Petit compte rendu du colloque - les États Généraux de la Psychanalyse

PETIT COMPTE RENDU DU COLLOQUE

Les États Généraux de la Psychanalyse

Sonia Alberti - Rio de Janeiro

Traduction : H. Roudier et C. Hernandez

Sonia Alberti est psychanalyste, professeur à l`Université de l`Etat de Rio de Janeiro et directrice de l`Association des Forums du Champ Lacanien au Brésil. e-mail: alberti@uerj.br

J'ai participé à ce colloque à deux titres : en y donnant un texte (le travail que j`ai présenté se trouve sur le réseau, sous le thème 4: "Le rapport de la psychanalyse au social et au politique" et s`intitule: "Le discours du capitaliste et le malaise dans la culture"), et en y assistant personnellement. J'ai pu prendre quelques notes pendant ces quatre jours que j'ai rassemblées afin de les faire circuler dans le réseau des États Généraux de la Psychanalyse. Malgré ses manques et ses défauts, ce modeste compte rendu pourra peut-être aider tous ceux qui cherchent à reconstituer ce qui s'est dit dans ces journées. Toutes les observations allant dans ce sens seront les bienvenues et je vous en remercie. Je remercie aussi la Capes et l`Université de l'État de Rio de Janeiro d`avoir rendu possible ma participation au Colloque.

Le texte qui est fondé sur mes notes, est divisé en trois parties :

  1. Introduction
  2. Déroulement du colloque
  3. Conclusions personnelles.

1. Introduction

Réunis à partir d'une initiative géniale du psychanalyste français René Major, ayant comme ambassadrice internationale Elisabeth Roudinesco, les États Généraux de la Psychanalyse ont été préparés pendant deux ans. L'objectif principal était de " permettre à tous ceux qui le désirent, d'exprimer leurs opinions sur les questions de la psychanalyse dans le XXI-ème siècle ". Pour cela, un site était crée sur Internet (convergences@convergences.fr). Visité très régulièrement avant le Colloque, il a été interrogé plus de huit mille fois par jour pendant celui-ci, selon les organisateurs. Deux cent textes ont été envoyés sur le site pour être discutés pendant le Colloque.

D'une façon générale, ce colloque fut un événement dans l'histoire de la psychanalyse. Le Brésil était bien représenté, avec deux cent dix psychanalystes. Dans son allocution inaugurale Elisabeth Roudinesco évoquait celui-ci en observant, entre autres, cette particularité des psychanalystes brésiliens de participer à la vie universitaire de leur pays, ce qui n'est pas le cas en général, sauf en France. Elle soulignait ainsi qu'au Brésil on mène un travail sérieux sur la psychanalyse dans les Instituts universitaires de psychologie où de nombreux psychanalystes appartiennent au corps enseignant. Cet aspect des choses devait revenir plusieurs fois pendant les discussions. Je suis intervenue moi-même à ce sujet car j'estime important de mettre en question ce que proposait un collègue nord-américain : l'identification de l'analyste avec le maître. Exerçant la psychanalyse dans mon cabinet mais l'enseignant également à l'université, je fais partie des personnes auxquelles faisait allusion Elisabeth Roudinesco. La question de la transmission de la psychanalyse m'accompagne depuis longtemps puisque d'une certaine manière, je transmets quelque chose de la psychanalyse dans l'université. Or, que ce soit à l'université ou ailleurs, l'on ne peut transmettre quelque chose de la psychanalyse que si l'on ne prend pas la place du maître. Et cela trouve sa justification dans la théorisation qu'en fait Jacques Lacan quand il dit que celui qui enseigne le fait, nécessairement, de la place du sujet, dans le discours de l'hystérique. Cette intervention devait être reprise lors de la conclusion des travaux de cette matinée par un collègue brésilien, Daniel Kupermann. Celui-ci, qui enseigne également la psychanalyse, soulignait l'importance d'approfondir cette question afin de pouvoir répondre, sur la base de notre expérience, aux critiques qui se font encore à l'enseignement de la psychanalyse à l'université (critiques qui ne sont pas toujours sans fondement). Comme nous le verrons plus tard, le débat à ce sujet est très riche et ne fait que commencer.

Plusieurs interventions ont soulevé la difficulté d'obtenir d'une manière générale une aide financière pour l'enseignement de la psychanalyse à l'université, et plusieurs collègues ont souligné l'intérêt d'une action conjointe afin de mobiliser les psychanalystes du monde entier dans ce sens.

J'estime que ce Colloque a été un événement parce que, pour la première fois, à une aussi grande échelle, des psychanalystes se sont réunis dans le même lieu, indépendamment de leurs formations, de leurs transferts, de leurs filiations institutionnelles et de leurs écoles. L'on pouvait y croiser aussi bien un psychanalyste qui disait analyser des patients dans son cabinet comme dans le laboratoire expérimental d'une université américaine, qu'un psychanalyste jungien qui se disait être en minorité dans ce colloque, des psychanalystes formés par l'IPA aussi bien que des psychanalystes lacaniens, ou encore un psychanalyste qui, à la fin de la première journée de travail, observait que notre problème résidait dans le fait que les États Généraux de la Psychanalyse étaient basés sur un refoulement : celui de la personne de Lacan (sic).

À la fin de la première journée, l'impression que l'on retirait de ces États Généraux, était assez inquiétante. Je veux dire qu'il était possible de voir cette première journée comme une grande tour de Babel : tous parlaient des langues différentes. Le matin suivant, cette impression demeurait encore lorsque l'on abordait le thème Transmission de la psychanalyse. Mais à mesure que les discussions avançaient, que les rencontres se multipliaient et que les analystes intervenaient, cette première impression se dissipait : il apparaissait de plus en plus clairement que les États Généraux de la Psychanalyse se posaient avant tout comme un acte public face au totalitarisme institutionnel et social contre lequel la psychanalyse a du se battre pendant son premier siècle d'existence. Évoquons en passant à ce sujet les critiques adressées aux organisateurs du Colloque sur le fait que les portes n'ont pas été ouvertes aux étudiants qui auraient pu occuper les places restées vides dans les galeries de l'amphithéâtre, fort beau par ailleurs.

Ainsi, des psychanalystes expérimentés, forts de leur histoire, ont contribué à un acte politique, en s'exprimant publiquement, en tant que citoyens d'un monde dans lequel le psychanalyste prend une position politique, en s'affirmant du coté de la démocratie. De Anne-Lise Stern, rapportant son expérience de psychanalyste dans un camp de concentration nazi, où le fait de parler de Sigmund Freud pouvait provoquer des rêves qui ont peut-être permis à quelques-uns de survivre à l'holocauste ; en passant par Helena Bessermann-Vianna lisant sa lettre de démission de l'IPA, et témoignant ainsi des choix arbitraires de cette institution psychanalytique pendant la dernière dictature subie par le peuple brésilien, jusqu'à l'approbation finale unanime de continuer à publier sur Internet, les États Généraux de la Psychanalyse ont démontré que la psychanalyse, inaugurée par Sigmund Freud, en est seulement à ses commencements. Ils ont laissé entrevoir qu'au XXI-ème siècle les psychanalystes pourraient être présents dans ces moments où le malaise dans la culture plonge l'homme dans une angoisse profonde.

Avant, pendant et après le Colloque, les journaux les plus importants de plusieurs pays ont rendu compte des États Généraux. En premier lieu Le Monde qui a suscité un débat sur la psychanalyse pendant dix jours. À Rio de Janeiro, le Jornal do Brasil et le Globo ont également rendu compte du Colloque.

Vu le nombre de psychanalystes présents, les interventions n'ont pas pu être très longues et les organisateurs ont du intervenir pour que la parole soit donnée à ceux qui la demandaient pour la première fois.

Comme ce fût le cas pendant les États Généraux de 1789, les interventions pouvaient provoquer des applaudissements, des ovations ou des huées. De fait, les États Généraux de la Psychanalyse ont engagé dans la psychanalyse une prise de position politique dont personne, parmi les participants ne serait être exempté.

Pour en terminer avec cette introduction, il est nécessaire de dire que cette prise de position politique suppose également un choix du sujet par rapport aux institutions auxquelles il est affilié : le fait de participer aux États Généraux de la Psychanalyse ne le dispense pas de prendre en charge sa formation continue ; à ce propos plusieurs participants ont réaffirmé l'importance des associations psychanalytiques dans lesquelles le psychanalyste peut échanger avec ses pairs. Les États Généraux de la Psychanalyse instituent un lieu où, indépendamment des choix particuliers, les barrières entre écoles et institutions de formation ne peuvent empêcher la création d'une communauté psychanalytique internationale. Les États Généraux jouent ainsi un rôle définitif dans le mouvement pour le renforcement de la psychanalyse et sa présence dans le XXI-ème siècle.

2. Déroulement

Matinée du samedi, 8 juillet 2000. Ouverture

La matinée s'ouvrait avec l'intervention de Michèle Gendreau-Massaloux, Recteur de l'Agence Universitaire de la Francophonie. Elle devait attirer l'attention sur la traduction faite par Derrida en 1967, du concept "aufheben" par "relève". Elle mettait ainsi en évidence aussi bien la mise en relève que la référence, en insérant le thème du Colloque dans le contexte du savoir occidental et de son traitement épistémique et en évoquant à l'avance la conférence de Jacques Derrida. René Major prenait ensuite la parole pour faire le point entre cette intervention et la fonction du psychanalyste ; le traducteur et le psychanalyste font la preuve de ce qui est étranger : " Si l'objet de la psychanalyse est l'impossible, le défi auquel le psychanalyste a affaire est celui de renouveler quotidiennement sa langue, dans le contre-courant de ce qui fixe le sens, ce qui veut dire, sa propre détermination inconsciente. Cela arrive lorsque l'analysant va voir un analyste, ce qui nécessairement doit se faire en dehors de l'université ". Il proposait ainsi une orientation à ce Colloque : penser la place de la psychanalyse dans le monde suppose une prise de position contre la ségrégation et la violence qui, étrangères aux lois qui donnent sens, peuvent être traitées par le psychanalyste à partir de ce qu'il sait de la psyché.

Traitement proposé ici à partir de ce cadre des États Généraux qui, il y a deux cent ans, le 9 juillet 1789 promulguaient l'Assemblé Nationale comme constituante en France, et soulignaient l'absence de privilèges à l'exception de celui qui attribue à chacun le droit de participer à la réflexion et à la préparation de l'événement.

Venait ensuite le tour d'Elisabeth Roudinesco de saluer les participants. Elle devait observer qu'aujourd'hui la psychanalyse est instituée dans trente deux pays, dans des groupes ou des sociétés ; qu'il y a quarante et un pays dans le monde où la psychanalyse est exercée et qu'il y au total trente mille psychanalystes pratiquants, ce qui en cent ans d'existence n'est pas peu de chose. La psychanalyse est devenue un phénomène urbain, dans un contexte qui juxtapose un mode de vie tribale et la solitude de l'homme. Elisabeth Roudinesco reprend les propos de René Major pour dire que la psychanalyse est et a toujours été contre toutes les formes de fascisme, de violence, de haine de soi et des autres. Il n'y a pas une Internationale mais plusieurs Internationales, toujours en mutation, au contraire de ce que voudrait imposer par exemple l'IPA, qui a vécu depuis les années vingt plusieurs scissions. Celles-ci n'ont pas cessé d'associer la psychanalyse au décentrement du sujet et à la perte de maîtrise. En même temps, au cours de cette histoire de cent ans, plusieurs critiques ont émergé pour exiger des psychanalystes de préciser la place de la psychanalyse dans le monde. Ces critiques sont allées de la critique à un pansexualisme dans la première partie du XX-ème siècle, à la critique d'une absence de scientificité, en passant par la critique que la psychanalyse supposerait un retour à l'humanisme.

