Disparition de Dori Laub, figure importante de la psychanalyse des traumas, de la psychanalyse de l’extrême.

Nous avons appris la triste disparition de Dori Laub, figure importante de la psychanalyse des traumas, de la psychanalyse de l’extrême.

Bien que Dori Laub soit venu en personne présenter ses travaux au Séminaire de Françoise Davoine que nous fréquentions à l'EHESS, c'est au travers de la traduction de ses textes que nous l'avons plus intimement rencontré, dans l'approche de ses écrits, qui nous ont vite semblé nécessaires à une pensée psychanalytique sur le trauma.

Né en 1937 à Czernovitz (alors en Roumanie, actuellement en Ukraine), ce psychanalyste s’est principalement consacré aux survivants de l’Holocauste, à leurs descendants et aux victimes d’abus sexuels. Il a notamment travaillé à Austen Riggs Center, haut lieu de la psychanalyse des psychoses.

Déporté par les nazis à l’âge de 5 ans dans un camp situé en Transnistrie, il réussit à survivre ainsi que sa mère. Il émigre en Israël à 15 ans, fait un Master de Psychologie, avant de s’installer aux Etats-Unis et de poursuivre des études de médecine à l’université de Yale. Pendant la guerre de Kippour, il soigne les soldats qui décompensent sur le front et prend la mesure de l’impact des transmissions intergénérationnelles de traumas.

Lorsqu’il décide de recueillir les témoignages de survivants de l’Holocauste, il co-fonde les archives Fortunoff, Archives vidéo à Yale, aujourd’hui accessibles en ligne et qui ont recueilli plusieurs milliers de témoignages. Sa propre expérience des camps nous laisse des textes sensibles et généreux à la fois où se déploie la finesse et la force de sa pratique avec les survivants ainsi qu'avec leurs descendants.
Dori Laub s’est intéressé aux différentes formes de mémoire traumatique, à la complexité des liens d’empathie et à la catastrophe que constitue leur absence, qui fait renoncer à toute relation humaine. Comment ramener des souvenirs inouïs, délivrer les témoignages ? Pour cela, il convoque les notions de cercle vide, de dyade emphatique, comprend l'impossibilité de dire, soutient l'impératif de raconter, analyse la difficulté d’écouter des patients traumatisés. Nous avons été beaucoup soutenu(e)s nous-mêmes par son analyse puissante, prenant toujours le risque de l'inconfort et celui de l'écart avec la pensée convenue, et par sa volonté d'être efficace dans l'aide apportée aux personnes ayant eu l'expérience de situations extrêmes, en restant du côté de la vie et de l'espoir indéfectible.
Dori Laub n’a pas fondé d’école ; il a préféré semer autour de lui des repères, des encouragements à penser ce qui paralyse la pensée, pour dire ce qui au départ était indicible.
Nous lui rendons hommage par ces quelques mots,

"Je serai avec toi dans le moment même où tu me perds. Je suis ton témoin."