question le maître, et le pouvoir du psy. L’ado. met en « jeu le corps dans le travail de séparation ». « La problématique du désir invite à revenir à l'hystérie », ajouta-t-il, or celle-ci est éliminée du DSM.

Maurice Corcos :

Insiste sur la formation des jeunes psychiatres : les jeunes psychiatres n’ont plus « le souci clinique, ni le sens de la rencontre ». La culture « anglo-saxonne » inhérente au DSM est dirigée vers un souci purement « pratique ». « Il faut que ça marche, que ça fonctionne »…Pas de philosophie spéculative. On est dans le « percept ». A propos des ados, le DSM parle d’ « indocilité », qui serait un « signe » de « bas niveau de moralité », facteur favorable à la délinquance, etc…

Et l’ « hyperactivité » ? M. Corcos estime que c’est davantage un problème de « lien » à la famille qu’autre chose. Il précise avec humour qu’il connaît ainsi davantage bien plus de « mères de surdoués » que de « vrais surdoués », ou plus de parents d’ « hyperactifs » que de vrais enfants « hyperactifs »…Finalement, ce sont surtout des parents qui ont des difficultés à faire le deuil de l’enfant imaginaire. M. Corcos cite Winnicott, qui demande à ce qu’on ne massacre pas le « potentiel de la dépression », qui permet « la croissance de la performance affective ». M. Corcos a rappelé combien le symptôme a une « fonction protectrice du sujet ». On est obligé de tenir compte de lui. Le DSM veut éradique la psychopathologie et le symptôme, car ils incarnent le doute, la pensée. Dans le DSM, dit M. Corcos, « il y a une horreur du « fluent », du mouvement » : or, ce « mouvement » est ce qui incarne la jeunesse. Le DSM est du côté de Thanatos. Le DSM comporte une forme de pulsion d’emprise, de possibilité de contrainte par la classification.. Or, au contraire, la pensée va avec l’Eros, le lien à l’autre. DSM = C’est une folie classificatrice. C’est une psychiatrie qui s’inscrit dans une description de la violence. Le DSM « finit toujours, par la prédiction, à classifier ce qui semble échapper aux « mailles du filet » ». Il évoque le texte de Lacan de 1947, «  La psychiatrie et la guerre »2, où l’on lit que c’est précisément, et au contraire des recommandations du DSM, par l'absence de contrainte que des sujets, pourtant considérés comme « fragiles », ont été capables d’une vraie participation à l’ « effort de guerre » anglais, et d’une vraie socialisation. M. Corcos rappelle que les internes en psychiatrie sont encore quasiment des adolescents ! Et si on leur enlève le DSM, dit-il, « c'est comme si on leur enlevait une part d'eux-mêmes ».

L’acte de l’adolescent (M. Corcos parlait à nouveau du patient-ado., et non plus de l’interne en psychiatrie…) revient à une monstration un peu spectaculaire. Si on n’accepte pas l’idée que les adolescents sont « agis », on tend alors à les « adapter », les « contenir » : c’est une démarche mortifère.

C. Hoffmann  (« Espace analytique » et enseignant à Paris 7) :

A précisé : le DSM est transmis dès la première année de médecine ! : donc formatage des esprits dès le début du cursus…

2ème table ronde : Clinique des psychoses sous DSM

François Leguil (ECF) :

Le DSM s’est imposé comme outil statistique : succès. Il faut continuer de résister.

Le DSM a jeté l’enfant avec l’eau du bain. C’est une « bêtise épistémologique » : suppression de la névrose, de l’hystérie, de l’homosexualité. La classification n’est plus qu’une nomenclature. Il rappelle que Lacan disait en 1965 : la faute de la psychanalyse est qu'elle n'a pas transmis l'essentiel : soit que le psychanalyste constitue la moitié du symptôme ! 

Un des autres intervenants (j’ai omis de noter son nom) a évoqué les conflits d’intérêts dans lesquels les chercheurs du DSM étaient pris. Le DSM, c’est aussi l’industrie pharmaceutique. Ce sont des essais médicamenteux. La psychiatrie est l’une des activités aux USA des plus corrompues. C’est un vrai scandale. C’est une psychiatre fondée sur l’évidence. Seul l’angoisse serait une indication de médicament.

