Sainte colère !

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Sainte colère !

La colère, dit le dicton, est mauvaise conseillère. Elle peut en effet nous pousser, pour nous défaire de la tension qu’elle suscite en nous, à passer à l’action.

Elle peut nous conduire à ignorer les barrières construites pour pacifier notre lien social, et produit dans les couples de très curieux fonctionnements alliant la provocation aux plaisirs de la chair.1

Les politiques savent bien utiliser la colère pour manipuler les populations. Une masse en colère est une masse qui ne réfléchit plus mais qui agit et qui soutient ceux qui en désignant les supposés coupables, légitiment la transgression et la violence que la colère engendre naturellement. La transgression fait naître la culpabilité toujours quelque peu pénible à supporter chez les névrosés que nous sommes. Si par contre une autorité nous en donne l’autorisation, celle-ci se fera moins présente à notre esprit. Dans une démocratie le vote sert le plus souvent d’exutoire à la colère des peuples, c’est même sa fonction ultime, pourtant voter est un acte extrêmement complexe. Faire la part belle à l’impulsivité est un jeu extrêmement dangereux. Pour en limiter les effets, la démocratie met en place des étayages que sont les lois, l’éducation et la formation du citoyen, la liberté de réunion et de circulation, la liberté d’expression notamment des médias etc. La tentation du pouvoir pour manipuler l’opinion est de garder le vote en détruisant les fondements même de la démocratie. C’est ce à quoi nous assistons actuellement et la chasse aux sorcières qui fait de la psychanalyse ce dont il faut débarrasser les institutions un symptôme qu’il n’est guère facile de traiter et qui conduit les psychanalystes du moins certains à se mêler de « faire de la politique » ce qui n’est pas sans risque ;

J’ai senti monter ma colère une première fois en entendant sur les ondes de France Culture Rachida Dati vanter la politique de prévention du gouvernement à l’égard des mineurs délinquants alors que je pouvais constater chaque jour auprès des éducateurs et des psychologues de la Protection Judiciaire de la Jeunesse à quel point cette politique de prévention était battue en brèche au profit d’une politique de répression. Je pouvais constater la diminution des postes de psychologues et l’épuisement de ceux qui les occupent, la saturation et le délabrement des foyers d’accueils pour jeunes délinquants, la fiction des peines de réparation etc.… J’ai ressenti de la colère en apprenant la mise à l’écart de notre collègue Olivier Douville de Paris X et de la fureur en apprenant le vote de la loi sur le maintien en détention des délinquants jugés dangereux et sa rétroactivité réclamée par le chef de l’État en contradiction flagrante avec tout ce qui fait depuis les Lumières le fonctionnement démocratique de notre pays. J’ai été stupéfait et extrêmement inquiet d’apprendre que cette politique était approuvée par plus de 80 % des Français ! La peur, la défense des victimes font semble-t-il perdre la raison à nos concitoyens

Nous entrons, je crois, dans des temps difficiles. Les psychanalystes certes ne seront pas épargnés, mais ils ne seront pas les seuls. Robert Badinter évoque une période noire pour la justice française. André Rouillé décrit de son côté le malaise qui émane du monde de la culture : « Le malaise qui agite le monde de la culture est directement lié aux restrictions budgétaires. Mais il est plus fondamentalement causé par l'avènement de cette situation où la culture est gouvernée par l'économie, où l'activité économique et les mécanismes du marché sont les principes régulateurs dominants de la culture. »

http://www.paris-art.com/art/a_editos/d_edito/tracking_newsHebdo_edito/61/La-culture-a-l-ere-de-la-gouvernementalite-226.html

et les enseignants eux aussi nous disent leurs difficultés que viennent compliquer des ordres dont l'absurdité se révèle au grand jour avec le projet de confier la mémoire d'un enfant juif mort en déportation à des élèves de CM2.

Pour répondre à tous ces défis, les psychanalystes prennent des positions diverses. Les uns rentrent dans leur coquille, d’autres font des pétitions dont le nombre ne cesse de croître, d’autres font circuler des textes par Internet, mais un sujet de scandale chasse l’autre dans une surenchère jamais vue jusqu’à présent et qui n’autorise pas le recul et la sérénité propres à ce type de débat. Entraînées par le tumulte, leurs voix semblent se perdre dans le flot des paroles entendues.

Cette question du rapport des psychanalystes à la politique et au politique était au centre du colloque organisé par Jacques-Alain Miller à la Mutualité les 9 et 10 février. Ce n’est pas la première fois que ce dernier s’empare de la question du rapport de la psychanalyse et du politique. Il en tire une politique de la psychanalyse avec laquelle on pourrait marquer un éventuel désaccord s’il existait en ce domaine une alternative crédible. Or force est de constater que ce n’est pas le cas. Le récent épisode de l’amendement Accoyer a montré les limites de l’action des associations regroupées dans le « Groupe de Contact » car la fréquentation des couloirs des ministères n’a qu’un impact limité si elle ne s’appuie pas sur une mobilisation conséquente.

