L'énigme conjugale. Psychanalyse du mariage

L'ÉNIGME CONJUGALE

Psychanalyse du mariage

Paul-Laurent Assoun P.U.F. Paris. 2018

 

 

Convient-il encore de présenter Paul Laurent Assoun ? Il est philosophe et psychanalyste, professeur émérite à l'université Paris Diderot Il est directeur de collections aux P.U.F., aux Éditions de l'Olivier, et Analyste Praticien adhérent d’Espace Analytique. Il poursuit une œuvre considérable :plus d’une quarantaine d'ouvrages de philosophie, de psychanalyse et d'anthropologie.

 

L’auteur mène sa réflexion à partir de trois axes : anthropologique, historique et, bien sûr psychanalytique mais c’est sous ce denier aspect que Paul Laurent Assoun interroge le mariage. Ceci le conduit à souligner ce paradoxe qu’il décortique longuement dans son ouvrage le mariage « ne cessera d'être en crise, mais aussi qu'il ne cessera de ne pas disparaître ». Cela lui paraît inhérent à la place institutionnelle de celui-ci.

L’ouvrage part d’une approche d’anthropologie psychanalytique sur la conjugalisation de la « morale sexuelle civilisée » on y trouve au passage une réflexion sur le mariage de Sigmund Freud avec Martha. Suit un retour historique sur les avatars de l’institutionnalisation conjugale.

Le mariage est un contrat fondateur de jure du rapport homme- femme, un lien de réciprocité mais qui débouche bien souvent de facto sur un assujettissement. L’auteur explore ensuite les interactions entre « le malaise de la culture » et la crise des idéaux conjugaux. Il souligne que l’Eros conjugal est pris entre la pulsion de vie et la pulsion de mort ce qui lui permet d’expliquer comment la haine peut émerger dans « le bonheur conjugal » et l’agressivité recelée au sein de l’Eros détruire le lien conjugal.

 

On ne peut pas dire que tout mariage est masochiste, mais, nous fait remarquer P. L. Assoun, « on peut parler du travail du masochisme dans la conjugalité ». Il pointe le fait que le mariage où l’on retrouve la sujétion contractualisée peut éclairer à son tour le masochisme (contrat, dépendance, durée de mise à l’épreuve, : le sujet se fait librement objet : transformation du sujet en objet de l’autre !) et il ajoute à propos du mariage : « On trouve à l’examen un contrat de sujétion tacite dissimulé en quelque manière derrière le contrat officiel qui pourrait montrer pourquoi ce n'est pas seulement un effet du temps et de ses ravages qui explique le fameux « dépôt des sentiments inamicaux », mais l’expression d'un élément de structure en germe dans le processus dès l’engagement. conjugal ; La vérité masochiste ? en quelque sorte théorique de la relation ? ne cesse de se confirmer pratiquement. »

Ceci nous permet effectivement de mieux comprendre « l'enlisement masochiste aux formes parfois délétères, d'un lien conjugal inauguré sous les meilleurs auspices de vitalité érotique. On y retrouve les manifestations les plus troublantes que ce que l'on peut tenir pour « masochisme conjugal, de la même façon, souligne t’il le besoin de punition trouvera dans l'espace conjugal un champ d'expression incomparable et redoutable ».

D’autres développements font l’intérêt de ce texte je ne peux tous les citer. Il y a notamment un questionnement passionnant sur le rapport entre structures inconscientes et conjugalité qui interroge le mariage dans ses rapports aux différentes psychopathologies.

Je retiendrai, pour ma part, la question du choix d’objet : car peut on parler vraiment de choix si « c’est mon fantasme et non mon Moi qui choisit l’objet ». Freud nous avait déjà alertés en s’intéressant à la figure « du choix d’objet rabaissé et à son corollaire le fantasme de sauvetage de l’autre. Dans cet agencement on retrouve les traces du roman familial infantile et surtout l’inscription des organisations œdipiennes voire pré-œdipiennes. P.L. Assoun consacre de longs développements à ce sujet dans la seconde partie de son livre. Pour le garçon par exemple un objet féminin plus noble, censé nanti, pourrait lui faire perdre ses moyens et ne polariserait pas son désir.

Ce constat fréquemment fait peut paraître cynique. Il faut cependant noter que ce travail psychique assure une mobilité sociale, un changement de statut autrement impossible. « L'inconscient vient ici déjouer la loi de ce qu'on appelle l’« homogamie » ou « l’isogamie », qui incite à trouver un conjoint dans le même milieu et avec le même niveau social : l’inconscient enjambe, ponctuellement, par sa puissance hétéroorgasmique, les classes sociales. »

 

Mais il faudrait aussi parler du côté féminin de l'équation du choix conjugal. L’auteur reprend une idée intéressante développée par Freud : le secret est inhérent à la vie amoureuse de la femme, il est consubstantiel au désir de celle-ci : il écrit à ce sujet « d’où l’effort chez beaucoup de femmes, pour préserver encore pendant un certain temps le secret de la relation, même dans le cas de relations autorisées, ou chez d'autres femmes, la capacité d'avoir des sensations normales dès qu’est rétablie, dans une liaison amoureuse secrète, la condition de l'interdit. », « Les amours inavoués couvés dans l'intimité, comme la constitution d'objets fantasmés dans le journal intime en sont le témoigne dès l'adolescence. Le partenaire lui-même doit rester marqué d'un saut d'inconnu, comme dans « le bal masqué » ».

On comprendra dès lors que l'affichage que représente le mariage risque d'étouffer l'amour qui avait porté vers celui-ci ! Pour la femme, passer de l'homme au mari nécessite de lui consacrer le transfert de pouvoir consenti au père « mais le risque de déception est grand : au lieu du père auquel elle demande à l'homme choisi d'assumer le remplacement elle trouve le pire. »

 

L’ouvrage, on l’aura compris est loin d’être optimiste et à mille lieux des écrits lénifiants de conseil conjugal et autres codes de bonne conduite sociale. Mais il nous invite à réinterroger la clinique de ces souffrances insidieuses et/ou tragiques que nous confient nos patients.

C’est un livre qui mérite d’être lu surtout si l’on accepte le côté foisonnant des pistes ouvertes qui ne sont pas toujours systématiquement parcourues on y retrouve les traces du foisonnement des œuvres de l’auteur.

Une petite critique cependant il y a parfois une fascination pour des tournures recherchées qui ne facilite pas toujours la lecture même si l’esprit peut souvent y trouver beaucoup de plaisir.

 

 

Frédéric ROUSSEAU