APPROCHE – FREUDIENNE

APPROCHE – FREUDIENNE ? - DU CAS ONFRAY

Après s’en être pris au « Dieu des monothéistes » dans son « Traité d’athéologie » – excusez du peu – Michel Onfray s’attaque maintenant résolument à Freud. Aussitôt quelques hebdomadaires et journaux , perdant le sens des proportions , n’hésitent pas à titrer « Onfray déboulonne Freud ». Rien que cela. Par suite , l’une des meilleures spécialistes et de Freud et de l’histoire de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco vient d’écrire une longue et substantielle réfutation de la dite tentative d’extermination en s’interrogeant , avec pertinence, sur le fait se savoir si les nécessités marchandes pour ne pas dire mercantiles propres à l’édition française justifiaient une pareille tentative de la part d’un esprit qui se voudrait iconoclaste mais dont il est à craindre qu’il ne soit que prédateur. Un prédateur d’envergure si l’on en juge par l’importance de son auditoire. Mais sans doute est- ce à celui- ci qu’il convient de s’adresser dans le complet respect de la liberté de penser laquelle implique la liberté de critiquer, certes, mais aussi , en cas de besoin, celle de critiquer le critique.

I. Glorification du prédateur.

Je ne suis pas un lecteur de Michel Onfray et j’y survis. Non pas que je nourrisse quelque prévention contre ses idées ou pire encore contre sa personne. Mais il n’y a que 24 heures dans une journée et je préfère les consacrer à des lectures ou à des relectures qui me conviennent mieux , à Platon , à Spinoza, à Tolstoï, à Montesquieu , au Talmud et à Freud que je lis et relis régulièrement puisque l’exploration de l’inconscient constitue l’un de mes domaines de recherche. Je ne suis entré en contact avec les écrits de Michel Onfray qu’à une seule occasion : lorsque le magasine Lire , si je me souviens bien, se fondant probablement sur mes propres livres , m’a demandé un avis précisément sur son « Traité (sic) d’athéologie (resic) ». Un premier mouvement dicté par les considérations précitées m’avait fait refuser. Sur l’insistance du demandeur je me résolus à lire les pages consacrées au judaïsme dans l’ouvrage en question. Sans tarder j’y décelai un problème réel , comme l’on dit aujourd’hui. La question de la violence occupe une place considérable dans la Bible et plus particulièrement dans la Thora hébraïque. C’est avec attention que je scrutai ces pages là. Il ne fallut pas attendre longtemps non plus pour constater les procédés de l’auteur : citations tronquées ,extirpées de leur développement , instruction véhémentement à charge , désir systématique de dilacérer , de réduire en miettes , de n’en laisser pierre sur pierre. Du boulot d’Attila. Ce qui me paru assez osé de la part de quelqu’un érigé en pourfendeur de la violence divine, et cela dans la méconnaissance la plus brutale de toute règle de méthode digne de ce nom. Par exemple pourquoi le « Dieu- vengeur – de- l’ancien Testament » , réputé massacreur et génocideur , a t-il de la même âme prescrit ce commandement d’amour - dont Spinoza faisait l’essence même de l’éthique : « Tu aimeras ton prochain comme toi même » (Lev , 10, 18) ? Egalement rien sur l’institution judiciaire , sur les réparations juridiques et morales , sur les consolations, sur la liberté , sur la responsabilité. Tout un livre actionné comme une ceinture de kamikaze sur un marché civil. Qu’en dire de plus sinon que , la dernière page lue , l’ensemble constituait pour un lecteur non prévenu un tissu d’âneries qui ne me semblait pas se limiter aux seuls récits bibliques.