Quelqu’un rappela (J.F Solal peut-être ? Je n’ai pas noté) aussi qu’il fallait bien reconnaître qu’à la naissance du DSM (années 70), les psychanalystes avaient été sollicités pour participer aux travaux, et qu’ils avaient alors sciemment refusé. La psychanalyse était alors en pleine expansion, et sans doute un trop plein d’ « arrogance » (dixit l’intervenant) leur avait fait commettre cette erreur, sans mesurer ses conséquences pour le futur.

Paul Bercherie :

Lui a réfléchi sur la question du « savoir ». Car si la psychanalyse s’autorise en effet à « ne pas savoir » et admet de « douter », elle a aussi une « force de savoir importante ».

Et inversement le DSM révèle, lui, un véritable obscurantisme.

Le DSM n’est pas « Kraepelinien ». P. Bercherie rappelle que Kraepelin fut le dernier psychiatre avant Freud. Il avait une démarche plus proche de Bleuler.

Comme le DSM repose sur le « vote », il dégage donc une « doxa ». Il est choquant «  qu'on n'y retrouve pas une seule des notions de la psychiatrie classique. Or, qu'est-ce que le DSM sinon le recyclage d'un savoir qui était déjà là ?Ainsi le délire chronique disparaît comme dans la clinique allemande. Il n'y a plus aucune distinction dans les hallucinations, ni dans la structure des délires (paranoïa, paraphrénie, etc…). » (P. Bercherie évoque alors la nosographie de Maleval). Il y a un prétendu « a-théorisme », eu égard à l’étiologie. Effacement de toute psychopathologie.

Or, en fait, derrière tout ça, derrière ce prétendu « a-théorisme » de façade il y a bien de la théorie : soit le béhaviorisme ! Dans le DSM V à venir, la notion d'esprit est un anachronisme. « Ils veulent se débarrasser de la notion d’ « esprit » » Le DSM témoigne d'une crise de la clinique. Selon P. Bercherie, les dernières observations cliniques dateraient des années 20 (affirmation que contestera H. Bokobza dans l'après-midi, par un autre point de vue). Le DSM est un point de vue catégoriel. « Or la relève de la clinique ne peut venir que de la psychanalyse. Il y a illusion d’une univocité diagnostic. C’est une psychologie anti-subjective. ». On ne peut donc dissocier l'établissement du DSM des questions politiques et d'époque.

Alain Vanier (E.A et Paris 7):

« Il n'y a pas de lésion, mais il pourrait y en avoir »… : il y a fonction de police du psychiatre avec ce DSM. L’aberration du DSM est que l’on établi un étalonnage temporel, par exemple sur le deuil : ainsi, il faudrait faire son deuil en un nombre X de jours, etc.

Il faudrait que le DSM ait l’honnêteté de dire les théories avec lesquelles ils travaillent, par exemple le béhaviorisme.

François Leguil

Les entretiens sont ultra-rigidifiés. On ne laisse pas parler le sujet, on ne retient que ce qu’on veut notifier.

Interventions dans le public :

Une psychiatre de l’ECF intervient, et évoque le rapport de l’Inserm : on revient au déterminisme génétique. Il faut renforcer la recherche génétique et donner des médicaments. La référence théorique est « Lumbroso ». Le DSM a une responsabilité politique (risque « eugéniste », etc..).

(Je n'ai pas assisté à la première table ronde de l'a.m.)

4ème et dernière table ronde (après-midi) : enjeux politiques

Guy Dana :

« Le mouvement psychiatrique et le DSM sont à penser ensembles. Il y a une hyper-médicalisation de l'acte psychiatrique. C'est une conséquence directe de la disparition de l'internat de psychiatrie ».

Il y a judiciarisation, protocole de soin. « L'acte n'est pas seulement déterminé par une recherche avec les patients. Cet acte devient interchangeable avec le DSM. Le DSM 3 s'est vendu au grand public. Il y a l'idée que la maladie mentale est plus fréquente qu'on ne croit ». Guy Dana pense que la pharmacopée a tiré partie des fragilités du DSM 3.

