Publié le 22/04/2010 N°1961 Le Point\par PHILIPPE GRIMBERT*

«La psychanalyse ne guérit pas, elle

Oui, mais... Oui, Michel Onfray a raison, Freud a commis des erreurs, mais ce qui fait la singularité de sa démarche, c'est qu'il l'a reconnu et écrit, dans la dynamique d'une pensée sans cesse remise en question. Oui, Freud a souvent puisé dans ses propres empêchements, ses rêves et ses fantasmes pour inventer la psychanalyse, ce qui ne fait pas de lui pour autant un malade tentant de justifier ses déviances, mais un névrosé ordinaire, comme nous le sommes tous, cherchant au plus profond de lui-même une vérité qui concerne chacun de nous. Oui, il est vrai que Freud n'a pas ouvertement critiqué l'irrésistible montée au pouvoir de Hitler, mais quel intellectuel, fût-il Michel Onfray, pourrait affirmer qu'il aurait trouvé ce courage dans la Vienne de l'époque ? Oui, Freud a analysé sa propre fille, ce qui nous paraît, même à nous autres psychanalystes, inconcevable dans notre pratique d'aujourd'hui. Oui, tout cela est vrai, comme ces quelques succès thérapeutiques surestimés ou ces échecs patents, mais ces errements théoriques et humains suffisent-ils à rendre la psychanalyse caduque ou inefficace ?nimé par sa haine - celle-là même qu'il a légitimement vouée aux hommes d'Eglise qui ont abusé de lui -, Onfray la dirige aujourd'hui vers celui en qui il voit le grand prêtre d'une nouvelle religion et par lequel il estime avoir été abusé. Mais c'est faire injure à tous ceux qui ont traversé l'expérience analytique que de la qualifier d'escroquerie intellectuelle, et ce n'est pas, sous ma plume, le professionnel qui s'exprime ici pour défendre sa pratique, mais bien l'ancien analysant qui, sans cet irremplaçable voyage, serait resté tout au long de sa vie fixé à la position d'enfant inhibé que son histoire familiale lui destinait. Aussi, de la part d'Onfray, participer à cette entreprise de destruction, tenter de détourner ses futurs lecteurs de la richesse clinique que propose la psychanalyse, c'est mal choisir son camp. Pourquoi, par exemple, souligner avec un tel aveuglement l'aspect bourgeois de la psychanalyse ? Pourquoi la présenter comme un luxe réservé aux nantis, quand on sait qu'une majorité de cliniciens travaillent, pour un modeste salaire, dans des dispensaires ou des hôpitaux, avec le précieux outil de la psychanalyse, et cela auprès d'adultes ou d'enfants issus des populations les plus défavorisées ?

et pour finir, oui, Michel Onfray a raison quand il affirme que la psychanalyse ne guérit pas, ce qui est confirmé par le témoignage de tous ceux à qui elle a permis de ne pas mourir avant l'heure, de ne plus être dupes de leur propre histoire, à qui elle a évité la répétition sans fin d'expériences désastreuses, dont elle a levé les empêchements et les inhibitions : en effet Michel Onfray a raison, la psychanalyse ne guérit pas... elle sauve ! Psychanalyste, écrivain.}

Comments (1)

Elisabeth Roudinesco, Julia Kristeva, Roland Gori et bien d'autres se sont chargés mieux que moi de répondre à Michel Onfray.
Le père de la psychanalyse est certes critiquable et tous ses descendants se sont chargés de le critiquer, mais ils l'ont fait, contrairement à Michel Onfray, avec le recul nécessaire à une telle réflexion et à la lumière de leurs pratiques contemporaines et des textes qui n'ont jamais cessé de s'écrire sur les pratiques psychanalytiques. Les analystes en évoquant leur père, comme toutes les personnes ayant fait un détour par le divan, ont été capables de prendre ce qui avait de constructif dans son histoire et dans sa théorie et de laisser le reste aux penseurs en rond ! La clinique psychanalytique d'aujourd'hui repose évidememment sur cette formidable élaboration qu'a été celle de Freud autour de l'inconscient et de l'effet de la parole sur le sujet, mais plus d'un siècle plus tard, il reste bien des choses à remanier au jour le jour, avec chaque nouveau patient et dans les différents lieux de soins où se pratique encore la psychanalyse. C'est pourquoi la psychanalyse reste une science et une technique plutôt en bonne santé quoi qu'en pense M. Onfray !