Henri Rey-Flaud

Henri Rey-Flaud : du livre de Michel Onfray

Le dernier ouvrage de Michel Onfray, annoncé à sons de trompe dans certaines revues, constitue l'événement médiatique de la rentrée pascale. Ce livre ne mériterait pas qu'on s'y arrête, s'il ne s'inscrivait pas dans une offensive de longue main menée, au-delà de la psychanalyse, contre la culture et l'intelligence.

Quand on apprend que l'auteur de cet épais libelle se targue avec ingénuité d'avoir lu “tout Freud” (œuvres complètes et correspondance) en cinq mois, on n'est guère étonné de l'acuité de sa lecture et de l'étendue de ses compétences. Faire du texte sur la “psychologie des masses” un manuel avant-coureur des manipulations des foules par les nazis (Freud, précurseur de Goebbels !), c'est ignorer que cette étude, datée de 1921 (douze avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler), s'inscrit dans une tentative de compréhension de la construction et du fonctionnement des individus comme des groupes, qui non seulement rend compte des phénomènes historiques de fascination collective comme le nazisme ou le stalinisme, mais qui éclaire également les débordements des houligans ou les captations sectaires. Prendre au premier degré, comme s'il s'agissait d'un polar ou d'une bande dessinée, le texte terminal sur Moïse, c'est méconnaître que Freud, dans ce qui constitue son testament, remet sur le métier le mythe de Totem et tabou, conçu un quart de siècle plus tôt, pour montrer dans une élaboration géniale que le Père de la Loi (Moïse) doit connaître le même sort que le Père de la non-loi (le Père de la horde). Faute de quoi l'homme tomberait sous le coup de la tyrannie de la Loi. Sur ce principe Freud va alors dégager ce qui constitue le génie du judaïsme, soit une foi pure, référée à la Lettre, distincte du christianisme initié par Paul, qui va marquer l'incarnation de cette Lettre. Il est bien évident que M. Onfray est à des années-lumière de ce type de lecture, car son ouvrage, animé par la haine de la pensée, s'inscrit dans le populisme envahissant, qui marque notre temps de misère.

Sur le constat de la nullité scientifique absolue de ce livre, je ne relèverai pas les ragots obscènes, avancés sans la moindre ombre de preuve, sans la production du moindre document, touchant la soi-disant vie sexuelle secrète de Freud. Ces pages ne sont que la projection d'une histoire personnelle dont on entrevoit toute la déréliction. Plus graves sont les attaques contre la pratique analytique, qui reste aujourd'hui le seul espace où la souffrance humaine puisse se dire. Ce que Freud a en effet introduit (et qui est aujourd'hui en passe de se perdre), c'est une écoute, c'est-à-dire une position d'attente, de patience et de tentative de compréhension de ce qui, sous la grimace du symptôme, ne parvient pas à s'exprimer. Aujourd'hui, foin de toutes ces balivernes : le comportementalisme a destitué l'écoute freudienne et les tocs ont supplanté les subtilités de l'Homme aux rats, décrié par Onfray. C'est au nom de même principe que la méthode ABA, inspiré du dressage animalier, est en passe de faire tomber dans l'oubli l'apport kleinien sur l'autisme, référé aux grands noms de Bettelheim ou de Frances Tustin.

Car c'est bien là la question de fond que suscite le livre de Michel Onfray : en lui-même il n'est rien — rien que le symptôme, redisons-le, des temps qui sont les nôtres, où les follicules ont remplacé les livres et où le scandale est le meilleur facteur de vente. “Sur le Racine mort, le Campistron pullule”, écrivait déjà Boileau.

Henri Rey-Flaud est professeur émérite à l'Université de Montpellier, département de psychanalyse.

Comments (1)

Psychanalyste, je suis choquée mais non surprise de voir encore la psychanalyse traînée dans la boue. Il y a plusieurs protestations de qualité présentes sans la presse et sur le site OEDIPE; c'est une bonne chose et il me semble que cela suffit comme ça: il n'y a pas lieu de parler encore du livre d'Onfray et de lui faire de la pub.Assez!

Fabienne
biégelmann