Hervé Bokobza

H. B. rappelle que la psychiatrie est une discipline du champ social.

« Ca fait 30 ans que l'on subit le DSM. Pourquoi en parlera aujourd'hui, et pourquoi ce silence de 30 ans ? »?

(Une question que je suis posée en entendant cela  : 30 ans, n'est-ce pas précisément la mort de J Lacan ? Cette absence de réaction et de critique sur le DSM qu'évoque H. Bokobza pourrait-elle être liée à ce deuil de la communauté analytique?)

H. Bokobza se rappelle aussi  qu'en 1980, les médecins libéraux descendent dans la rue. Parce que la Sécurité Sociale assurait depuis la Résistance que tout le monde ait accès aux soins. Or, 1980, c'est selon Lyotard le passage à l'ère post-moderne : c'est l'arrivée du « Sois-toi », « Développe-toi tout seul » » etc, lié au nouveau capitalisme. Or, ajoute H.Bokobza, en 1980, il y a de nouveau marchés financiers, de nouveaux modes d’existence.

Donc, en 1980, raconta H.B., les médecins, pourtant libéraux et plutôt « de droite », défilèrent quand même dans la rue parce que s’instituaient alors les nouvelles tarifications médicales : « secteurs » 1, 2 etc… : ce qui était perçu comme une atteinte à ce qui auparavant régissait le principe de la « Santé pour tous » issue de la Résistance.1980, c’est aussi la suppression des lits en psychiatrie, avec la complicité des universitaires. On assiste lors à une « déspécialisation de la psychiatrie. La question de la psychopathologie disparaît, on piétine la question du transfert ». Il cite Jacques Génèreux ( politiquement proche de Jean-Luc Mélenchon me semble-t-il/NDLR). Il conseille de lire « Brezinski » ( ? à vérifier, je n’ai pas noté qu’H. Bokobza ait précisé une référence) :

Il faut diviser le savoir en 3 :

Savoir complexe = les maîtres du monde, cf Davos en 1992. C’est un savoir transmissible, détenu par une minorité de décideurs.

Savoir technique = concernerait 30% de la population. Savoir jetable, corvéable. « Mon savoir est interchangeable ». La psychiatrie est ainsi transformée en technique.

Savoir de distraction = c’est le fameux « cerveau disponible » pour la télévision…(cf les déclarations d’Etienne Mougeotte/TF1) pour les grandes « masses ».

H. Bokobza considère que notre époque est celle des « 3 P » :

-La « preuve », la « peur » (de la folie), la « prédiction »-

Pourquoi la « peur » ? Parce que l'exception n’est plus la règle, mais que « de l’exception » on va faire « LA règle » (cf le drame de Pau).

H. Bokobza, avec beaucoup d’humour, a décrit la « peur », qui selon lui sous-tend le travail de ses collègues. Peur de n’avoir pas assez prescrit de médicaments, peur des procès etc. Il décrit les ordonnances d’aujourd’hui où les psychiatres donnent « un peu de tout » (anxiolytiques/somnifères/antidépresseurs/antipsychotiques, etc…), parce qu’ils craignent la judiciarisation.

Toujours avec humour, il précisa que lui-même « a peur » : « peur » d’avouer en public… qu’il ne prescrit pas nécessairement de psychotropes aux psychotiques ! Il faut pourtant avoir le courage de prendre ce type de « risque ». Même si le patient finit par délirer, expliqua-t-il, au moins il aura vécu autre chose pendant plusieurs mois que s’il avait été « abruti » de médicaments durant cette même période.

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Marielle David (Espace Analytique)

Elle a souligné que les psychologues sont moins chers que les psychiatres, ce serait la raison pour laquelle on supprime ceux-ci. Elle s’est dit surprise qu’on ne tienne pas compte davantage de la psychiatrie allemande.

Gérard Pommier a conclu cette journée très dense.

Nathalie Cappe, 1er décembre 2011. 

  • 1.

    Lacan J., « La place de la psychanalyse dans la médecine », 1966/Site de l’Ecole Lacanienne de Psychanalyse/Bibliothèque.

  • 2.

    http://www.ecole-lacanienne.net/documents/1947-00-00a.doc