Et puis est arrivé ce nouveau livre sur ou plutôt contre Freud qui a provoqué la réaction , entre autres, d’Elisabeth Roudinesco - diffusée par Cité philo – et qui nous invite à en débattre. A cet égard il paraît indispensable d’ouvrir le débat non pas tant sur le livre lui même que sur la mentalité dont il procède et le retentissement qui lui est donné. Car tout lecteur véritable de Freud , de sa biographie et surtout de son œuvre , haussera les épaules devant cet exercice de prédation récidivante. Une fois encore tout y passe : Freud libidineux , incestueux , pédophile presque , parricide et infanticide , pervers , avide , dictatorial , avec la complicité d’une épouse voyeuriste. N’en jetez plus… A part Hitler ou Dutroux je ne sache pas qu’aucune autre figure ait suscité une telle accumulation de termes orduriers , obscènes , graveleux , répulsifs. Il est vrai que l’auteur , rétif à toute enquête qui lui demanderait un peu plus de travail que son hédonisme affiché le lui permet , a rempli à ras bord une fois de plus son cageot de ragots , de rumeurs , de médisances dont on se demande ce que cela vint faire dans un exercice qui prétend servir la philosophie et qui sent surtout son tout -à -l’égout. Si , sur les tendances « perverses » de Freud, Elisabeth Roudinesco a rétabli ce qui doit l’être , j’insisterai sur deux éléments supplémentaires : l’avidité supposée de Freud et le rôle qu’il aurait joué – attachons nos ceintures - dans la production idéologique de la Shoah car ici , vraiment , la ficelle se transforme en câble. Rappelons que la réputation mondiale de Freud était telle que même après son départ de Vienne dans les circonstances que l’on sait : in extremis , et une fois arrivé à Londres , les demandes de psychanalyse avec lui , en personne , ne cessaient pas. Atteint d’un cancer en phase terminale Freud n’ignorait pas son état et le peu qui lui restait à vivre. Toutefois , en cas d’acceptation de sa part , et dans le cas où l’on insistait pour qu’il reçût par avances des honoraires fixés comme il se doit d’un commun accord , Freud faisait expressément stipuler dans cet accord qu’en cas d’interruption de ce parcours l’analysant se vît rembourser sans discussion ce qui devenait un trop- perçu. Cela pour souligner son honnêteté foncière dont Michel Onfray aurait bien fait de s’inspirer dans son propre parcours intellectuel. Quant à ériger Freud en armurier idéologique de la Shoah et , en somme, à faire des Juifs par son truchement les auteurs de leur innommable malheur , pour sentir le réchauffé l’argument n’en est pas moins odieux et méprisable. En ce sens , Elisabeth Roudinesco est fondée à relever que le gauchisme affiché d’Onfray n’a rien à envier à la mentalité de l’extrême droite la plus maladivement révisionniste. Le Freud dont Michel Onfray prétend faire des confettis n’existe que par son ignorance crasse et l’on peut tout faire avec une ombre sauf la déchirer avec les dents. La tentation est grande de considérer que toutes ces outrances ne sont que projections , mais il faut s’arrêter et observer la règle d’or de la déontologie analytique imposée par Freud – le vrai : jamais d’analyse sauvage , surtout en public. L’inconscient méconnu finit toujours par présenter ses effets impayés.

II. Philosophie « populaire » ou poujadisme intellectuel ?

Il reste à se demander ce qui fait l’audience d’un telle « pensée » et en quoi draine t – elle tant de lecteurs auquel nous laissons le soin de décider s’ils méritent ou non l’appellation de gogos. On ne s’attardera pas sur la connivence de tel journal ou de tel hebdomadaire titrant en première page ou en pleine couverture sur les exploits de Michel Onfray. Au fond , comme l’on dit à présent c’est lui qui fait le « buzz » et , au titre de cette grande loi de la vie médiatique selon laquelle les médias médiatisent ce qui les médiatise , il va de soi que cette tentative de meurtre intellectuel « buzze » on ne peut plus. Telle serait la règle du jeu. Néanmoins si je vois où est le « jeu » en revanche je ne vois pas où est la règle lorsque sur ces couverture le nom d’Onfray s’imprime en surmajuscules raccrocheuses et qu’il faut chercher bien en dessous celui de Roudinesco ou de Miller - parce que les autres ont sans doute préféré appliquer la seconde règle de la déontologie freudienne : devant l’outrance se taire et poursuivre sa tache.