Sans vouloir donner de réponse définitive, Élisabeth Roudinesco posait des questions en vue des discussions que cette matinée inaugurale ouvrait. Au Brésil la psychanalyse a sa place dans les instituts de psychologie ; quelle place cela suppose-t-il pour la transmission ? Comment construire un savoir clinique à partir d'une pratique qui ne se fait pas nécessairement sur le divan, sans abandonner les définitions freudiennes ? L'homosexualité est-elle une perversion ? Quel statut pour l'enfant dans les nouvelles organisations familiales, par exemple dans les couples homosexuels ? Quel avenir pour la psychanalyse dans les pays où elle commence à s'installer après la chute du communisme ? La psychanalyse s'exporte-t-elle en tant que dogme, en tant que clinique ?

Ces interventions furent longuement applaudies ; tous reconnaissaient le travail de ces deux psychanalystes qui ont œuvré jusqu'au bout à la réalisation de ce Colloque. Ensuite, quelques collègues sont intervenus.

Gilda Sabsay, (Argentine), a réaffirmé que les conditions de l'exercice de la psychanalyse sont l'éthique et le transfert et que dans cet exercice il n'y aucune façon d'éviter le Charybde et le Scylla de la psychanalyse, autrement dit le transfert et la sexualité. Il y a des façons perverses d'empêcher la psychanalyse, plus subtiles que la simple interdiction de sa pratique. Parmi celles-ci se trouvent les pratiques psychothérapeutiques qui, au contraire de la psychanalyse, et dans un miroir déformant, évoquent les démons mais les renvoient avant de les élaborer (référence ici à la phrase de Freud qui fait de la psychanalyse une exigence éthique dans laquelle " nous ne pouvons pas évoquer les démons et les renvoyer avant de les avoir élaborés ").

Maria Cristina Magalhães (Sao Paulo), qui a travaillé à la confection de la page brésilienne sur Internet, observe que " la psychanalyse commence à parler brésilien " puisque la convocation de René Major a été largement entendue au Brésil ; cela montre que les psychanalystes brésiliens sont en train de se l'approprier.

Mais les États Généraux ne comptaient pas seulement des latino-américains. Il y avait aussi des nord-américains. On aura l'occasion, dans ce compte rendu, de revenir à eux. Pour le moment je veux parler de l'intervention de Warren Poland qui, en cherchant une référence linguistique, a identifié Shakespeare à l'analyste originel, c'est-à-dire à celui qui a permis à ses personnages de s'entendre eux-mêmes (they overheard themselves). Pour Poland, la psychanalyse serait une expérience dans laquelle le sujet est en face de lui-même et des autres, et dans laquelle le psychanalyste exerce en tant que témoin. Mais cette expérience ne se fait pas en dehors du monde : au contraire: le monde change la psychanalyse et la psychanalyse change le monde (" the world changes analysis and analysis changes the world) ". Poland reprend alors rapidement l'histoire de la psychanalyse aux États Unis, et traite de fasciste le comportement de l'APA (American Psychoanalytical Association) en conflit constant avec la New Yorkean Psychoanalytical Society. Il observe qu'il existe deux tendances : l'une, qui représente l'establishment, l'autre, le mouvement de la psychanalyse. Il considère que la seconde est celle qui l'emporte aujourd'hui dans ce conflit, en ajoutant que les personnes ne cherchent pas aujourd'hui à exercer la psychanalyse pour de l'argent (comme cela semble avoir été le cas dans les décennies antérieures) ; mais ce sont des gens venus de la philosophie, de la psychologie ou de la littérature qui cherchent une formation lorsqu'ils se tournent vers la psychanalyse (" they don't come for money but for psychoanalysis "). Il suggère qu'aux États Unis, l'on vivrait actuellement une période particulière de changements ; il n'y a plus un afflux excessif de patients comme c'était le cas dans les années 1950-60, et il existe un véritable souci de rendre la psychanalyse plus accessible à tous les points de vue.

[D'ailleurs, la question de la recrudescence de la clientèle et des prix des séances est revenue souvent dans les interventions du Colloque. Cela montre d'un côté qu'il s'agit d'un phénomène universel et, de l'autre côté que certains psychanalystes ont encore beaucoup de mal à s'adapter aux nouvelles conditions de la demande dans notre clinique.]
(J`ai introduit ici et tout au long de ce qui suit, les remarques qui me sont propres entre crochets : [...])

Pour Per Magnus Johansson (Suède), les questions sont tout autres en Scandinavie : la question principale aujourd'hui tourne autour du mouvement des psychanalystes pour être reconnus par l'état puisque tout traitement, en Scandinavie, est remboursé par la sécurité sociale. Il existe des résistances énormes à cette reconnaissance. L'on a aussi essayé d'inscrire la psychanalyse dans les universités mais il existe encore beaucoup d'obstacles. Il conclut son intervention en disant que les psychanalystes sont eux-mêmes responsables de cet état des choses car ils n'ont pas fait le nécessaire pour s'imposer effectivement. Il pose une question aux États Généraux : avec un gouvernement qui contrôle tout ce qui est de l'ordre de la santé, comment faire pour que la psychanalyse puisse s'imposer ?

Du pays d'accueil de ce Colloque, deux voix se font entendre : celle de Juan-David Nasio et celle de Michel Plon. Encore une fois il est devenu clair que la psychanalyse doit assumer sa fonction politique. Selon Nasio, c'est la seule discipline qui réunit les conditions nécessaires pour s'opposer à la barbarie. Il reprend le discours d'Elisabeth Roudinesco pour réaffirmer, à partir de Totem et tabou (Freud, 1912), que la fonction paternelle est un outil qui permet à la psychanalyse de s'exercer contre la haine première. Chaque psychanalyste est responsable du cours de l'histoire, car il n'y a pas de fatalité de l'histoire : elle sera ce que nous voulons qu'elle soit. Nasio conclut en disant que l'impératif de la psychanalyse vient d'une voix qui émane du plus intime de l'être et qui détermine le sujet : sois ce que tu dois être, sois l'être de ton désir et assume ta culpabilité (sic) dans un contexte déterminé par un surmoi éminemment éthique.

Michel Plon, à son tour, reprend l'histoire des États Généraux qui ont précédé la Révolution française et des résistances qui se sont par la suite mobilisées contre ses aspects révolutionnaires. Il demande aux psychanalystes de veiller à ce que les mêmes résistances n'arrivent pas à vaincre ce moment également révolutionnaire qui les a réunis aujourd'hui.

Le débat a continué avec d'autres interventions, les unes marquées par l'impatience, parfois par un ton de dénonciation, les autres se présentant comme des témoignages, des comptes rendus d'histoires et d'expériences. C'est le cas, par exemple, de l'intervention de Fethi Benslama, qui disait venir d'un pays, la Tunisie, qui n'est pas psychanalytique mais où cependant des personnes exercent la psychanalyse et qui essayent de se rassembler.

Peu d'interventions, lors du premier débat qui a suivi, ont cherché à faire une synthèse des divers points soulevés. Cet exercice a finalement échu à un brésilien qui a repris le propos de Maria Cristina Magalhães selon laquelle au Brésil, aujourd'hui, la psychanalyse commence à parler brésilien, ce qui lui permet d'avoir une place dans le monde. Il s'agit de l'intervention d'Antonio Quinet qui s'interrogeait sur la pertinence d'un propos affirmant qu'un pays est psychanalytique ou non comme celui que venait de tenir Fethi Benslama. Mieux valait nous demander, jusqu'à quel point la psychanalyse elle-même n'est pas, par excellence, polygéographique, polyphonique et polyglotte. Cette intervention devait réorienter la fin de la première séance vers ce qui avait été dit dès le début et qui, tel un fil d'Ariane, allait tisser le thème des quatre jours suivants : à savoir que la psychanalyse ne s'exerce pas sous le totalitarisme et qu'elle ne peut s'inscrire que dans la pluralité, la différence et la singularité, même si elle a toujours besoin, comme l'avaient dit René Major et Elisabeth Roudinesco, d'institutions fondatrices dans lesquelles il est possible de la transmettre.

Après-midi du samedi 8 juillet 2000 : La clinique psychanalytique.

Peut-être le moment le plus polémique du Colloque. Il devait dévoiler la variété des interprétations qui existent actuellement dans la clinique inaugurée par Sigmund Freud.

Pierre Fedida commence par observer l'importance de la psychanalyse aujourd'hui quand la clinique médicale est en train de sombrer devant les travaux de laboratoires de plus en plus soutenus par le discours scientifique. Si la psychanalyse n'est pas exclusivement clinique, la clinique fait partie intégrante de la psychanalyse. Et qui dit clinique, dit une pratique, très large déjà avec Ferenczi, (Fedida fait une référence explicite au texte L'élasticité dans la technique de Sandor Ferenczi).

[Venu des lectures des travaux envoyés sur Internet, bien des fils conducteurs auraient pu servir dans une discussion ultérieure. Mais faute de direction, le débat est resté en deçà de ce qu'il aurait pu être. Á la fin des travaux de cette journée, les organisateurs eux-mêmes le reconnaissaient et proposaient, pour les jours suivants, que les discussions soient un peu plus dirigées. J'ai élaboré ce qui suit, un peu comme dans une association libre, à partir des souvenirs de ce samedi.]

Alain Vanier (France), lecteur des travaux de cette séance, relève quelques thèmes dominants. Que ce soit au nom d'une expérience singulière, ou bien au regard d'une référence psychiatrique, chaque auteur, avec son style, a présenté un cas clinique pour témoigner de son travail analytique. Mais en tout état de cause, la lecture de ces travaux permet à Vanier d'affirmer que la clinique est aussi un champ politique, où la psychanalyse s'exerce à partir de ses références. Celles-ci se distinguant dans la plupart des cas de celles de la psychothérapie, ce que Vanier explicite ainsi : si la psychanalyse implique le deuil de l'objet, les psychothérapies condamnent les objets, ce qui, face au malaise de la civilisation, est encore différent d'autres pratiques, comme par exemple l'usage de la drogue, où l'objet est supposé combler le manque.

Miguel Calmon, (Rio de Janeiro), présente ensuite un travail dans lequel il articule la clinique à la théorie métapsychologique de Freud pour dégager la ligne directrice de ce qu'il avait lu dans les travaux cliniques envoyés aux États Généraux : à savoir que la psychanalyse en tant que théorie dirige l'exercice même de sa pratique.

Dans le souci de vérifier les références théoriques des travaux cliniques qu'il a lus, Avenburg montre l'importance du concept du transfert, concept qui attribue une spécificité à la clinique psychanalytique face à la clinique médicale. Néanmoins, il observe également l'existence d'une tendance à rapprocher la psychanalyse des sciences humaines ou de la biologie.

À la différence de ces lecteurs, Jorgelina Rodriguez O'Connor (Espagne), s'est plus occupée des travaux qui témoignaient de la clinique des psychoses. Y a-t-il un désir de l'analyste dans la psychose ? Comment opère le psychanalyste devant la psychose ? Elle suggère que, selon l'un ou l'autre texte, la tactique de l'analyste devant la psychose serait fondée sur la reconstruction au lieu de l'interprétation.

