Un non évènement

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Un non évènement

 

 

Monsieur Onfray n’a pas lu les œuvres complètes du père de la psychanalyse. Je dis cela en ma qualité de lecteur, studieux, assidu et quotidien de Freud depuis trente ans. J’ai lu, je lis, Freud avec plaisir en français et je bavarde avec son texte, histoire de m’ôter des doutes, dans les versions espagnole, anglaise, portugaise et, bien évidemment, allemande. Mais cela encore n’est pas suffisant.

Ledit Onfray dit qu’il n’a pas lu tout Freud, ce qui est compréhensible puisque l’œuvre de Freud n’est pas encore publiée chronologiquement en français ; toutefois, en cherchant un peu, les documents publiés par les Presses Universitaires de France nous offre un accès bientôt exhaustif à son œuvre complète.

Le livre de Michel Onfray, « Le crépuscule d’une idole » (Grasset, 2010),  est paru – ce qui m’a valu de m’employer à défendre Freud et la psychanalyse dans une réponse vidéo à cet auteur (http://www.youtube.com/watch?v=x1OcT5C3J0g) – ; or, nous pouvons affirmer qu’il n’a pas prouvé ce qu’il écrit. En ce sens, le livre de Monsieur Onfray est un non évènement, c'est-à-dire un évènement hyper médiatisé bénéficiant amplement de la mise en route d’une machinerie télévisée mais qui, au final, n’a pas le caractère exceptionnel attendu. L’intention est de faire vendre et nous savons que notre humanité est plus intéressée par les secrets d’alcôve, les bains de sang, les fils illégitimes, que par le travail silencieux, quotidien et discret.

Ce tapage médiatique n’aurait-il été produit que pour vendre du papier ? La question se pose car le livre d’Onfray ne nous apprend rien de nouveau si ce n’est, peut-être, à nous méfier des bons à tirer car, une semaine après la parution de son livre (mais peut-être ne supporte-t-il pas que la baudruche se dégonfle ?), Onfray re-vient à la télévision au prétexte que son texte présente une coquille, immense, énorme et que si les psychanalystes n’ont pas encore attiré l’attention sur cette coquille c’est parce qu’ils n’ont pas lu véritablement son « crépuscule ».

Ainsi, il attend que les psychanalystes dénoncent cette coquille, ce qui à ses yeux fera la démonstration que les 600 et quelques pages de son ouvrage auront été bien lues ! Comme si le psychanalyste avait du temps à perdre avec le symptôme de Monsieur Onfray ! Symptôme qui a tout de même trouvé un moyen de s’apaiser dans l’écriture en général et en parlant mal du père de la psychanalyse en particulier.

Comme si le psychanalyste avait du temps à perdre avec le symptôme d’un adolescent ayant des problèmes avec le père. Le psychanalyste n’a pas de temps à perdre, son temps, il le consacre, le dédie aux personnes, adolescentes ou non, qui souffrent et qui veulent savoir ce qui les fait souffrir. Onfray, lui, interroge son idole imaginaire.

Le psychanalyste n’idolâtre pas Freud, il le respecte, comme on doit respecter les personnes qui nous tirent de la difficulté.

Avant Freud, les cliniciens ne savaient pas comment se sortir des difficultés que posaient les symptômes hystériques ; je pense notamment à la manière dont étaient traités les hystériques et aux discours tenus par des cliniciens remarquables comme Morel (« Une femme hystérique ne devra pas allaiter son enfant, parce qu’elle ne peut lui donner que des matériaux nutritifs de mauvaise qualité », p. 717 de son « Traité ») ou Briquet (« Un lait nutritif, le séjour à la campagne, l’exposition habituelle au grand air, les bains frais souvent répétés, une grande sobriété dans les caresses, et beaucoup de réserve dans les expressions de tendresse, seront les éléments indispensables à l’éducation de la première enfance » (p. 609 de son « Traitement de l’hystérie). Cela sans parler de l’isolement comme traitement possible de l’hystérie.

Après Freud, la clinique est devenue beaucoup plus limpide. Beaucoup de personnes, souffrants de symptômes les plus variés et énigmatiques, peuvent vaquer à leurs autres occupations, autres que leurs pensées les empêchant d’aimer et de travailler.

La clinique est confusion, énigme et obscurité. Lacan est venu et a apporté un peu plus de lumière à cette obscurité quotidienne.

Et ainsi va la clinique, avec des personnes qui, dédiées à la psychanalyse tous les jours, tirent les citoyens, avec leur consentement, vers le haut. Ce n’est pas parce que les psychanalystes ne répondent pas aux attaques faites à la psychanalyse qu’ils sont morts. Ils ne dorment pas non plus. Ils sont simplement occupés à des choses bien plus importantes pour eux, à savoir : écouter celles et ceux qui souffrent, mais qui veulent savoir, quelle est  leur part de responsabilité dans leurs symptômes, ce qui apparemment n’est pas, encore, le cas de Monsieur Onfray.

Attaquer la psychanalyse comme il le fait, revêt plus la fonction de noircir du papier que de faire un travail sérieux de chercheur. Il est vrai qu’il est bien connu que le simple nom de Freud sur la couverture des revues augmente le nombre des ventes.

Pendant un certain temps, je peux l’accorder, Onfray a lu Freud, mais il ne l’a pas étudié. De là, l’appui qu’il est allé chercher dans ce drôle de livre qu’est le « Livre noir de la psychanalyse ».

J’ai lu ce livre et ai reçu plus que ma part des sarcasmes de mes amis psychanalystes qui me demandaient si je n’avais pas autre chose, plus utile, à faire de mon temps libre. Je l’ai lu parce qu’il est important de lire ce que l’on va critiquer. Le livre de Monsieur Onfray s’aligne sur cette logique d’ignorance supposément noire, donc effectivement magique qu’ils ont de la psychanalyse.

La psychanalyse suscite des débats passionnés chez celles et ceux qui ne savent rien de psychanalyse, qui ont lu quelques textes de Freud ou qui ont lu quelques textes de vulgarisation. A la fin cela revient au même : une ignorance de la pensée de l’auteur et des psychanalystes d’aujourd’hui.

Les psychanalystes ne sont pas passionnés par la psychanalyse. Ils sont des navigateurs attentifs qui utilisent la psychanalyse comme une cartographie pour s’orienter par des « mers jamais encore sillonnées » de l’inconscient de celle ou celui qui vient leur rendre visite.

Onfray ne sait pas de quoi il parle parce qu’il n’est pas psychanalysant et qu’il n’est pas non plus studieux de la psychanalyse. Il se comporte plus comme un valet des médias sensationnalistes de notre modernité que comme critique crédible de Freud et de la psychanalyse.

Regarder par le trou de la serrure pour voir qui couche avec qui est chose d’enfant qui ne sait pas encore que le meilleur c’est d’être de l’autre côté de la chambre et de participer au festin !

Onfray pour ne pas être clinicien, confond psychothérapie conduite par un psychothérapeute, psychothérapie conduite par un psychanalyste, et une psychanalyse, qui ne peut être conduite que par un psychanalyste, selon la cartographie du RPH (Cf. www.rphweb.fr).

Il faut savoir pourquoi les psychanalyses réagissent défavorablement au livre d’Onfray. Il faut savoir que lire deux erreurs grossières sur Freud, trois sur la psychanalyse ne donne pas envie d’insister à moins d’être véritablement décidé à perdre son temps. Ce qui, vraiment, n’est pas le cas des psychanalystes, qui pourtant ne sont pas gens plus pressés que les autres mais qui n’ont pas de temps à perdre.