Il n’y pas que ce jeu médiatique. En son simplisme et sa violence la « pensée » de Michel Onfray procure probablement à qui la reçoit un double bénéfice. Par ses énoncés primaires , elle leur épargne précisément l’effort de penser , ce que Bergson appelait l’effort intellectuel , exigence sur lequel Freud a tant insisté avec son concept de durcharbeit. Par sa violence elle gratifie à moindre frais cette impulsion « justicière » qui caractérise le populisme et procède du persistant « malaise dans la civilisation » particulièrement perceptible dans l’entre – deux guerres. Malaise endémique et reviviscent dont Freud a avancé une analyse qui ,pour le coup , permet de discerner dans la « pensée- Onfray » , toujours unilatérale , faisant par principe l’impasse sur le principe de contradiction , l’un de ses symptômes loquaces. C’est en ce point d’ailleurs que l’oeuvre de Freud conserve son actualité et son acuité , notamment dans la troisième partie de L’Homme Moïse et la religion monothéiste. S’interrogeant sur les causes de la montée du nazisme Freud y met en cause l’échec des conversions de masse , déjà coupées du message évangélique initial , menées au pas de charge en laissant croire que la levée de toutes les angoisses est accomplie , que la Rédemption a eu lieu , que le salut est avéré , que le choix est d’ores et déjà opéré entre les béatifiques et les damnés. D’où sa formule au vitriol contre ces « croyants » , si mal nommés parce que si mal baptisés et qui ne seraient que des « barbares mal débaptisés » , pratiquant toujours la religion totémique qui fait sa Loi de l’assouvissement inconditionnel et qui , de ce fait, doit détruire l’autre Loi , celle qui affirme la nécessité de renoncer à un tel assouvissement pulsionnel, finalement auto- destructeur. Ce que Freud a avancé au sujet de ces formes de conversion religieuse tellement illusoires pourrait s’appliquer à d’autres formes de propagande , culturelles cette fois. A sa manière l’hédoniste Onfray , qui sait extraire tant de plaisir de lui même tout en renonçant à toute paternité , à toute généalogie et donc à toute responsabilité , promet ainsi à ses adeptes le Paradis immédiat , soit le plaisir de vivre, certes ,mais sans l’effort de pensée. Et lorsqu’il croit devoir mettre en cause l’instinct de mort dont il fait de Freud l’inlassable Pontifex maximus au profit du principe de plaisir polymorphe tel qu’il le conçoit , il se pourrait qu’il pratique surtout le jeu de bonneteau et qu’en réalité sa violence intrinsèque , multiforme , polymorphe , à visage hédoniste , est la plus sûre attestation du principe mortifère qui la promeut.

Depuis sa création la psychanalyse a subit maintes attaques , les unes informées , respectant le principe de loyauté scientifique , les autres confiant à la tentative de lynchage. Plus d’une fois par leurs schismes , par leur sectarisme , par leurs langages babélisés , les psychanalystes y ont prêté le flanc. Cependant , ils oeuvrent depuis plus d’un siècle dans la souffrance psychique et tentent de l’alléger. Il faut aussi savoir faire bien , sinon le bien , et se taire. A cet égard l’œuvre de Freud , toute l’oeuvre de Freud à laquelle ils se repèrent reste un incomparable outil destiné à ouvrir notre intelligence , à favoriser la connaissance des humains , à voir clairement justement ce qui est encore obscur. Aucune discipline constitutive des sciences humaines et sociales ne saurait se couper d’elle sans se mutiler gravement. Supposons un seul instant qu’a force de médisance , de « langue mauvaise » comme l’on dit dans la Bible , l’on parvienne à la tuer , à réussir là où même les autodafés de Goebbels, le stalinisme de Beria ou la Grèce des colonels ont échoué : dissuader de lire et de relire Freud et de découvrir à notre tour ce qu’il a découvert : le continent inconscient. Ce continent disparaîtrait – il pour autant ? Ou bien continuerait – il de vivre et de prospérer , plus destructeur que jamais tant la pulsion de mort y aurait recouvré son hégémonie ?