Des discussions qui ont suivi, il vaut la peine de retenir quelques points, pour la variété des positions, souvent même contradictoires (Malheureusement je n`ai pas pu retenir la plupart des noms des collègues, exception faite des brésiliens dont le nom m'était plus familier. Tous les intervenants se sont présentés eux-mêmes, au moment de prendre la parole) :

  • La clinique est la seule chose qui peut être transmise entre psychanalystes.
  • Les moyens d'intervention diffèrent selon que le psychanalyste est un homme ou une femme.
  • La clinique psychanalytique est avant tout un travail. Si la psychanalyse relève de ce travail, elle va au-delà - observation du brésilien Luis Augusto Celes.
  • Les psychanalystes s'interrogent encore, comme le montre la clinique, sur le fait que le problème n'est pas dans ce que le patient dit. Vu qu'il n'y a pas de réponse à cela, on en arrive à la conclusion que ce que nous faisons dans la clinique avec notre patient est un apprentissage mutuel.
  • S'opposant au premier intervenant, quelqu'un affirme : " La clinique psychanalytique n'est pas transmissible parce qu'elle met en scène seulement deux personnes. Cela serait résoudre la quadrature du cercle. "
  • Un collègue grec s'est alors exclamé : " ce qui arrive ici c'est qu'il y a du refoulé parmi nous, ce qui nous sommes en train de refouler c'est que Lacan a réinventé la clinique (What is repressed here is Lacan who reinvented) ".
  • Enfin, pour ajouter encore au concept de clinique psychanalytique, un autre collègue, s'est exclamé : " L'analyse n'existe-t-elle qu'entre deux personnes ? N'existe-t-il pas une analyse de groupe ? Une analyse familiale ? Une analyse des institutions ? "

Ce résumé ne fait que mettre en évidence le sentiment des participants à la fin de cette séance : arriverons à nous comprendre pendant les trois jours qui suivront ? Sentiment qui fut fort bien exprimé par un collègue à la fin de la discussion : " Est-ce qu'il est évident de dire "nous, psychanalystes", est ce que l'on entend tous ici la même chose lorsque l'on se dit "psychanalyste"? "

Pour détendre l'atmosphère inquiète qui régnait à la fin de cette première journée de travail, un cocktail était servi au premier étage de l'auditorium ; joyeuse occasion de se revoir entre des collègues que leurs appartenances institutionnelles, leurs vies et leurs travaux ont longtemps empêchés de se rencontrer

Matinée du dimanche 9 juillet 2000 : La transmission de la psychanalyse

Pendant cette séance, c'est certainement le compte-rendu d'Eric Porge (France) qui a le mieux exprimé les travaux envoyés au Colloque. Je rappelle que la fonction de "lecteur" était de souligner les points qui pourraient orienter la discussion à partir des textes envoyés via Internet.

La séance commence avec la conférence d'Howard Shevrin (USA), dont les propos ne peuvent pas ne pas être associés à la psychanalyse américaine, c'est-à-dire une psychanalyse au service des idéaux américains. De plus, il explique que la transmission de la psychanalyse, c'est-à-dire le rapport didacticien/candidat doit être pensé sur le modèle du rapport maître-disciple. Il se dit convaincu qu'il est nécessaire de faire une place à la science dans la formation psychanalytique. Pour lui, la science est fondée sur un savoir cumulé que dans son expérience, il développe aussi bien dans son laboratoire qu'en tant que psychanalyste clinicien. D'un côté la science, de l'autre, la psychanalyse comme Geisteswissenschaft (sic) ; le psychanalyste est associé à ces deux champs. Il en arrive ainsi à dire qu'il pratique l'analyse aussi bien dans son cabinet que dans son laboratoire.

L'objectif de l'analyse didactique serait de libérer le candidat-analyste de ses préjugés névrotiques qui pourraient surgir dans le contre-transfert. C'est cela qui demanderait la mise en œuvre de la méthode scientifique, vitale pour l'exercice de la psychanalyse. Il n'est donné à aucun physicien de passer ainsi par la déconstruction de ses préjugés ! C'est pourquoi, en fin de compte, l'apprentissage en psychanalyse se fait par modelage (sic). Les candidats n'ont pas besoin d'étudier la psychanalyse à fond puisque, comme le dit H.Shevrin, il y a très peu de vrais auteurs dans la psychanalyse ; seul un analyste exceptionnel publie quelque chose. Les analystes américains ne publient presque jamais. Ils passent par un processus de transmission des connaissances qui emprunte les étapes suivantes :

  • Transmission culturelle de la pharmacopée ; il s'agit d'un savoir cumulé ; c'est l même chose dans les laboratoires des États Unis.
  • Rapport entre sexe et reproduction [je n'ai pas pu comprendre ce point mieux que cela]
  • Comme fait le maître avec ses samurais, l'on enseigne les méthodes qui permettent la fabrication d'une belle épée (sic).
  • Informations au travers d'exemples.

Ce qui compte, dans la transmission vue de cette manière, est la chance d'avoir eu un bon maître - ou un bon analyste didacticien, ou un bon professeur, [tout cela revient au même] - et l'expérience de chacun.

La psychanalyse didactique serait alors équivalente à un post-grade, acquis avec les meilleurs maîtres. Ainsi une partie des analystes devrait être formée à devenir simplement des éducateurs et l'autre formée à l'évaluation de chaque analyse. La question porte tant au niveau de la science de base qu'à celui de la science appliquée. La création d'un corps de scientifiques est vitale. De plus, il faudrait introduire le candidat à des champs voisins de la psychanalyse - les humanités, la philosophie et l'art - afin qu'il puisse produire ses propres idées. L'activité clinique est un jeu et plusieurs énoncés de la psychanalyse peuvent être soumis à la recherche en dehors de la clinique. Shevrin est d'opinion que toute étude clinique s'appuie sur la théorie générale de l'esprit (mind). Historiquement, le pouvoir du drive (sic), du subconscient (sic), est déjà dans Schoppenhauer et Nietzsche. Il trouve que cela a sa place dans la formation scientifique.

C'est Daniel Kupermann (Brésil) qui organise la discussion avec Claude Lévesque (Canada.) Et il passe la parole à Adolfo Benjamin (Argentine). Celui-ci observe, avec beaucoup de justesse, que l'on ne pense pas de la même manière selon que l'on parle anglais, français, allemand et que, par conséquent , la transmission prend en compte chaque langue particulière. Il rappelle que le mot trieb contient quelque chose qui ne peut pas être transmis dans une autre langue. Il ajoute qu'il y a de la transmission psychanalytique en extension et en intention. Cela se vérifie dans la thérapie, la métapsychologie et dans la théorie critique de la culture. Toute transmission est liée au transfert.

Il y a une pratique psychanalytique. L'on met sous ce terme tellement de choses qu'il est difficile de comprendre comment nous sommes tous ensemble ici . Il fait référence explicite aux travaux de Philippe Julien et de Joël Birman en faisant remarquer que cela seul mériterait une journée de discussions. Il observe que sa lecture le conduirait à la conclusion suivante : la transmission en psychanalyse produit nécessairement un changement subjectif et si le sujet sort de l'analyse comme il y est entré c'est qu'il n'y a pas eu de transmission. Quant au transfert, l'on vérifie qu'il exige un petit nombre de participants et une certaine intimité sans laquelle la transmission ne se fait pas. D'où, pour qu'il y ait transmission, il faut un petit groupe et non pas seulement un espace académique, ou un espace analogue à celui de la transmission chamanique.

Il termine son exposé en disant que la transmission dans la psychanalyse va au-delà de la transmission du savoir. Il s'y transmet ce que l'on ne savait pas. Cela nous évite d'être le clone de celui dont recevons la transmission. Nous sommes différents de ceux qui nous précèdent étant donné que " la transmission est l'acte fondateur du sujet psychanalytique ".

Les observations d'Éric Porge vont dans le même sens, Il commence en disant que la plupart des textes sur la transmission sont dus à des auteurs français et qu'il s'y trouve des malentendus inhérents à la transmission elle-même. Il y a la transmission EN psychanalyse et la transmission DE la psychanalyse. La première, la psychanalyse en intention, relève de la cure, dans le rapport du sujet avec l'inconscient ; la seconde, la psychanalyse en extension, relève de l'espace institutionnel, des congrès, de l'écrit, etc. On distingue ainsi la transmission d'un savoir à d'autres en vue de leur enseigner une doctrine et la transmission dans la cure. La transmission de la psychanalyse est diachronique d'une génération à l'autre, mais ce n'est pas le cas de la transmission en psychanalyse. Des textes lus, plusieurs témoignent de ce que la psychanalyse a pu apporter à l'auteur.

La transmission serait surdéterminée par les lois du marché et par les processus sociaux. Par exemple, dans les universités l'on ne dit rien sur les contrats avec les clients [N. d T : S'agit-il de la recherche de nouveaux patients ? Le texte n'est pas clair]; l'on fait souvent silence sur les processus historiques, tels les disparitions au Chili ou en Argentine, ou encore la Shoah.

Il introduit alors la question du rapport de la transmission avec le réel. Il s'appuie sur le fait qu'instituer une filiation analytique revient à nier l'analyse, en tant qu'elle est fondée sur le transfert et à entrer dans un processus de biologisation. Des exemples de cet échec du rapport de la transmission au réel seraient Anna Freud et Jacques Alain Miller.

Toujours dans le même contexte, il évalue :

  • la passe, qui produit des formations de l'inconscient dans l'après coup et suppose la réinvention infinie de la psychanalyse ;
  • le transfert comme inanalysable ;
  • l'expérience que le sujet fait de sa propre division ;
  • et, finalement, le Witz.

Katzushige Shingu (Japon), et Francis Hofstein (France), ajoutent respectivement: que l'analyste travaille avec l'analysant et que Freud observait déjà que sans analysant il n'y a pas d'analyste. Le manque d'analysants n'empêche pas la transmission de la psychanalyse dans l'université mais rend impossible la cure.

Francis Hofstein s'arrête à l'expérience de Freud qui recherchait la divulgation de ses thèses. Aujourd'hui il n'est plus possible de suivre tout ce qui se publie en psychanalyse. Il compare l'œuvre de Freud au Talmud, faisant entendre ainsi qu'il est nécessaire de former des analystes qui sachent lire et scander le texte freudien. Chaque analyste est forcé de réinventer la psychanalyse. La vérité est singulière et le savoir se produit seulement dans le réel au travers de son écriture: le mathème.

Il rappelle que l'expérience de la passe fut un échec dans l'EFP (Ecole Freudienne de Paris).

Il ajoute un point à l'analyse de la relation entre transmission et transfert : celui-ci peut être le principal obstacle à la transmission, car il peut être un instrument du pouvoir dans les institutions. Il propose contre cela de faire de la psychanalyse un lieu excentrique voué à l'extraterritorialité des signifiants et défend l'idée de réunions internationales où l'on étudierait le narcissisme des petites différences.

Daniel Kupermann dirige le débat qui suit. Voici les questions soulevées.

  • Une observation sur la fonction de la lettre dans la transmission.
  • Quelque chose se transmet de la psychanalyse à l'université et l'on doit pouvoir l'étudier à fond. Mais à coup sûr, personne ne transmet quoi que ce soit de la place du maître, au contraire de ce qu'affirmait Howard Shevrin. La transmission se fait sous l'égide de l'intersubjectivité.
  • René Major reprend l'observation de Adolfo Benjamin pour parler des différences existant entre les traductions des textes psychanalytiques, difficulté qu'il a aussi perçue à propos des traductions dans le Colloque lui-même.
  • Un collègue australien observe que rien ne peut naître si ce n'est à partir d'une nécessité extrême.
  • Un autre collègue reprend le texte de Lacan la situation de la psychanalyse en 1956.
  • Un troisième voit dans la psychanalyse à l'université le risque d'en finir avec la psychanalyse.
  • Un autre encore observe que si nous prenons le transfert comme répétition nous allons produire seulement des clones [ce collègue ne connaît certainement pas les deux versants du concept de répétition chez Lacan : le versant automaton et son versant tuché, développés dans le Séminaire 1, Les quatre concepts de la psychanalyse].

