Michel Onfray, du rire aux larmes

Autres articles de l'auteur

Du suicide des uns aux suicides des autres

Du suicide des uns aux suicides des autres Un vendeur de fruits et légumes tunisien,...

Lire la suite

Michel Onfray, du rire aux larmes.

On peut d'abord rire des 600 pages du « Le Crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne » le dernier livre de Michel Onfray, rire des histoires qu'il raconte à mille lieux de la pratique quotidienne initiée par Freud mais aussi être triste, triste pour ce qui pourrait ressembler à une analyse qui a mal tourné, triste comme on peut l'être pour tout un chacun qui marche à côté de lui-même, qui dérive jusqu'à pouvoir se perdre dans des allégations dont il veut se convaincre, qu'il prend au sérieux pour en faire un point d'ancrage.

Selon le titre même de son livre Onfray viendrait détrôner une idole.

Mais pour qui Freud est-il une idole ? Sinon pour un idolâtre ! Et que nous dit Onfray ? Il nous dit que Marx, Nietzsche et Freud sont ou ont été ses grandes références, ils l’ont aidé à vivre et à penser, il est ou a été Freudo-marxiste, il lit depuis longtemps Freud et il l’a enseigné pendant deux décennies. Est-ce donc l’idole d’Onfray qui tombe et lui avec et qui cherche à se retenir ?

Michel Onfray dit s’être fait déniaiser, mais en quoi a-t’il était niais ? Il se serait fait abuser par Freud ? Il en aurait fait une idole ? On peut comprendre l’énergie qui alors le pousse à dénoncer toutes les perfidies supposées du père de la psychanalyse ?

Ce bouquin a trouvé sa critique historique factuelle, Roudinesco en historienne indique les bourdes, les erreurs, les invraisemblances, mais cette énergie à écrire 600 pages, qui ne peuvent pas être que 600 pages d’erreurs factuelles, il faut bien la puiser à une source bien active.

Quand on regarde ne serait-ce que la quatrième de couverture comment ne pas être frappé par la systématisation de l’exécration à l’endroit de Freud ?

Systématisation qui rejoint celle du « livre noir » le bien nommé, là aussi tout est noir, d’un noirceur absolue, pas un examen critique nuancé, non, tout est à jeter !

Tant la méthode mais surtout l’homme qui s’est décidément mal conduit.

Freud est un ange déchu, il est démasqué, il n’y a plus de raison de l’idolâtrer, au contraire en lui réside un Lucifer de la pensée.

Ce livre serait un travail philosophique inspiré de la méthode Nietzschéenne, mais

Onfray fait la morale, son bouquin dégouline de moraline puiser au bénitier, et ce en invoquant Nietzsche ! C’est là qu’on peut encore rire, on est dans la gaudriole, Freud aurait couché avec sa belle-sœur, quelle horreur ! D’ailleurs on le tient de Jung et puis Sigmund pour aller se coucher il devait passer par la chambre de Tante Mina alors forcément vous comprenez il devait lui sauter dessus au passage ! Bigre, le vilain !

A croire que de ne pouvoir s’affronter au corpus freudien les adversaires de la psychanalyse ont toujours besoin à un moment de regarder par le trou de la serrure à partir du bout de la lorgnette, car qui se préoccupe que Marx ait couché avec sa bonne comme le dernier des propriétaires abusant de la situation ? Mais il n’est pas nécessaire de l’attaquer par ce biais pour le critiquer.

Freud impressionnerait-il tant ses adversaires qu’il faille toujours l’attaquer par de vils procédés ?

Freud était un petit bourgeois conservateur avide de renommée, d’honneur et de réussite… Et alors, alors c’est la preuve, la preuve que l’idole s’effondre ! « Père pourquoi m’as-tu abandonné ? ! » Tu n’es plus tel que je t’ai idéalisé et mon ressentiment n’a de cesse de s’expurger.

Que Freud ait été ainsi humain trop humain, qu’il ait eu ses faiblesses, qu’il chercha la reconnaissance et la gloire et bien tant mieux si cela a été l’aliment de son acharnement au travail, si cela a permis ses découvertes, si cela lui a permis de se laisser enseigner par son expérience, de se laisser enseigner par les associations libres, par une Emmy Von N. qui imposa à Freud de l’écouter et de se taire !

Mais est-ce un doctrinaire rigide et borné qui peut accepter cette position de non savoir ?

Michel Onfray aurait écrit son bouquin où rien de nouveau n'est présenté ( on remarquera qu'à ce sujet Onfray ne dément pas) après avoir été déniaisé par de Mikkel Borch-Jacobsen et par la lecture du Livre noir.

Le principe en est que la psychanalyse n’est que l’expression de la problématique personnelle de Freud. Si la psychanalyse n’était qu’une affaire intime de Freud comment aurait-elle prise cette place dans le monde si elle n’était que l’affaire privée d’une petit bourgeois viennois ? Et comment continuerait-elle à avoir sa place dans le soin et dans la culture ?

