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Laffaire Onfray : Communiqué de Jacques-Alain Miller
Laffaire Onfray : Communiqué de Jacques-Alain Miller
Laffaire Onfray : Communiqué de Jacques-Alain Miller Avril 2010 Se rendre aux commentaires
CommuniquéUn hebdomadaire mavait commandé un texte de 4 000 signes. Je le vois publié tronqué. Je le donne ici complet. JA Miller
La cohorte est longue, des philosophes français inspirés par la psychanalyse. Sartre inventa une psychanalyse dite existentielle, où la mauvaise foi remplaçait linconscient. Ricoeur tira de Lacan une théorie néo-spiritualiste de linterprétation, Althusser une théorie néo-marxiste de la lecture. Foucault embrassa une version néo-heideggerienne de lanalyse avant de célébrer, puis de critiquer, sa version structuraliste. Derrida en nourrit sa « déconstruction ». Deleuze en tira une « schizo-analyse ». Tous, subtils.
M. Michel Onfray ne mange pas de ce pain-là. « Déniaisé », écrit-il, à lécole de ces militants dits révisionnistes qui, depuis vingt ans, donnent de Freud un portrait en sale type qui dupa son monde, il se fait leur émule. Il y va au canon. Mais le boulet, en fait, il le porte à la cheville : cest son postulat de départ, il nen décolle pas. Ce postulat est double : 1) la psychanalyse est une philosophie ; 2) toute philosophie est lautobiographie déguisée de son auteur, une construction faite pour soulager sa « douleur existentielle », « mettre de lordre dans sa vie ». Il sensuit que la psychanalyse est une thérapie à lusage du seul Freud. Elle prétend valoir pour dautres ? extrapolation abusive, imposture. CQFD. Ce canevas délirant est dune logique imparable dès que le postulat est admis.
Sur cette lancée, louvrage prétend reconstituer la vie sexuelle de Freud. On croirait lire le canular de Botul sur Kant. Page 572, lauteur met carrément la main dans la culotte du zouave : relevant que les poches de ses pantalons avaient souvent de gros trous, il subodore aussitôt le masturbateur compulsif. Plus grave : gouverné par un gros complexe ddipe, Freud persuada tout un chacun quil était dans le même cas. Pire encore : il fut mari incestueux, amant incestueux, père incestueux. On sétonne quil ne lui soit pas aussi imputé davoir été pédophile. Conclusion : inceste et onanisme sont les mamelles du freudisme.
La partie épistémologique est non moins expéditive. Les concepts freudiens ? une fantasmagorie, « un cirque », ceci redit mille fois. Louvrage est parsemé de points dexclamation, qui signifient : qui peut croire pareilles sornettes ? Linconscient fait des calembours ! Il est illogique ! Insaisissable ! On ne le voit jamais ! Et Freud qui a le toupet de nous parler de ça ! Et Freud qui se contredit ! M. Onfray, jamais. Il ne se fie, dit-il, quà « la raison raisonnante et raisonnable ». Lhistoire des idées le montre, ce genre de boussole saffole toujours devant la psychanalyse. Faute dadmettre quun réel puisse répondre à dautres principes que la non-contradiction aristotélicienne, on se retrouve vite dans la position dun Monsieur Homais aux prises avec une imbaisable Arlésienne.
Quelques mots suffisent enfin pour expliquer le ressort de limposture : la magie du verbe, lalliance des gredins, la crédulité des dupes. Cest que ce livre puise dans le même trésor didées reçues que toutes les théories conspirationnistes. Il ravira cette famille desprits.
On aimerait croire que « tout ce qui est exagéré est insignifiant ». A lâge médiatique, rien nest moins sûr. La pensée freudienne, qui savance sur des pattes de colombe, délicate, scrupuleuse, attentive au détail le plus menu, se transformant à plaisir pour épouser les méandres de lexpérience clinique, et supposant, comme dit Valéry, « laction de présence des choses absentes », cette pensée ne pouvait que rebuter la masse. Du coup, ses partisans crurent bon de populariser une image de Freud en saint laïque. Cette idéalisation, qui fut surtout le fait des analystes de langue anglaise, ne manqua pas de provoquer des contrecoups agressifs, dont nous avons aujourdhui un remake. Mais ce ne sont pas de tels couplets qui menacent la psychanalyse. Non, cest le succès même de sa méthode. Le sens commun la dilue, toutes sortes de thérapies conversationnelles en dérivent. Entre-temps, la notion se répand que rien nexiste que ce qui est chiffrable.
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