Freud s’était fait un honneur d’avoir remis les Enfers figés « en mouvement ». Il est vraiment à craindre que ces tentatives dites de « déboulonnage » n’aboutissent qu’à ériger à sa place la momie mentale de ce bon vieil Ouranos. On ne peut douter alors qui serait le premier thuriféraire à porter devant lui l’encens narcotique en faisant avancer , au nom du principe de « plaisir » , la prime victime propitiatoire.

Raphaël Draï

Faculté de droit et de science politique d’Aix en Provence , Université Paul Cézanne ,

Ecole doctorale en recherches psychanalytiques et psychopathologiques , Paris VII , Diderot

Comments (3)

Une psychanalysée,
Michel Onfray a clamé à la France son besoin de psychanalyse, le pauvre homme ignore sa demande d'aide, ses connaissances intellectuelles en psychanalyse sont légères,son expérience nulle, le tout arrosé d'une bonne dose de méchanceté et de maux mentaux...le malheureux homme. Messieurs les psychanalystes, que pouvez-vous faire pour cet individu qui souffre sans le savoir mais que l'expression du visage affiche.

le complexe d'oedipe est la piére angulaire de la psychanalyse,et michel onfray affirme dans son livre
que ce complexe n'est que le coeur nucléaire de l’âme de freud et non pas une vérité scientifique universelle . personnellement je pense que chacun de nous peut observer dans son entourage que les enfants son attirer par le sexe opposé et qu’après un certaine période ils s'identifie au parent du même sexe

Le livre d'Onfray ne fait que reprendre le point de vue de la philosophie sur la psychanalyse. Rien de nouveau dans son analyse par rapport aux critiques de Sartre, de Malinovski, de Deleuze... de Young, et de bien d'autres encore.

Si je dis "le complexe d'Oedipe n'existe pas"... ou "les preuves de l'existence du complexe d'Oedipe sont plus fragiles encore que les preuves éventuelles de l'existence de Dieu", il va être difficile au psychanaliste de justifier son appareillage conceptuel ou théorique. Je ne prétend pas que la tâche soit impossible. Après tout, cette théorie est peut-être vraie. Mais pour échapper à l'objection qui en fait un ensemble de croyances métaphysiques parmi d'autres, pas mieux ou moins bien fondée que d'autres d'ailleurs, la tâche est rude. Je veux dire VRAIMENT rude (Habermas s'y est essayé mais le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est guerre probant).

Or force est de constater le décalage entre le contenu du débat théorique (je dirais 50/50 vu la nature des arguments) et le rapport de force des opinions sur ce point dans la société française,à l'avantage écrasant de la psychanalyse pour le coup (ou de ses formes populaires vulgarisées). Cette dernière, en effet, s'est infiltrée partout conformément du reste à ses velléités, à sa nature et au contenu des thèses qui sont les siennes, sans parler de la dimension marchande et médiatique - ne soyons pas naïfs).

Le texte d'Onfray me semble rééquilibrer tout ça. Quel que soit ce qu'on en pense, il aura au moins eu le mérite de rendre compte du problème.
Plutôt qu'une attaque sur les motivations réelles ou supposées de l'auteur, j'aurais aimé des réponses précises et argumentées aux doutes/objections/critiques qui sont les siennes.
Le site a l'air très bien conçu et je suis sûr que vous disposez des ressources théoriques en question.

Cordialement.