Cette critique repose sur l’éternel même postulat, postulat erroné dans son fondement : Freud voulait plier la réalité à sa spéculation intellectuelle ! Donc Freud n’était pas un clinicien.

C’est en permanence le même contre sens, les détracteurs font toujours comme si la psychanalyse était une doctrine ou une théorie appliquée quand elle est une méthode mise en acte dans une pratique, une pratique qui repose sur la règle de l’association libre pour l’analysant et d’abstinence pour l’analyste, le psychanalyste se garde sans cesse de ses propres préjugés théoriques, références idéologiques, morales et sentiments.

Que Freud n’ait pas toujours été à la hauteur des attendus de la psychanalyse, cela ne l’a remet en rien question, chacun fait des erreurs dans sa vie, dans son travail et Freud n’était pas irréprochable n’en déplaise à Michel Onfray.

Sauf à voir la psychanalyse comme ne devant jamais procéder de l’erreur, de l’errance, du remaniement donc être parfaite et être sortie tout droit et telle quelle pour l’éternité du cerveau d’un être supérieur, de l’être supérieur.

Onfray dirait qu’elle est une religion, c’est toujours le même postulat, en attendait-il une révélation ? Onfray ne veut pas savoir que les processus inconscients propres à chacun que met à jour la psychanalyse c’est l’analysant qui les découvre ce n’est pas l’analyste qui les connaît d’avance, il n’est qu’un supposé savoir. La psychanalyse est du côté du désenchantement du monde, elle n’est pas une fable, elle n’apporte aucun secours dans une croyance rédemptrice, elle n’est ni une conception du monde ni une nouvelle morale, elle met chacun face à lui-même, et comme elle n’est pas une conception du monde les vues personnelles de Freud sur la politique sont étrangères à la pratique analytique même si la psychanalyse n’est pas sans pouvoir apporter sa contribution à penser le lien social et les motivations sous-jacentes à l’engagement dans la vie de la cité.

Les critiques adressées à la psychanalyse sont salutaires, et de dire que les cas des cinq psychanalyses n’ont pas été des succès thérapeutiques n’est pas nouveau, Roudinesco, si je ne me trompe pas, ne dit pas autre chose, pour autant Onfray dit que la psychanalyse a des effets salutaires assimilables au placebo mais il ne dit rien de ces 30 % d’effet placebo, si ce n’est que, tel à Lourdes, il n’y a qu’effet de croyance, pourquoi ne pas prendre le temps de considérer ceux pour qui la psychanalyse a, si ce n’est changé la vie, au moins aidé à vivre !

Alors pour Onfray la psychanalyse qu’il considérait avec bonne grâce à travers Freud devient l’objet de tout son ressentiment après Dieu, mais après quel Dieu court Onfray ? A quelle figure veut-il se rattacher qui jamais ne le décevrait ?

Freud est évidement critiquable, il y a à dire de ce que nous enseigne l’évolution de la psychanalyse qui n’est, n’en déplaise à ses détracteurs, pas un bloc figé. Freud a pris sa fille en analyse, la tranche d’analyse d’Anna G. a été tranchée dans un sens qui laisse pantois, mais cela est bien évidemment à considérer dans le contexte d’une époque, à considérer que Freud n’est pas un surhomme mais un chercheur remarquable qui n’a jamais masqué ses tâtonnements, qui a su remettre en question ce qu’il avait élaboré et su être inventif même tardivement (à cinquante-huit ans il introduira le narcissisme ce qui va entraîner des remaniements considérables)

Avec le recul du temps il est aisé de le tancer, dans ces moments d’égarements il n’était pas en position d’analyste, cette position qui peut s’apparenter à une ascèse, quel praticien toujours s’y tient ? Et sur qui Freud pouvait-il s’appuyer pour ne pas errer par moments dans sa pratique ?

Mais il a appris de ses erreurs, il a remis en question ses découvertes et il n’a jamais posé ses avancés comme un système figé et fermé, bien au contraire et toute l’histoire de la psychanalyse suffit à l’attester.

Les détracteurs de la psychanalyse le savent et n’en tiennent aucun compte. Cette position exigeante est-ce là la façon de faire d’un faussaire, d’un truqueur, d’un tricheur ?

Le livre d’Onfray n’est peut-être pas pour l’essentiel une affaire de gros sous malgré sa massive campagne de promotion, mais un cri de désespoir et une tentative de guérison d’une déception, c’est le cri d’un homme qui ne se remet pas de voir son idéal chuté, il y a du dépit dans cette histoire, Onfray s’adresse à Freud et lui dit combien il l’a déçu, combien il n’est pas à la hauteur de son idéalisation.

Onfray a perdu son idole, il n’est plus dupe, on ne la lui fait pas, il rejoint ceux qui, amers, prétendent s’être écarté de Freud, mais qui y restent indéfectiblement collés.