De nouveau l'on se heurte à la difficulté d'approfondir un point dans la discussion. Une collègue brésilienne, s'en émouvant demande s'il est possible que l'on s'entende.

Pour clore la séance, Daniel Kupermann reprend l'observation sur la psychanalyse à l'université. Et il pose la question : Est-ce que l'université, aujourd'hui, ne favoriserait pas une réédition des "normal candidates" des années d'après-guerre lorsque l'on cherchait dans une formation psychanalytique une légitimation sociale ? La psychanalyse dans l'université ne doit pas se substituer à la formation psychanalytique dans les institutions privées [Ce avec quoi je suis tout à fait d'accord, Mais cela ne m'empêche pas d'observer, en tant que professeur que l'on peut transmettre quelque chose de la psychanalyse à l'université. Il faudrait un débat sur ce point, ne serait ce que parce que, comme l'avait déjà annoncé Elisabeth Roudinesco, il s'agit d'une pratique fort courante au Brésil ; il nous appartient donc d'y répondre ].

Après-midi du dimanche, 9 juillet 2000. Les institutions psychanalytiques

L'après-midi du dimanche ouvre un nouveau moment pour les États Généraux : quelque chose arrive qui permet aux interventions de la tribune et à celles du public de prendre la même direction. Tout se passe comme si chacun avait su dès l'abord que le thème des institutions était en fait le thème du Colloque. La salle est pleine. Et tous, sans exception, savent que la psychanalyse a quelque chose à dire sur la tyrannie, la dictature, la torture, la domination et que c'est à ce propos qu'elle arbore un visage révolutionnaire. Et tous savent également que si la psychanalyse a quelque chose à dire, c'est uniquement parce que son histoire s'y est souvent inscrite, à partir des conjonctures politiques et idéologiques qui la transcendent ainsi que des pratiques internes des institutions psychanalytiques elles-mêmes.

Paula Schmidtbauer Rocha (Brésil), ouvre la discussion de ce dimanche après midi ; elle est fort applaudie pour la relation qu'elle instaure la psychanalyse et les intérêts collectifs. Ensuite, Bernd Schwibs (Allemagne), observe l'absence des instituts allemands de l'IPA à ce Colloque puisqu'il n'y a que dix psychanalystes venus d'Allemagne. Il reprend Marx pour essayer de le comprendre ceci : que les Français font la révolution pendant que les Allemands se livrent à la réflexion. En effet, les textes que l'Allemagne a envoyés au Colloque, se voulaient critiques vis-à-vis de l'institution officielle. D'où la question que pose Schwibs : pourquoi les gens qui critiquent ne se rassemblent pas ( et se réfère à Emilio Modena (Suisse) qui aurait tenu un discours plus critique. Il reprend finalement, l'affaire Amilcar Lobo et les effets persistants, plusieurs années après sa mort, de la politique menée par Ernest Jones dans cette histoire.

Reprenant la question, Chawki Azouri rappelle que la manière de Lacan de penser ce qu'est une École a eu un effet subversif dans le comité secret de l'IPA car elle exigeait des évaluations. Il voit dans les États Généraux une confrontation entre les associations actuelles, un aggiornamento politique, une résistance aux institutions et une résistance de la psychanalyse à ce qui vient de l'extérieur

Joël Birman (Brésil) commence le commentaire des travaux qui lui étaient soumis en se demandant pourquoi quatre vingt pour cent des travaux sont d'origine latino-américaine. Il avance l'hypothèse suivante : le fait d'avoir vécu sous des régimes totalitaires a donné, aux latino-américains, une expérience du transfert que les autres n'ont pas pu connaître. Celui-ci peut être soumis au jeu et aux effets du pouvoir. A cela s'associent les effets de l'histoire du nazisme. Il évoque également à ce sujet les problèmes survenus dans l'IPA sous la présidence de Serge Lebovici. Il observe cependant que la question ne respecte pas les frontières, c'est-à-dire qu'elle se rapporte à la logique universelle de l'expérience de l'inconscient et appartient à l'histoire des institutions psychanalytiques. Joël Birman provoque une salve d'applaudissements lorsqu'il se demande pourquoi ce sont les Latino-américains qui ont le plus fait l'expérience de la rencontre du transfert avec le politique ? Sortant d'une tradition coloniale aussi bien américaine qu'européenne, nous essayons aujourd'hui de dialoguer avec les collègues européens. Pour cela, nous reprenons notre histoire; il cite à ce propos le travail d'Helena Vianna, du groupe "Pró-ética" de l'IPA brésilienne et celui de Volnovich. Il affirme que nous étions partie prenante d'un fascisme dans la psychanalyse que ce soit dans les institutions freudiennes ou lacaniennes, et qu'aujourd'hui cela est inadmissible.

Juan Carlos Volnovich alors ajoute que les vingt cinq travaux qu'il a lus font appel à un renouvellement de la psychanalyse. Et il se demande si la psychanalyse peut exister en dehors des institutions. Il observe que le meilleur de la psychanalyse se fait CONTRE l'establishment psychanalytique, et évoque, entre autres, le travail de Marie Langer. Cette psychanalyse-là assume le respect des différences et se dresse contre le cannibalisme et l'intransigeance dans les institutions. Nous faisons alors de la psychanalyse quand nous arrivons à produire des effets nouveaux dans l'ordre institué. C'est la raison pour laquelle il faut montrer plus de confiance dans le pouvoir subversif de la psychanalyse.

Lise Monette (Canada) reprend la phrase d'Helena Vianna " les institutions comme mal nécessaire " pour observer que les filiations paradoxales se révèlent seulement dans l'après coup. Elle affirme que nos institutions sont nos maladies infantiles car elles fonctionnent du côté de la maîtrise. Elles privilégient la fidélité qui soutient le silence : le silence du candidat, le silence devant le socius. Voilà, selon L. Monette, les pathologies des institutions. Elle plaide alors pour une autre fonction des institutions qui permettrait l'échange à parti de travaux élaborés dans la solitude, et l'émergence d'une mémoire contre l'oubli. Ceci parce que la psychanalyse est orpheline par essence. Il ressort de cela que les rapports transubjectifs et intersubjectifs d'une communauté doivent être mis sous l'égide de la diachronie, afin que sur les impasses émerge un lieu de rencontre. C'est ce qui se passe avec les transferts latéraux ou nomades.

Patrick Guyomard (France) ouvre la discussion. Avec ce thème, paradoxalement, on entre dans les États Généraux - commentaire sur les applaudissements provoqués par chaque lecture. Il affirme qu'après être passés par une phase de dénonciation , nous pourrions maintenant échanger notre histoire commune faite des questions suivantes. Qu'est-ce qui institue la psychanalyse ? Les institutions; la subversion de la psychanalyse. Le rapport de la féminité à la pensée psychanalytique (question introduite par Joël Birman) : avec d'un côté Anna Freud qui a refoulé la question de la féminité, et de l'autre Marie Langer qui, comme nous le savons, a travaillé dans le sens contraire.

Après une telle introduction, ce n'était pas par hasard que l'on passait la parole à une autre femme dont l'importance dans l'histoire de l'institution psychanalytique ne souffre pas de question : la Helena Besserman Vianna, venu du Brésil.

Elle reprend son livre, cite Margareth Wilfert (la première femme à fréquenter les Réunions du mercredi) , et demande la permission de lire la lettre qu'elle vient d'envoyer à Otto Kernberg, l'actuel président de l'IPA (lettre qu'elle lit en anglais) : cette lettre, c'est sa lettre de démission de l'IPA par quoi elle scelle, en acte, le discours des États Généraux de la Psychanalyse tel qu'il se tient ce dimanche après midi .

Un collègue de la Colombie prend alors la parole pour dénoncer les déchirures de son pays qui met les psychanalystes colombiens dans une situation assez différente de celle du Brésil et de l'Argentine.

Un collègue de l'IPA de Zurich se montre à contre-courant : l'on est en train d'assister à un rituel ; d'abord, il semble que Rio de Janeiro soit plus près de Paris que Zurich ; ensuite, il semble que le diable existe, qu'il s'appelle IPA ; en troisième lieu, il n'y a qu'un dieu: Lacan ! Mais il y a bien des psychanalyses ! Raison pour laquelle il faut proposer des modifications dans l'IPA comme l'abolition du didacticien, l'installation d'un contrôle institutionnel, etc.

Un autre brésilien, Inácio Gerber (IPA de Sao Paulo), intervient pour donner le résultat d'une enquête faite au Brésil sur le profil de la clinique psychanalytique, parrainée par l'ABP [Association brésilienne de psychiatrie]. Sept cents analystes auraient répondu. Ils montreraient une certaine pudeur pour parler de la clinique [d'après les résultats de cette enquête, il est possible de vérifier qu'elle n'a été menée qu'avec les psychanalystes de l'IPA]. Selon lui, le résultat montre qu'il y a deux "publics" (sic) intéressés par la clinique psychanalytique: les candidats d'une part, un univers plus large d'autre part, constitué d'étudiants en psychologie et de psychiatres... Les honoraires seraient totalement différents selon ces deux univers. Pour les candidats, seulement cinquante pour cent de leurs revenus viendraient du monde "psy" ; pour les didacticiens toute la pratique clinique est tournée vers cet univers. Il a observé que la crise dans la psychanalyse aujourd'hui est causée par un trou à la base même de cette pyramide.

Carlos Castellar , un autre brésilien, s'associe à ce propos. Il repose la question de ce qui institue l'association psychanalytique. Il estime qu'au Brésil une refondation générale est nécessaire, puisqu'il est nécessaire de former des thérapeutes qui puissent travailler dans des institutions qui ne s'adaptent ni aux normes de l'IPA, ni aux normes de la nouvelle " IPA lacanienne ". Il estime qu'il y a dix ans, les cabinets étaient pleins et que les psychanalystes voyageaient, mais que cela n'est plus le cas aujourd'hui . Il trouve qu'il faut obtenir le soutien des sécurités sociales pour le paiement des cures. Une proposition prioritaire serait celle de reprendre la thérapie de groupe de fondement psychanalytique (sic), que l'IPA a défendu.

[En effet, l'on sait combien cette pratique, généralisée pendant les années 1970, était importante dans le budget d'un analyste didacticien. Toute une génération d'analystes souffre de cette perte. Les deux dernières interventions montrent aussi qu'il y a encore des analystes dans l'IPA qui se réfèrent à une psychanalyse restreinte à l'IPA : l'un prend les résultats d'une recherche menée dans l'IPA comme représentatifs de la psychanalyse au Brésil ; l'autre attend le feu vert de l'IPA pour exercer en tant que psychanalyste une pratique déterminée. Je ne peux pas ne pas observer que ces deux interventions ont mis à nu la machine rouillée de l'IPA dans laquelle les didacticiens n'accompagnent pas l'évolution de la psychanalyse alors que depuis longtemps, en dehors de l'IPA, l'on a su s'adapter aux nouvelles réalités sans, pour autant, céder sur la rigueur ou l'essence révolutionnaire. Tout travailleur dans la santé mentale, sait qu'il n'est pas nécessaire de faire groupe pour que, dans une institution, la psychanalyse puisse être à la portée de chacun et que l'on est d'autant plus ancré dans la psychanalyse que l'on se tient à ce que Freud nous a laissé - c'est par exemple ce que Lacan a fait en retournant aux textes de Freud. Et certainement ce n'est pas avec un autre type de thérapie que l'on pourra réaliser cela dans l'avenir.

