Pour voter : rendez-vous dans l’une des librairies participantes dont la liste est ici : http://www.oedipe.org/prixoedipe/2016

 

Ou cliquez sur ce lien http://www.oedipe.org/election-post/1/vote qui vous permettra de vous prononcer . Attention : ce lien est personnel . Il ne peut être utilisé qu’une fois et ne doit pas être transmis

 

Laurent Le Vaguerèse et toute l’équipe du « Prix oedipe des Libraires 2016 »

 

 

le cerveau et le monde interne

Mark Solms et Olivier Turnbull

Préface d’Oliver Sacks

PUF 2015

 

Par Benjamin Lévy

 

De par le fait qu'une cure psychanalytique et à plus d'un titre une psychothérapie analytique, suscitent des effets sur le réel, sur le corps, les affects, les processus de représentations au cœur de l’esprit de chaque membre du couple analyste-analysant, particulièrement à l'appui de l'expérience intersubjective et actuelle du transfert-contre transfert, je suis convaincu que la Psychanalyse a une valeur scientifique et thérapeutique majeure. Étant donné l'hypercomplexité (Morin) et la polymorphie (Freud, Lacan) des processus en jeux au sein du psychisme, la science est à ses balbutiements de la démonstration et de l'objectivation de la subjectivité humaine. Combien de psychanalystes se sont offusqués de l'ambition d'objectiver les processus subjectifs ? Pourtant l'irruption du transfert de la vie psychique infantile dans la relation actuelle de l'analysant à l'analyste, n'est-elle pas une forme (subjective) d'objectivation de l'Inconscient? Réciproquement, combien de neuroscientifiques se sont appuyés sur des hypothèses dites scientifiques, mais qui méconnaissent l'existence même de la subjectivité, particulièrement lorsqu'elles s'étayent sur des expérimentations animales qui dénient largement la faculté humaine du langage et a fortiori de la pensée propre à l'humain. Enfin j'identifie une troisième position des professionnels de la santé mentale, selon laquelle neurosciences et psychanalyse évoluent dans des champs non conciliables. Cette posture a un dessein politique qui humblement reconnaît les limites rencontrées autant dans les pratiques neuroscientifiques que psychanalytiques, afin de garder secret le véritable scandale suscité par la découverte freudienne : l’inconscient est un concept paradoxal autorisant le dépassement du dualisme corps-esprit. En réalité, cette troisième position entérine le clivage entre la psychanalyse et les sciences cognitives, comme la répétition du clivage entre l'inconscient et le cerveau, autre clivage entre l'esprit et le corps. Pourtant, essayer d'abolir le clivage serait une folle tentative, interprétée comme non-scientifique par certains neurobiologistes, ou comme une forme de toute puissance infantile par certains psychanalystes. Bien que ces remarques soient justes pour une part, d’inévitables paradoxes me semblent nécessaires au progrès de la thérapeutique. L'inconscient freudien n'est-il pas né d'une tentative de dépasser les paradoxes inhérents à la subjectivité humaine (Roussillon, Paradoxes et situations limites en psychanalyse, 2013) ? Au fondement des théories psychanalytiques, les concepts « limites » tels que la pulsion (comme interface corps-esprit), la sexualité infantile, la notion de conflit psychique et d’ambivalence, sont autant de concepts paradoxaux…

 

C'est dans ce contexte pour le moins houleux que j'accueille les ouvrages d’une science pour le moins paradoxale : la neuropsychanalyses avec un esprit critique mais avec curiosité et enthousiasme. Neurologie et psychanalyse sont aujourd’hui autant que lors de la publication des Contributions à l’étude des aphasies, plus que jamais inconciliables. Je doute que nous disposions actuellement de concepts qui nous permettent d'objectiver les processus subjectifs, pourtant je crois que la science y arrivera, comme Freud a su dépasser les paradoxes inhérents au fonctionnement psychique, pour fonder une discipline aux concepts paradoxaux, mais aux indubitables effets thérapeutiques.

 

L'ouvrage de Mark Solms, fondateur de la Société internationale de neuropsychanalyse et de Oliver Turnbull, professeur de neuropsychologie, est constitué de dix chapitres aux titres pour le moins ambitieux. Si le chapitre premier revient sur les concepts fondamentaux de la neurobiologie et de la neurologie, le second évoque des questions sur les hypothèses de fonctionnement du cerveau (dualisme esprit corps, monisme corps et esprit ; théorie localisationniste ayant émergé avec Broca, etc.). À la lumière de la clinique de patients ayant subi des lésions cérébrales, le chapitre la conscience et l'inconscient est selon moi, le chapitre qui fait le plus le lien entre les neurosciences et la psychanalyse. Le chapitre IV sur les Émotions et la motivation, reste inspiré de l'expérimentation animale. Il est peu question de fantasme dans le chapitre V Mémoire et Fantasme, et j'ai été surpris de ne pas y trouver de données concernant les neurones miroirs, mais surtout des classifications des mémoires procédurales, sémantiques (etc.) qui bien qu'intéressantes dans la clinique de l'Alzheimer n'ont que peu à voir avec l'imaginaire ou les délires des patients lambdas. Le chapitre VI Rêve et hallucination, soulève notamment les questions transdisciplinaires de l'origine du rêve comme souhait d'accomplissement, et de la fonction du rêve comme gardienne du sommeil. Le plus douteux, le chapitre VII sur l'Influence des gênes sur le cerveau, révèle certaines hypothèses caricaturales rapprochant les choix sexuels et les hormones. Plus palpitant, le chapitre VIII sur le langage et le fonctionnement cérébral revient à des observations de patients psychiatriques. Un petit paragraphe est consacré aux neurones miroirs dans le chapitre IX "Self et neurobiologie". L'ouvrage se conclut par une perspective d'avenir pour la recherche transdisciplinaire en neurobiologie/neurologie et psychanalyse.

 

L’hypothèse spécifiquement neuropsychanalytique de l’ouvrage tient dans la localisation de l'Inconscient freudien au sein du quart ventromédial des lobes frontaux (page 129). Cette hypothèse neuropsychanalytique est basée sur l'observation clinique de patient ayant subi des lésions bilatérales de ces zones corticales, et qui présentent des comportements d’allure psychotique schizophrénique ("Phinéas Gage revisité"). Chez ces patients, les cliniciens constatent des fonctionnements psychotiques (perte du sens du réel, dissociation et ambivalence schizophrénique) semblables aux caractéristiques de l’Inconscient freudien (Atemporalité, absence de contradiction, remplacement de la réalité externe par la réalité interne). En définitive, cette re-localisation de l'inconscient freudien n'est-elle pas un avatar des théories localisationnistes et de l’indépassable dualisme corps-esprit ? Il faudra attendre la page 353 avant qu'un des auteurs révèle la difficulté à dépasser ce dualisme : "Nous devons établir les corrélas neurologiques des concepts métapsychologiques qui forment les éléments des hypothèses psychanalytiques. Autrement dit, nous devons d'abord voir où les pièces de la théorie [psychanalytique] résident dans les tissus et les processus cérébraux avant de pouvoir les investiguer [...] selon les méthodes scientifiques". Comme un retour au temps pré-analytique, il s’agit ici de faire parler le tissu cérébral, comme on pouvait jadis faire parler la chair…

 

Benjamin Lévy