Michèle BENHAIM : " Les passions vides. "

Michèle BENHAIM : « Les passions vides. Chutes et dérives adolescentes contemporaines » Editions ÈRÈS

 

Michèle Benhaim est psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique à l’université d’Aix Marseille. Elle a aussi une longue expérience de consultations dans plusieurs lieux de vie et/ou de soins pour adolescents à Marseille. Elle a travaillé sur la position maternelle et publié : La folie des mères (Imago 1992), L’ambivalence de la mère : étude psychanalytique sur la position maternelle (Erès 2011) et de nombreux articles.

 

Son ouvrage part du constat d’une détresse maternelle primaire qui se manifeste aujourd’hui sous la forme d’une fonction maternelle à la dérive où les trois dimensions du holding, du handling et de l’object presenting ne remplissent que de plus en plus difficilement leur rôle : celui d’aider le nourrisson tant dans la construction de ses rapports à la réalité, qu’à l’altérité.

Ce qui fait l’objet de ce livre c’est l’ampleur des dégâts tels qu’on peut les découvrir à l’adolescence : l’autre primordial étant réduit à presque rien se retrouve dans les formes de « non-demandes » adolescentes : « il ne peut rien m’arriver ». Ces non-demandes n’installent pas le sujet dans la vie, mais dans une errance. Michèle Benhaim nous parle de ces adolescents « dont les manifestations énoncées ou agies (scarifications, rapport à la parole, tentatives de suicide…) semblent viser à une sorte de renoncement à soi, à un effacement de soi comme ultime recours à l’apaisement. « Se perdre pour être ». Paradoxalement les passions vides n’angoissent pas l’adolescent : elles semblent le soulager. Il y a « une sorte de faillite de sa propre représentation dans les mots ». En effet « faire le vide en passe également par se taire. Se taire pour oublier ? » Cela se décline notamment dans les conduites toxicomaniaques : « rapport passionné à l’objet qui pourrait faire oublier ».

Après avoir fait un détour par la construction de l’altérité qui revisite (passage obligé?) la vulgate lacanienne, les interrogations de l’auteure se tournent vers la construction de l’appareil à penser dans une perspective à la fois développementale et bionienne, me semble-t-il . Toujours est-il  que « le malaise prend aujourd’hui la figure d’un désastre qui reflète le passage du registre du symbolique, où se déploierait quelque chose de l’ordre du désir, au champ du réel où se déchaîne la jouissance qui lui est inhérente dans sa dimension d’excès de violence et de douleur » .

 

À travers l'étude de nombreuses vignettes cliniques, l'auteure aborde dans une approche psychanalytique la question des dérives de l'adolescence. Cette réflexion s'inscrit dans les débats actuels sur les comportements à risque des adolescents mêlant souffrance psychique et sociale et interroge la fonction maternelle qui ne remplit plus son rôle de structuration psychique du bébé et de construction de l'altérité.

 

Pour elle « la désubjectivation, consiste en la perte du recours en l’Autre. ». Sans Autre, pas de sujet, sans sujet pas de discours, sans discours pas de fantasme ». Or nous dit Lacan « pas d'autre entrée dans le réel que le fantasme ». On voit là le potentiel de destructivité que recèle la désubjectivation. « Lorsqu’on ne vaut rien pour l’Autre, autant qu’il disparaisse » !

 

Michèle Benhaim nous dit que l'urgence vient de ce que la clinique du maternel, comme celle de l’infantile ou du juvénile, témoignent de sujets perdus ou errants, voire de sujets qui dépérissent pour un autre imaginaire, parce que tout vaut mieux que les figures du vide, mais faisant par là même l’expérience d’une désubjectivation.

Face à cela il convient de suivre le conseil de Lacan : « toujours laisser une chance à la parole » ! Il convient donc, d’abord, de lutter contre les actuelles logiques soignantes des-humaines et comptables.

Cliniquement avec l’adolescent en difficulté : il faut souvent partir d’en deçà du transfert pour essayer d’établir un contact : « avant de pouvoir rencontrer celui-ci dans sa question sous-jacente » puis enfin , dans un troisième temps, « espérer voir s’installer une relation de confiance au sein de laquelle pourra, peut être, émerger une demande singulière. » Ceci permettra de rompre le tout ou rien de l’oscillation entre le vide et l’objet obturant le manque dans lequel l’adolescent est coincé.

Cette ligne de travail est longuement détaillée par l’auteur qui la nourrit de sa riche expérience clinique. Le praticien y trouvera de nombreuses matières à réflexion sur les différents aspects de la « fonction contenante » qu’il convient d’opposer à la contention.

Michèle Benhaim nous propose comme hypothèse de travail un engagement thérapeutique qui est « l’engagement de et dans la pensée (subjectif, désirant, social, éthique et politique) du clinicien qui « soignerait » les sujets les plus en proie aux vides, chaos, ruptures et répétitions… les ados illimités qui n’ont d’autre issue que de dé-border (à défaut d’avoir été bordé) dans des passages à l’acte retentissants, des mises en danger excessives ou des hallucinations persécutrices ».

Dans une perspective résolument winnicottienne elle explique qu’au-delà de la contenance il s’agit de développer une clinique du holding ; celle-ci, face aux processus de déliaisons mis en œuvre, permet de faire tenir ensemble l’informe, de rassembler ce qui dé-borde, d’interrompre les écoulements et d’engager sur le terrain de la représentation et de la symbolisation.

 

 

Nous n’avons rendu ici compte que d’une partie de cet ouvrage et nous invitons vivement le lecteur à le découvrir intégralement. Il convient notamment de saluer l‘ouverture conceptuelle encore trop rare qui tente de relier Lacan à Winnicott.
Ce n’est pas un livre à simplement parcourir ou pire à survoler. Il faut prendre le temps d’en découvrir chaque aperçu et de réfléchir à toutes les pistes de travail qu'il peut ouvrir.

 

                                                                       Frédéric Rousseau