Après Carlos Castellar, quelqu'un est intervenu pour dire que les institutions sont nécessaires mais qu'elles doivent se conformer aux autres institutions qui existent dans un pays. Un collègue lui répond que l'institution est un mal nécessaire, un mensonge nécessaire contre lequel s'inscrit le désir de l'analyste. Il observe qu'aujourd'hui l'on se retrouve dans des "réseaux" et non plus dans des "institutions". Dans ces dernières il y aurait une croyance insensée dans la parole et, néanmoins, un désir de ne pas l'utiliser.

Laurice (Brésil) témoigne du travail d'une commission d'éthique au Brésil qu'Etchegoyen a instituée durant sa présidence de l'IPA. L'on serait tombé ainsi sur une série de graves problèmes, ce qui aurait provoqué une proposition de modification des statuts. Mais l'actuel président de l'IPA a annulé ce travail et réduit la chose à un problème d'incompatibilité entre deux groupes de l'IPA. Une dénonciation de plus en cet après-midi du dimanche.

Alors quelqu'un, venu du Pérou, observe que nous sommes responsables lorsque nous nous soumettons à un groupe qui ne veut qu'un semblant de démocratie, et il parie que le mouvement des États Généraux produira un sentiment de liberté interne indispensable à l'exercice de la psychanalyse. Il ajoute qu'un analyste doit être capable de reconnaître les différences d'un autre analyste et de les respecter. En réponse au collègue de Colombie, qui est intervenu au début de cette discussion, il affirme que l'Amérique Latine aurait plus d'identité qu'on ne pense.

Un autre collègue trace un parallèle entre la maçonnerie et le comité secret de l'IPA qui a réduit la psychanalyse à un rituel.

Ces deux derniers collègues soutiennent des propositions contraires: le premier pense que les États Généraux de la Psychanalyse ne devraient pas déboucher sur la création d'une nouvelle institution, ce qui ne veut pas dire que le mouvement devrait s'arrêter ; au contraire, il pense que la création d'une nouvelle institution signifierait sa fin. Le deuxième pense qu'il faut créer une nouvelle institution dans laquelle on puisse se reconnaître comme collègues, tel les maçons qui se reconnaissaient dans le dialogue suivant : " - Etes-vous un franc-maçon ? - Mes frères me reconnaissent comme tel ". Il suggère alors que l'on crée une institution dans laquelle il soit possible de se retrouver comme complices d'un meurtre inaugural.

[Depuis le début du Colloque, le thème freudien du meurtre du père n'a pas cessé de revenir. Il surgit ici pour suggérer un acte inaugural dans la complicité duquel s'éprouve la nécessité d'assurer la structure que l'institution représenterait.]

Anne-Lise Stern intervient encore une fois pour témoigner, comme psychanalyste du temps où elle fut déportée à Auschwitz, en novembre 1944. Elle raconte qu'elle était responsable de la distribution de la "nourriture" et que tout en remplissant cette tâche, elle divulguait le travail de Sigmund Freud. C'est grâce à cela que les gens ont pu recommencer à rêver. Un de ces rêves représentait le camp de concentration dans lequel une lumière s'instaurait ; grâce à la possibilité de rêver, de se tenir à cette lumière, il y eut des survivants. Elle illustre ainsi la fonction de la psychanalyse et un de ses rôles fondamentaux dans le contexte historique passé et, peut-être, futur.

Conférence d'Armando Uribe

A la fin des travaux du dimanche, le Colloque avait invité l'ancien ambassadeur du Chili sous Allende, Armando Uribe afin qu'il présentât l'un de ses travaux:, Le fantasme du dictateur, résumé de son dernier livre L'accident Pinochet. Il s'adressait aux psychanalystes, c'est-à-dire à ceux qui pouvaient entendre ce qu'il avait à dire ; car ceux-ci savent qu'il y a " un petit Pinochet à l'intérieur de chacun de nous " (sic). Au-delà, Armando Uribe a essayé de construire une généalogie de ce terrible personnage. De ce qu'il a dit, ce qui m'a le plus intéressée fut la petite observation suivante.

Il y a des pays qui ont une conscience historique, comme les pays européens (le jugement est de l'auteur chilien), et il y a des pays où n'existe pas cette structure millénaire ; à cause de cela, ces derniers peuvent privilégier un conscient collectif et un oubli également collectif.

[Pourquoi cela m'a-t-il intéressée ? Parce que cela oppose le collectif à l'historique. Le collectif est un mouvement des masses où les identifications (imaginaires) - si bien étudiées par Freud en 1921 - servent seulement à nier la référence historique elle-même. Par contre, l'historique suppose une structure où chaque sujet peut trouver ses identifications et ses racines, ce qui ne peut arriver qu'à la condition de ne pas oublier. Freud avait également découvert cela .]

Armando Uribe part, dans son analyse, d'un poème épique chilien du XVI-ème siècle, et associe chacune de ces strophes au comportement du chilien qui, ainsi, trouve une justification de ses actes, non pas en tant que sujet dans l'histoire, mais en tant qu'identifié à un comportement.

Matinée du lundi, 10 juillet 2000: Le rapport de la psychanalyse au social et au politique.

C'est Gilou Garcia Reinoso (Argentine) qui présente la topique des débats en mettant en exergue, la phrase de Freud qui rend hommage à Charcot : " Charcot était capable de regarder le mal sans s'aveugler ". Il propose que l'on discute du rapport de la psychanalyse aux lois de la cité. Il en est ainsi du fait que les États Généraux de la Psychanalyse surgissent du malaise causé dans la psychanalyse par les barrières qui séparent les instances institutionnelles tournées sur elles-mêmes. Il cite également Todorov : " Entre le monologue et la guerre je préfère rester avec le dialogue ".

À partir de là, il présente le thème en le situant dans la relation du sujet à l'Autre. Cette relation s'institue avec le discours du maître ; c'est ainsi que le sujet se constitue en tant qu'humain, le premier Autre étant la famille. Via le transfert, la scène même de ce qui est politique relève de cette constitution où les fondements subjectifs du pouvoir ouvrent toujours une brèche avec la question: comment réussir à capter (capturer) le sujet ?

Il identifie ici le transfert à l'hypnose et au mouvement de masse. La différence est introduite par la position de l'analyste : voilà notre tâche. Mais dans l'institution le travail de désidentification est difficile, puisque le transfert se prolonge. Il l'illustre avec son propre cas. En 1971 il se forme dans l'APA/IPA qui l'accueillait depuis 1969 quand un congrès s'organise au Brésil sur la violence et l'agressivité. À l'approche de l'ouverture, le projet est annulé comme menaçant l'ordre en vigueur. Deux propositions sont alors faites : changer le thème ou changer le lieu. C'est le changement du thème qui l'emporte, montrant ainsi que l'on soutient les diktats du pouvoir. Gilou Reinoso soutient que chacun a sa responsabilité dans cette histoire. Et il ajoute ce qui suit.

Nous vivons aujourd'hui le mythe de l'unité à travers la propagande du "village global". Le pouvoir politique prend en charge l'amour, la peur et la croyance comme le transfert. La psychanalyse doit soutenir les tentatives de recouvrir une parcelle du pouvoir institué qui se met à distance de la masse, afin de permettre l'exercice du désir.

Nous sommes en trains de vivre une détresse sociale extrême, dans laquelle la société qui exclut, semble désirer la mort des exclus, à la place de l'Autre mortifère. Et le fait de ne pas avoir de place dans l'Autre fait entrer l'exclu dans un cercle mortifère. Ceci s'est souvent répété dans ce siècle de psychanalyse. Il en donne deux exemples:

  • Un condamné est libéré après avoir subi toutes les atrocités. On l'entend et il s'excuse. Un jour on le retrouve mort dans le fleuve. Chez lui, l'on trouve plusieurs inscriptions sur les murs comme autant d'hommages aux militaires. Tout s'est passé comme s'il avait été embrassé mortellement par l'Autre mortifère du pouvoir dans un suicide narcissique.
  • Les disparus de Buenos Aires, niés dans leur être de disparu. Il rappelle la phrase de Videla : " Il n'y a ni vivants ni morts, il n'y a pas de disparus " faisant ainsi disparaître les disparus. Ce sont les mères, les " folles de mai " qui briseront le silence. La psychanalyse est là pour soutenir ce travail dont le paradigme est celui des grands-mères qui cherchent à récupérer leurs petits enfants séquestrés, pour leur transmettre leur histoire.

La fonction de la psychanalyse dans le social et politique est de ne pas permettre que l'on exclue le sujet de l'ordre du droit. Pour finir, il cite Maurice Blanchot : " Je ne sais pas, mais je sais que j'aurai su ", [c'est-à-dire qu'il y a toujours quelque chose qui ne peut pas s'inscrire dans le savoir, mais il faut pouvoir y inscrire ce qui s'écrit].

Ensuite, Helena Besserman Vianna prend la parole et commence également par une citation, cette fois ci de Raymond Aron: " L'esprit libre ne peut pas passer sur les événements et les cerner avec un regard indifférent ". Elle revient alors sur la place de la psychanalyse face au discours du capitalisme et observe que le langage des marchés bénéficie aujourd'hui a d'un pouvoir inconditionnel et absolu, dont le seul but est lucratif de sorte que la mondialisation - également évoquée par Reinoso - n'est une réalité que pour le capital (comme l'avait déjà indiqué Jürgen Habermas). Elle affirme que ce qu'attendent les habitants du monde immergés dans l'inégalité sociale - dont cinquante pour cent se trouve en Amérique du Sud - c'est l'élargissement des espaces démocratiques et éthiques.

Pour penser la place de la psychanalyse dans cela, elle revient sur la présence d'un tortionnaire dans l'IPA, problème à propos duquel l'IPA n'a pas toujours pas trouvé de solution vingt cinq ans après. Elle observe, avec Nelson Rodrigues, que ce qui est évident doit toujours être répété. Et à la question " est-ce que nous pouvons séparer la pensée psychanalytique de l'éthique du citoyen ? " elle répond que le psychanalyste, quand il est sollicité, doit prendre partie dans la politique; ne pas rester indifférent aux problèmes, participer, dans les limites de son savoir, à la vie sociale et politique dans son pays et dans le monde. Avec Umberto Eco elle observe que l'aliénation politique et sociale est pire qu'une bêtise, c'est un gaspillage. Elle revient sur son travail dans le groupe "Pró-ética" contre les distorsions et falsifications : conjuguer subjectivisme avec objectivité est rester libre pour parler et penser. Si l'on s'en tient au seul subjectivisme et à des slogans abstraits, l'on se perd. Comme Reinoso, elle affirme que l'on est responsable de ce que l'on ne fait pas. C'est pour cela que bien qu'il soit obligé de séparer le privé du public, l'analyste ne peut pas se tenir à l'écart de ce qui est public. La psychanalyse ne peut pas, au nom de sa neutralité, s'affranchir de l'éthique publique. Elle propose une intervention avec les autres champs du savoir pour diminuer les inégalités sociales dans tous les continents. Elle termine son propos en citant Baldwin : " Tout ce que l'on affronte ne peut être modifié, mais rien ne peut être modifié que l'on n'affronte pas ".