Colloque à la Mutualité donc. Le lieu ne pouvait laisser indifférent, son organisateur non plus. La mutualité c’est le lieu de tous les combats même si la rénovation dont elle a été l’objet lui donne une modernité quelque peu dérangeante à mes yeux. Quant à Jacques-Alain Miller les sentiments tranchés qu’il provoque sont connus de tous. Ils sont liés à une histoire qui doit aux yeux des jeunes paraître comme le récit de la Guerre de Cent Ans mais qui reste à vif pour ceux qui ont vécu la dissolution de l’École Freudienne de Paris. Pour nombre d’entre eux, siéger à ses côtés relève de la haute trahison. Cette attitude n’a pourtant pas empêché l’École De la Cause Freudienne de se développer et vouloir l’ignorer ne conduit qu’au maintien de divisions dont les raisons échappent au plus grand nombre et en particulier aux jeunes générations. Parmi ces raisons je retiendrai le fait que les membres de feu l’École Freudienne n’ont toujours pas compris et encore moins admis comment ils avaient pu perdre et l’appareil qu’ils avaient patiemment construit et l’héritage de Lacan voir son affection au profit d’un tiers responsable d’un coup d’état dont ils furent les victimes et dont ils peinent encore aujourd’hui à comprendre comment il fut possible.

Lors de cette rencontre, JAM avait comme à son habitude, pris soin d’inviter largement ceux qui pouvaient apporter leur pierre à la dénonciation de la politique d’éviction de la psychanalyse dont il fait l’objet au même titre que les autres dans les lieux notamment universitaires qui abritent les psychanalystes proches de l’Ecole de la Cause Freudienne. Le samedi était consacré aux artistes et aux intellectuels. La présence de Bernard Henri Levy et de Philippe Sollers n’était pas inhabituelle, celle d’artistes comme Orlan l’étaient un peu moins. Le lendemain matin c’est la question de l’Université qui fut posée en présence notamment de Roland Gori et d’Alain Abelhauser tous deux membres du SIUEERPP, syndicat qui regroupe 260 enseignants se réclamant de divers courants de la psychanalyse, mais qui ne parlaient qu’en leur nom. On supputa à la tribune l’action possible de Valérie Pécresse qui dit-on ne voulait pas « que l’on donne de la Ritaline à ses enfants », on fit état de rumeurs donnant Claude Allègre comme son possible successeur. Mais la question d’une politique des psychanalystes à l’Université demeurait la question centrale car même du côté des psychanalystes la division interne rend toute action un peu déterminée extrêmement hypothétique. Deux opinions se sont alors fait jour. La première visant à défendre les psychanalystes à l’Université, la seconde à considérer leur présence comme n’allant pas de soi. Jean-Claude Malleval par exemple en se définissant plutôt comme psychanalyste détaché par occasion à l’Université rejoignait Jacques-Alain Miller qui déclarait de son côté qu’après tout l’Université on pouvait s’en passer, que les grands esprits du siècle n’en avaient pas forcément été partie prenante et que sa fonction réactionnaire se trouvait souvent en contradiction avec l’esprit même de la psychanalyse ; En cela il défendait l’option « libérale » qui est la sienne depuis déjà quelques années. Ce n’était pas celle défendue par Lacan qui a toujours insisté pour affirmer la présence des psychanalystes dans les lieux institutionnels avec à l’Université les déboires que l’on sait pour simplement pouvoir y tenir son séminaire.

En mettant en place progressivement ces lieux d’accueils cliniques qui ne fonctionnent que sur des fonds privés, JAM situe son action chaque jour davantage hors des institutions (Université, lieux de soins etc.) en s’appuyant sur les associations de psychanalyses plutôt que sur les structures sous tutelle de l’administration. S’interrogeant sur le lien avec la jeunesse qui se trouverait tranché par le fait de quitter l’Université il s’est montré confiant sur sa capacité à entraîner les jeunes dans son sillage. C’est sans doute faire peu de cas de ce qu’une telle situation pourrait avoir comme conséquences notamment en ce qui concerne les liens avec les universités étrangères, celles incalculables sur la formation de secteurs entiers aujourd’hui à l’écoute du message transmis par les psychanalystes, les conflits inévitables avec de jeunes psychologues formés aux seules méthodes comportementalistes. On ne s’incline pas face à l’adversaire sans combattre pied à pied pour garder le terrain chèrement conquis. Envisager trop tôt l’avenir c’est déjà reculer avant de combattre. Espérons seulement qu’un jour prochain nous ne soyons pas conduits à faire de nécessité vertu.

  • 1.

    Gérard Pommier « Du bon usage érotique de la colère et quelques unes de ses conséquences… »

    Gérard Pommier Aubier 1994 La psychanalyse prise au mot.

Comments (1)

Je voudrais remercier M. Le Vaguerèse pour ce document-témoignage d'une période de l'histoire de la culture française que le gouvernement Sarkozy a permis d'exprimer. D'autre part le gouvernement Sarkosy a permis au Français mais surtout aux journalistes de France Télévision de se décomplexer par rapport à une culture des chiffres et du résultat qui les aveugle et qui les empêche de comprendre les projets du gouvernement actuel. Le président Hollande et le gouvernement on du mal à communiquer un quelconque projet du moment où ce que l'on cherche c'est du sens; une place pour l'avenir du sujet humain en France comme ailleurs.
La psychanalyse a de quoi nourrir le débat, je le pense sincèrement.

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