Je n'ai pu assister à l'intervention de Esteban Ferrandes Miralles (Espagne). Mais j'étais là lors du compte rendu de Regina Orth de Aragão (Brésil) qui commentait la question de la clinique, des nouveaux symptômes et de la place du psychanalyste en dehors de l'espace clinique, principalement l'éducation. Elle s'est interrogée sur le travail de l'analyste en dehors du cabinet, dans l'espace social : comment reconsidérer le collectif dans le travail de la psychanalyse ? En guise de réponse, elle défend la nécessité de réinterroger la psychanalyse au-delà de la compassion [l'expression utilisée par Regina était : souffrir avec l'autre].

Dans la même voie, S. Peña définit la psychanalyse comme une science humaniste, raison pour laquelle elle n'est pas sans valeur, ni idéologie. Il distingue le fait selon lequel le milieu social et politique a de l'effet sur les séances, du fait selon lequel l'analyste ne doit pas utiliser ses propres croyances en vu d'un endoctrinement.

Carlos Castellar dirige le débat qui suit. Le premier à intervenir se présente comme philosophe et universitaire. Il affirme que cela fait vingt ans que la psychanalyse produit des effets sur les philosophes, et cite Foucault et Deleuze à titre d'exemples. Il se demande alors si la philosophie est également entendue par les psychanalystes. Le deuxième à intervenir affirme qu'il y a une difficulté pour le psychanalyste à trouver sa place dans le champ social parce que le savoir qui doit toujours être réinventé appartient au champ de la cure ; comment le relier alors au champ social proprement dit ? À ces questions, Denise Maurano (Brésil) en ajoute une autre : quelle est exactement l'éthique dont nous parlons ? Une collègue, jusque là membre de l'IPA de Sao Paulo est alors intervenue pour dire l'importance qu'elle a donnée à la fidélité à la langue du divan (sic) qu'elle avait fréquenté. Cela lui donnait les raisons suffisantes pour rester à l'IPA, puisqu'elle ses collègues de la SPP l'ont énormément aidée. Mais maintenant, après avoir entendu Helena Vianna, elle a décidé de ne plus être une " bonne petite " (boazinha) ; elle voulait ainsi dire qu'elle démissionnait de l'IPA car elle ne croyait plus que sa démission avait le sens d'une désertion. Elle allait travailler dans un autre lieu.

Quelques témoignages de travaux réalisés en dehors des consultations en cabinet suivaient.

Une autre psychanalyste brésilienne a apporté son témoignage sur un travail mené dans un groupe de rap, à la périphérie de Sao Paulo. Les membres du groupe ne font pas appel au père mais aux frères, puisqu'ils sont exclus et construisent un lieu ensemble, entre eux. C'est comme cela qu'ils font valoir le père, à travers les frères. Un autre collègue raconte que pour travailler avec les Mères de la Place de mai et avec les guérilleros de Sao Salvador, il a dû faire valoir une liberté de doctrine, d'où son accord avec l'idée d'écouter les philosophes. Il croit qu'il y a dans la psychanalyse une puissance subversive mais avertit que cela ne veut pas dire qu'elle puisse améliorer beaucoup le malaise dans la culture. Une autre collègue encore raconte le travail qu'elle a mené dans une clinique sociale.

Alors, avec enthousiasme, un collègue compare les États Généraux de la Psychanalyse avec un mois de mai français, faisant également référence au mouvement argentin.

Le plus émouvant peut-être des témoignages de cette matinée du lundi, fût l'intervention d'un collègue autrichien qui venait après celle d'une collègue nord-américaine, psychanalyste et sociologue, selon laquelle il est très difficile de penser la sociologie sans faire de référence à un "eux" et à un "nous" [c'est-à-dire les exclus et nous, qui nous voyons comme inclus]. Le collègue autrichien devait dire que là bas les psychothérapeutes dévorent les analystes et que le produit de ce repas est offert aux simples d'esprit. Il appelle au secours les États Généraux parce que devant cette situation, , il ne sait plus littéralement ce qu'il faut faire.

[Malheureusement je n'ai pas pu assister à la seconde séance de l'après midi du lundi, sur Psychanalyse et art, littérature et philosophie. Mais j'étais là lors de la Conférence de Jacques Derrida, à 18:30 de ce lundi].

Lundi 18:30. Conférence de Jacques DERRIDA.

Pendant plus de deux heures, le philosophe français Jacques Derrida a démontré - en acte - l'importance de la connexion de la psychanalyse avec la philosophie. Autrement dit, il a analysé, comme philosophe, un texte freudien pour penser deux interrogations du monde actuel : la question de la souveraineté et celle de la cruauté. Il s'agissait de la correspondance de Freud avec Einstein, sur la guerre. Ce qui suit est un résumé des notes que j'ai pu prendre, certainement incomplètes face à la richesse du propos.

La question qui oriente le propos de Derrida se réfère à ce que la psychanalyse a à faire aujourd'hui dans le monde actuel. Et la première réponse de Derrida signale la tension qui existe entre résistance et révolution. Il propose une série de trois révolutions : la Révolution française, la révolution psychanalytique et la révolution technique et scientifique, non sans observer que, d'un côté, il y a toujours une révolution dans une autre révolution et, que de l'autre côté, il y a un échec dans la psychanalyse. Si nous sommes aujourd'hui dans l'ère du world wide web, les États Généraux de la Psychanalyse peuvent représenter la deuxième révolution dans la troisième (celle de la www qui représente ici la révolution technique et scientifique). Pour le penser, Derrida associe ces États Généraux avec ceux de la Révolution française. Et il pose la question : Qu'est-ce que la hiérarchie telle que l'organise le pouvoir de 1789, a à voir avec ce qui se passe ici ? Qui représente ici la noblesse, le clergé, le Tiers État de la psychanalyse mondiale, ou mieux, essentiellement européenne ? Il y aurait un sens à imaginer une équivalence avec le Tiers État -- d'un coté le clergé et de l'autre les psychanalystes (il fait ici un jeu de mots: les prêtres et les interprètes).

Quelle sont les doléances de la psychanalyse aujourd'hui ? Si le Tiers État de la Révolution française se refusait à faire le deuil du souverain, de quoi la psychanalyse se refuse-t-elle aujourd'hui à faire le deuil ? Si les promesses restent en suspens, qu'est-ce qu'exprime la mort ? Qui est le destinataire de ce mouvement qui se constitue ici ? Et de quelle École les psychanalystes ici s'autorisent de s'autoriser ?

Il y a toujours eu des problèmes dans les phénomènes institutionnels. Il y a une absence radicale de consensus entre psychanalystes quant à la technique, le juridique, l'éthique, le politique. Tel les Cahiers de doléances, que l'Assemblée adressait aux souverains de jadis, les doléances d'aujourd'hui peuvent concerner ce qui est en dehors : le champ médical et celui de l'état, le rétrécissement de la demande, l'idéologie, la biologie... montrant l'incapacité de la psychanalyse à s'inscrire dans la mondialisation à cause de son origine européenne. Dans l'absence d'un destinataire commun, les États Généraux de la Psychanalyse doivent s'instituer comme premier et dernier destinataire de leurs propres doléances ; ils sont donc obligés de créer leur propre destinataire. En conséquence, une nouvelle question se pose : Est-ce qu'il y a ici un transfert ? La place de celui à qui s'adresse le transfert reste vide, mais Derrida donne un conseil : méfiez-vous de l'autonomie et de la liberté supposée.

Le premier titre que portait pour une publication la lettre de Freud à Einstein (septembre 1932) aurait été, selon Derrida, "Droit et violence" (Recht und Gewalt) [couple qui introduit effectivement, les propos de Freud sur le thème proposé par Einstein (cf. le troisième paragraphe de la lettre de Freud)]. En effet, Kant disait déjà qu'il n'y a pas de droit sans possibilité de cohésion, que force et droit vont depuis toujours ensemble. [Le droit, dit Freud, est le pouvoir d'une communauté et la seule différence avec la force qu'un individu utilise pour en soumettre un autre est que, dans le cas du droit, la force n'émane pas d'un seul, mais de la communauté. La souveraineté distingue ceux qui ont le pouvoir de ce qui le subissent, dit Freud, et le droit est fait pour les premiers - ce qui implique de nouvelles tensions. Pour éloigner la guerre il faut que les hommes acceptent l'exercice d'une violence centrale (Zentralgewalt), à laquelle sont soumis tous les conflits. Mais cette autorité s'institue d'habitude par la force. Une seule exception : la souveraineté produite par la culture, à partir du pouvoir de la communauté devant laquelle s'affaiblissent les forces pulsionnelles].

Einstein, dans sa lettre, étonné par la volonté de faire la guerre, suggère l'existence d'une psychose de destruction. Freud théorise ici la pulsion de domination, au-delà du principe du plaisir. Si la pulsion de pouvoir est la plus ancienne, aucune politique ne pourra l'annuler.

Derrida salue alors les États Généraux de la Psychanalyse avec une nouvelle question : qu'est-ce qui se trouve derrière la scène de ce théâtre ? Il propose une auto-analyse des États Généraux, et que celle-ci commence avec une question de principe ; il y a des principes dans la psychanalyse. Il pose la question des formes inédites de la cruauté auxquelles le XX-ème siècle a assisté. Il fait l'hypothèse d'un au-delà de la pulsion de mort, c'est-à-dire d'une pulsion de pouvoir performatif destiné à l'organisation du symbolique [Du point de vue freudien, je ne peux suivre Derrida ici qu'en envisageant la possibilité qu'Eros ait encore une fois joué de la pulsion de mort, avec l'intention de réunir ceux qui ont vu dans cette convocation un appel performatif. En particulier de la même façon que Lacan a pu dire qu'il n'y a pas d'Autre de l'Autre, je n'arrive pas à concevoir l'idée d'un au-delà de la pulsion de mort dans le sens freudien du terme]. S'il y a de la souveraineté dans l'état aujourd'hui, il est évident que, via l'Europe, les États Unis d'Amérique sont les seuls à la maintenir. Il cite Walter Benjamin et son texte "Zur Kritik der Gewalt", qui touche au droit souverain de punir par la mort (cf. la peine de mort existant encore aujourd'hui aux USA). Pour corroborer encore le texte de Freud, il cite les horreurs de la Première Guerre Mondiale justifiées cyniquement au nom du patriotisme.

Derrida formule : il est tout aussi impossible d'effacer la psychanalyse que de nier qu'elle est mortelle. Et établissant à nouveau un rapport avec 1789, il pose la question suivante : étant donné que le roi, en convoquant les États Généraux de 1789 qui devaient mettre fin au pouvoir du souverain, a trouvé la mort, qui aujourd'hui est le roi qui se suicide ? Question qui est restée en l'air, sans réponse explicite, de façon que chacun puisse lui en donner une. Derrida promulgue le droit de l'homme à la psychanalyse. À partir du texte de Freud il observe que la révolution psychanalytique, avec le siècle, a pour fonction de combattre indirectement la cruauté parce qu'elle sait que la cruauté est indestructible. Avec Freud, il observe que la psychanalyse n'a pas les moyens de mettre en question ou de diminuer la valeur de la cruauté, car elle a toujours existé. D'où une dernière question : d'un point de vue éthique, comment la psychanalyse se situe-t-elle en dehors de cela ? [Là, je trouve que la psychanalyse doit pouvoir répondre au philosophe] et il essaye de répondre : la tâche de demain relève d'un acte constitutif soutenu par le savoir théorique et descriptif, et d'un acte performatif : je dois faire ce que je peux. La psychanalyse peut prendre en compte la totalité du savoir, y compris les mutations techniques et scientifiques ; avec cela, il ne s'agit pas seulement de savoir mais surtout de réinventer les normes de la psychanalyse dans chaque contexte : que ce soit celui du marché, du champ politique et juridique, ou encore de l'horreur des génocides. Il faut pouvoir parler à partir d'une rupture qui est toujours là. C'est le "je peux", comme acte de fondation de la tâche de la psychanalyse, qui peut alors remettre en marche et l'acte constitutif et l'acte performatif. [D'où la tâche que le philosophe attribue aux psychanalystes dans ces États Généraux de la Psychanalyse et qui n'est pas mince !].

Matinée du mardi, 11 juillet 2000: Le rapport de la psychanalyse avec le droit, les neurosciences, la biologie et la génétique

[Un rendez vous m'a empêchée d'assister à la première intervention, celle de René Major. J'ai pris les choses en route à partir de l'intervention de Amy Cohen].

Amy Cohen observe que la conception du langage est différente dans la biologie et dans la psychanalyse. Mais ces différences n'empêchent pas qu'il y ait des points communs entre les différents champs. Par exemple, la question de la transplantation qui comprend le transfert d'un organe d'un sujet à l'autre, touche la question du self et du non-self (sic), touche à la question de l'externe et à la qualité du sujet que nous sommes.

Athanase Tzavaras (Grèce) débute son intervention de manière burlesque, en disant qu'il faut être gentil avec les autres, donner la main aux neuro-scientifiques et commencer une vie nouvelle. Mais il observe que les textes qu'il a lus étaient beaucoup plus pessimistes quant à un rapport possible entre la psychanalyse et les neurosciences, dans la mesure où les concepts et les lieux de travail sont hybrides. Son idée est que chacun, neuro-scientifique ou psychanalyste, devrait arriver à quelque chose avec sa méthode propre.

Son opinion est que les psychanalystes ont un complexe d'infériorité depuis l'époque de Freud. Ils essayent de prouver que la psychanalyse est une science " canonique " à l'image de la physique. Mais est-ce que les scientifiques eux-mêmes savent exactement ce qu'est la science, même s'ils croient le savoir ? Ils s'appuient sur une philosophie spontanée, ce qui vaut aussi pour les psychanalystes. Mais depuis longtemps, (cela est vrai au moins des pays anglo-saxons), la formation philosophique de base des scientifiques est réduite à zéro.

Le problème est que les théories scientifiques ont des difficultés avec les métaphores. Les psychanalystes sont plus ou moins avertis de cela. Mais les sciences cognitives, l'intelligence artificielle, les neurosciences n'ont aucune idée ce que veut dire désirer, se comporter, vouloir, parce qu'elles ne savent pas ce qu'est une métaphore. Elles tiennent donc un discours schizophrène à ce sujet. En voulant tout manger, elles finissent par manger même le texte du menu. Il évoque ainsi le cas d'un couple, qui après soixante cinq ans de mariage viendrait chez un avocat afin de divorcer. Et devant la surprise de l'avocat, ils expliquent : " Nous avons attendu que nos enfants meurent pour ne pas les traumatiser ".

Georg Christoph Tholen, (Allemagne), veut parler de la loi. Il dit qu'il n'est pas besoin d'une garantie institutionnelle pour la psychanalyse. Il cite le texte de 1914, L'histoire du mouvement psychanalytique, dans lequel Freud situe la psychanalyse entre science de l'homme et science empirique. Il pose la question suivante : en quoi la loi consiste-t-elle ? Dans l'IPA par exemple, la métapsychologie a fait place à un mélange de discours juridiques et psychothérapeutiques, en faveur d'une auto-immunisation et d'un "juridisme", laissant derrière lui les lois de la psychanalyse elles-mêmes. Entre autres, celles de l'interprétation des rêves qui ont permis à Freud d'aller contre ce qu'énonçait la médecine selon laquelle un rêve est une maladie ou un mauvais fonctionnement : la règle énoncée par Freud est que dans le rêve le désir doit être satisfait comme s'il était une nécessité.

L'une des lois de la psychanalyse est qu'il y a une altérité inconcevable ; c'est déjà ce que traitait Freud en 1895 avec la notion de Nebenmensch, dont la présence est la perte elle-même qui structure le sujet.

Un autre des lois de la psychanalyse est celle du complexe de sevrage - le terme allemand qu'il utilise est Entwöhnungskomplex - qu'il illustre avec l'obligation pour la petite fille de renoncer à ce qu'elle n'a jamais eu. [Ce qui devrait se référer plutôt au complexe de castration, semble-t-il. Quoiqu'il en soit, il est intéressant d'observer que le même analyste qui se préoccupe de préciser la notion intraduisible de Nebenmensch, confond le complexe de castration avec un complexe dont l'on ne sait pas très bien d'où il sort !]

Une autre loi serait la loi symbolique soutenue par la fonction paradoxale (sic) du père. Il situe à la fin du communisme la rupture d'avec le " Notre Père " et finit son intervention avec une citation de Pierre Legendre qui dénonce les promesses actuelles du bonheur. Il dénonce finalement, un vidage de la fonction paternelle, dû à l'envahissement de l'imaginaire dans le registre technique et biologique.

Sergio Benvenuto (Italie), annonce que son intervention ne reflète pas la pensée de la plupart des participants et qu'il ne considère pas que nous formons une communauté parce que nous parlons des langues différentes. Il dit que la psychanalyse a résisté à l'objectivité scientifique de la langue anglaise mais, s'appuyant sur l'exemple clinique d'une amie à qui les antidépresseurs auraient apporté une nette amélioration, il croit que l'on doit remercier les neuropsychiatres. Il faudrait cultiver la gratitude au lieu de nous plaindre, comme l'aurait dénoncé Derrida.

Selon lui, il existe aujourd'hui trois mouvements :

  • l'anglo-américanisation ;
  • la mondialisation, qui est le mouvement de l'anglo-américanisation au carré ;
  • le capitalisme, la science et le libéralisme.

Les psychanalystes vont contre ces trois mouvements, dit-il. La science apporte beaucoup de plaisir mais aussi beaucoup de souffrance, voir Hiroshima et Tchernobyl. Mais les psychanalystes ont des difficultés à reconnaître le pouvoir que cette trinité tire de nous apporter bien être et jouissance ; peut-être parce que ce pouvoir nous humilie aussi. Mais cette dichotomie est propre à la démocratie et la psychanalyse est à la fois effet et cause de la démocratie. La vie sexuelle elle-même est difficile parce qu'il est difficile d'admettre que nous ayons fortement besoin de l'autre.

Freud n'avait rien contre la domination de l'anglais, mais il avait l'idée que la psychanalyse est une science objective du sujet. Il a parié sur quelque chose de très simple: le signifié subjectif allège la souffrance névrotique.

Il termine son intervention avec une question qui se réfère la conférence de Derrida : qui ici est roi, qui ici est régicide ? René Major ? La psychanalyse ? Peut être l'expérience psychanalytique est une jouissance pour beaucoup de gens, mais la psychanalyse a une dette avec le monde moderne dans lequel il est si difficile de survivre sans lamentation et sans plainte.

C'est Jean-Jacques Moscovitz (France), qui prend la parole ensuite. Il propose deux phrases de Freud : " Le premier devoir du vivant est celui de supporter la vie " et " Répondre à une insulte avec des armes est de l'ordre de la barbarie, avec des mots...cela peut être de l'ordre de la civilisation ". Il observe que Freud a soustrait la médecine au champ biologique, alors que celui-ci l'a amenée au pire : à Auschwitz c'était les médecins qui faisaient le tri.

Il attire l'attention sur le changement survenu dans le code pénal français en 1994 : le crime capital n'est plus celui du parricide mais celui de crime contre l'humanité. Ceci introduit une question : si le crime contre l'humanité est défini comme attentat contre toute une génération et une culture, la destruction est interdite ; mais... de quelle façon est-il possible que le parricide ne soit pas un crime capital alors que, comme le montre la psychanalyse, il est justement un attentat contre toute une génération et une culture ? Le crime capital n'est plus celui d'un seul contre un seul, mais le crime collectif. Moscovitz y entrevoit l'ouverture vers un certain néant et pense que le droit devrait se confronter avec la psychanalyse.

Il reprend les procès de Nuremberg et observe que les crimes des médecins qui faisaient des expériences avec des êtres humains ne furent pas jugés dans le grand procès, mais seulement dans le petit procès. [Jusqu'à quel point ceci ne continue-t-il pas, de façon que l'on puisse toujours affirmer que le génocide continue ? Cela est camouflé sous l'illusion des termes, selon lesquels l'on aurait jugé ceux qui voulaient détruire une génération et une culture.]

Après cela, le débat commence.

C'est un collègue colombien qui prend la parole, dénonçant une guerre civile qui dure déjà depuis cinquante ans et une intervention américaine qui a commencé ce mois-ci. Il demande aux psychanalystes de les aider à symboliser, pour ne pas devenir fous. Le collègue brésilien, Mario Pereira, associe la misère aux crimes contre l'humanité, masqués mais actuels. Un autre collègue brésilien, Rubens Coura, observe qu'il lui est impossible de remercier le monde moderne parce qu'il est responsable de l'acquisition du discours médical et de la fascination qu'il exerce. Il affirme qu'au Brésil la psychanalyse est une marchandise et que le mercantilisme appauvrit la psychanalyse [mais plusieurs interventions dans ces États Généraux avaient déjà démontré la grande richesse de la psychanalyse au Brésil, et les pratiques qui enrichissent aujourd'hui la théorisation].

La séance est interrompue.

Après-midi du mardi 11 juillet 2000. Perspectives

C'est une autre brésilienne, Caterina Koltai, qui prend la parole pour conclure ; elle sera suivie par quelques-uns uns . Elle observe qu'il existe trois souffrances en Amérique Latine : la misère, la dictature et les failles de la psychanalyse. La psychanalyse doit aller au-delà du politiquement correct (Expression idiomatique au Brésil qui veut dire: correct du point de vu politique, et pourtant...) et l'analyste ne peut pas s'offrir le luxe de ne rien vouloir savoir sur ce qui arrive au tour de lui. Les failles de la psychanalyse se réfèrent au fait qu'il y a toujours des psychanalystes qui refusent de recevoir quelqu'un qui ne peut payer cher, et le renvoie aux analystes débutants quand probablement ces sujets auraient besoin de quelqu'un ayant plus d'expérience. Un autre symptôme des failles de la psychanalyse est la difficulté de parler de clinique. Bien qu'elle n'appartienne à aucune institution, Caterina Koltai croit que celles-ci sont nécessaires. Non pas comme un mal, mais comme un endroit où l'on puisse parler de clinique avec ses pairs. À condition que cela ne signifie pas entrer dans une secte, ou se soumettre à un pouvoir totalitaire. La multiplicité des institutions correspond à la division telle qu'elle est nécessaire au sujet lui-même dans la psychanalyse. Elle entend que les institutions doivent devenir plus démocratiques, créatives et productives pour que chacun puisse y affirmer sa singularité à partir de sa propre expérience et puisse se reconnaître. Elle dit que cela implique la pluralité des théories dans les institutions. L'enseignement de la démocratie, c'est que le lieu du pouvoir reste vide.

Caterina Koltai trouve que l'existence des institutions facilite l'internationalisation, mais que cela devrait se faire non sur le modèle d'un siège et de ses filiales, mais sur le modèle des États Généraux, afin que chaque analyste, de n'importe quelle partie du monde, puisse prendre la parole. Les analystes, quand ils ont des idées et du transfert ne connaissent pas les frontières géographiques. Elle estime que dialogue entre le nouveau et le vieux monde s'accroît et permet ainsi l'accueil de l'étranger.

Theodore Jacobs, de New York estime que l'aspect le plus significatif de ce Colloque réside dans la position morale de ses participants, contre le mal. Normalement les psychanalystes adoptent une position "neutre" devant le mal. Il dit que cette nouvelle attitude est absolument nécessaire à la psychanalyse si elle souhaite faire prendre conscience au monde des pulsions meurtrières qui existent à intérieur de chacun puisque l'homme est fondamentalement agressif (sic). Il trouve que nous ne devrions pas diaboliser les autres sans nous regarder nous-mêmes. Raison pour laquelle il n'était pas d'accord avec la réaction de la salle à l'intervention de son collègue américain (matinée du dimanche).

Il dit qu'il existe aux USA une espèce de crise de la psychanalyse qui s'y est amoindrie. Mais étant donné que les psychanalystes n'y ont pas montré l'efficacité qui aurait pu être la leur, cela devrait favoriser une renaissance. Ils ont encore beaucoup à apprendre sur la façon d'arriver à une plus grande efficacité thérapeutique, laquelle a une grande valeur auprès du public américain.

Saul Peña Lima se lève pour dénoncer la destruction sociale et politique, déguisée sous le modèle du développement, qui rend systématiques les crimes qui menacent l'humanité. La cruauté, libre de restrictions, marquée par le moralisme et identifiée à une autorité divine est une pathologie beaucoup plus grande que toutes les pathologies que l'on peut croiser dans tous les asiles du monde, c'est une perversion.

L'analyste doit prendre là-dessus une position éthique, c'est-à-dire accepter une responsabilité pour l'avenir. Car la psychanalyse si elle s'exerce via de levare, ne manque pas de s'exercer via de pore, même si, comme science conjecturale, elle s'intéresse plus aux concepts qu'aux lois. Il répond au collègue américain que, si l'autocritique est la meilleure critique, cela n'empêche pas que la critique des autres ne soit pas sans intérêt.

Pour lui, cette rencontre a une signification et une transcendance historiques. Il fait des vœux pour que tous les analystes soutiennent la liberté, que tous puissent choisir telle ou telle institution et qu'ils ne se considèrent jamais comme les seigneurs de la vérité absolue. Il observe que ce que nous allons faire de ce Colloque sera important dans notre histoire.

Silvia Fendrik (Argentine), se réfère à l'intervention de Caterina Koltai. En suite, elle se demande, en revenant à la conférence de Derrida: de quoi nous plaignons-nous ? De l'impossibilité de donner des réponses, du narcissisme des psychanalystes, du manque d'argent. Avec cela nous refusons de relever des défis. La psychanalyse doit savoir-faire avec la culture de notre époque et non pas se plaindre ; elle regrette l'absence de débat sur la sexualité et la cruauté dans les institutions ; observe que l'expression maximale de la haine est d'en finir avec la sexualité et que l'expression maximale de la cruauté est l'indifférence.

Chaim Katz (Brésil) prend ensuite la parole. Il évoque la tension entre le désir d'un idéal d'unité et le désir de la différence. Ce désir de la différence vient du Moïse de Freud qui fait du fondateur du judaïsme un non juif. Voici sa place, radicalement autre, et c'est là qu'est la place du psychanalyste.

Dans le monde actuel il faut au psychanalyste un pouvoir de création pour faire face au fait selon lequel dans l'horreur l'homme n'arrive pas à penser. Et ceci a de multiples formes, qui vont jusqu'à la nouvelle politique eugénique, à l'association entre le projet du génome et la ségrégation économique. Mais en ce moment, nous sommes un peu moins dans la détresse, à cause de ces États Généraux.

C'est alors que Michel Plon prend la parole pour proposer la création d'une revue cybernétique permanente avec souscription annuelle, l'objectif étant de construire une communauté de recherche, libre,. Cette proposition est votée et approuvée en séance pleinière. D'autres propositions sont soulevées, celle d'États Généraux permanents et celle d'une nouvelle rencontre, dans deux ans. Elles ne furent pas votées, laissant ainsi ouvert l'avenir des États Généraux de la Psychanalyse.

3. Quelques conclusions personnelles

Ce fut très important pour moi de pouvoir participer à ce Colloque. Il est devenu évident que le Brésil est aujourd'hui une référence psychanalytique dans le monde. En témoigne non seulement le nombre de ses participants (selon les chiffres locaux, un sixième des participants était brésilien, soit 210 personnes), mais aussi les questions qu'ils ont soulevées et leurs contributions aux débats. Le Brésil fut aussi cité par des collègues venus d'autres pays comme un pays où la convocation des États Généraux avait eu beaucoup d'écho (cela se voyait déjà sur le site Internet). L'importance du Brésil a été reconnue finalement sur le plan international, ne serait ce que parce que le portugais a été une des quatre langues officielles du Colloque, avec des interprètes à chaque réunion. Ce fut la première rencontre internationale extérieure, à laquelle j'ai assisté qui donnait une telle place au portugais.

Si d'un côté cela donne des raisons de se féliciter, de l'autre cela accroît nos responsabilités. Peut être, comme l'a dit Joël Birman, parce que nous avons une expérience du transfert que d'autres pays n'ont pas connue, car nous avons vécu sous des régimes dictatoriaux ; ou encore, comme l'a dit un autre collègue, parce que nous avons une expérience aussi longue de cette trinité maudite : misère, dictature et manque de psychanalyse. Question qui eut une grande incidence dans le Colloque : la responsabilité des analystes dans la valorisation des autres liens sociaux (Je me refère ici aux discours du maître, de l`hystérique et de l`université qui, à côté du discours de l`analyste ont été conceptualisés par Lacan comme les quatre discours qui font lien social) face aux discours " schizophrènisant " (comme a pu l'observer Athanase Tzavaras), ou face aux discours de la science et du capitalisme (comme l'a repris Helena Vianna à partir du travail que j'ai moi-même envoyé aux États Généraux), est si grande que l'on ne peut plus se contenter de dénoncer ces discours, ou pire encore, de s'en plaindre. Nous sommes responsables de ce que nous faisons comme de ce que nous ne faisons pas, qu'il s'agisse de nos échecs ou de nos succès et nous ne pouvons pas les attribuer à un Autre institutionnel au nom d'un " transfert de divan ", comme cela a été appelé : car cela impliquerait un transfert sur les institutions psychanalytiques à l'image de nos névroses infantiles.

Mais pour assumer cette responsabilité, quelques orientations ont été indiquées, et c'est cela qu'à mon avis il faut maintenant approfondir.

  1. En premier lieu, la nécessité d'approfondir la théorie. Il n'est pas possible d'avancer dans la psychanalyse sans prendre en charge le fait qu'il s'agisse d'une discipline qui va au-delà de la clinique (quelques-uns uns l'ont observé) et se constitue solidement sinon comme une science à l'image de la physique, du moins dans un corps théorique qui exige d'être vérifié à chaque fois que l'on veut le transmettre. La suggestion de Shevrin , selon laquelle il est important pour la psychanalyse de créer un corps de scientifiques de base, n'est pas complètement insensée si on l'associe à l'idée qu'avait Lacan de mathématiser la psychanalyse pour soutenir son établissement définitif dans la série des savoirs qui se développeront au siècle prochain.

    Pourquoi cela ?

    Pour faire face, justement, aux autres discours qui ne font pas lien social et dont la cruauté a été dénoncée dans ces États Généraux. Cruauté souvent travestie, dans la perversion qui dissimule son pouvoir, tant dans la politique et la science que dans l'économie, à travers la ségrégation et la souveraineté. La majorité des participants voit, dans la psychanalyse, la façon la plus efficace de faire face à la barbarie parce que la psychanalyse prend en compte l'impossibilité d'annuler la pulsion de mort. C'est parce qu'elle sait que la pulsion de mort existe, qu'elle en connaît la force, que la psychanalyse peut toujours résister à cela sans renoncer pour autant au discours de la science, sans renoncer au fait qu'elle est une des trois révolutions de la fin de ce millénaire : révolution politique et économique, révolution psychanalytique, révolution technique et scientifique.

  2. En deuxième lieu, la possibilité d'en vérifier les insertions pratiques. Cela est nécessaire dans la clinique (au-delà du mercantilisme), dans les institutions psychanalytiques elles-mêmes et dans les universités. Cela doit se faire sans que l'une se substitue à l'autre en essayant de s'approprier une légitimité sociale en dehors du contrôle exercé par ceux qui font un transfert à la cause freudienne. D'où également l'importance des institutions psychanalytiques comme espaces de respiration dans la solitude de notre pratique, comme lieu d'échange entre pairs mais jamais plus comme lieux de politiques totalitaires. Échange qui se fera aussi dans le contrôle de ces institutions elles-mêmes, dans les productions écrites et parlées, dans les espaces inter-institutionnels et internationaux, puisque la psychanalyse a déjà été déclarée, dans ces États Généraux, polygéographique, polyphonique et polyglotte.

  3. En troisième lieu enfin, la place de l'analyste. Du dispositif de la passe au rapport qu'il a avec la science, il est fondamental que l'on sache qui est l'analyste puisque à ce propos, et ici même, l'on ne s'entend pas. Voyons ainsi les quelques définitions proposées pendant le Colloque :

    • Poland : l'analyste est le témoin des personnes. Le premier a été Shakespeare.
    • Nasio : l'impératif de la psychanalyse est : sois ce que tu dois être, l'être du désir, et assume la culpabilité d'un surmoi qui est éminemment éthique.
    • Fedida : la clinique psychanalytique est la seule qui peut faire face à une médecine dévorée par les laboratoires.
    • Vanier : la clinique elle-même est un champ politique, où l'analyste exerce à partir de ses références
    • Sabsay et Avenburg : l'analyste est le seul qui travaille à partir de l'éthique et du transfert.
    • Mauraño : qu'est ce que nous entendons par "éthique"?
    • Shevrin : l'analyste est un maître.
    • Sonia Alberti (moi-même) : la psychanalyse ne se transmet jamais de la place du maître.
    • O'Connor : la tactique de l'analyste face à la psychose tourne au tour de la reconstruction.
    • Un collègue : l'analyste et le patient font un apprentissage mutuel.
    • Un collègue : la clinique est la seule chose qui peut être transmise en psychanalyse.
    • Un collègue : la clinique psychanalytique n'est pas transmissible parce qu'elle se fait entre deux personnes.
    • Un collègue : la clinique est intransmissible parce qu'elle touche l'objet a.
    • Un collègue : au-delà de l'analyse d'une personne, il y a l'analyse de groupe, de famille et des
    • institutions.
    • Katz : la place de l'analyste est radicalement autre.

De toute façon, il faut approfondir la question posée par Erik Porge : il y a une transmission DANS et DE la psychanalyse, il y a la psychanalyse en intention et en extension et, s'il y a des transferts imaginaires dans les institutions psychanalytiques, ils ne sont que des obstacles pour le transfert réel, seule version qui préserve toujours et encore la réinvention de l'analyste. Puissent les institutions psychanalytiques la soutenir au lieu de l'empêcher, comme cela fut souvent le cas, son développement.

Rio de Janeiro, le 1er août, 2000.