Croyances et religions Quels effets en psychiatrie psychothérapie et psychanalyse

 

  1.    CROYANCES ET RELIGIONS
  2.    Quels effets en psychiatrie, psychothérapiepiet psychanalyse ?

 

Sous la Direction de Patrick BANTMAN Éditions IN PRESS Paris 2018

 

 

Les actes des deuxièmes journées franco-israeliennes de psychiatrie-psychothérapie- psychanalyse qui se sont tenues sur ce thème en novembre 2017 à Jérusalem sont publiés dans cet ouvrage.

Ce colloque se situait à la croisée de plusieurs approches, ce qui fait l’intérêt de ce recueil : Il part en effet du constat que le phénomène religieux est peu étudié en psychiatrie et en psychopathologie. Il soulève deux questions importantes : Pourquoi éprouve-t-on en tant qu’être humain le besoin de croire ? Comment articuler la croyance et le religieux ?

Selon Henri Atlan « Les croyances demeurent un rouage essentiel de notre rapport au monde, une articulation fondamentale de la pensée indispensable à la connaissance, l'intelligence et la liberté. » Julia Kristeva souligne : « L’être humain n'aura pas d'existence sans l'idée de croyance non pas en la religion, mais croyance en la possibilité d'exister qui porte tout l’être. »

Même dans notre monde qui se veut rationnel on ne peut pas s’affranchir des croyances. Sigmund Freud, optimiste, pensait que la croyance disparaîtrait : « L'abandon de la religion aura lieu avec la fatale inexorabilité d'un processus de croissance » écrivait-il dans L'avenir d'une illusion. Il ne soupçonnait pas l'importance que prendrait le fait religieux dans le monde contemporain ainsi que les mutations que ces manifestations entraîneraient.

Ce colloque de Jérusalem, ville où la religion est omniprésente, s'est centré sur la manière dont les formes émergentes actuelles de religiosité sont amenées à influencer la pratique psychiatrique et psychanalytique dans ses différents aspects. Il y a des croyances qui rendent malade : voire les processus de radicalisation, mais il y a aussi des croyances qui soignent ou qui étayent les processus de soin comme le montre le travail avec les psychotiques qui a retenu l’attention de plusieurs intervenants. La fonction des croyances , quelles qu’elles soient, n’est-elle pas de maintenir l’homéostasie du psychisme ? On ne peut échapper totalement à une modalité ou une autre du croire, encore faut-il se rappeler que l’on peut toujours changer de croyance : elle n’est qu’un objet substituable.

Les 28 interventions ont été regroupées sous cinq rubriques qui organisent l’ouvrage

  • •  La place de la croyance dans le cycle de vie.
  • •  Comment le symptôme peut-il être lié à des pensées religieuses ?
  • •  Les effets de la croyance dans la culture et l’influence des rituels religieux en psychopathologie.
  • •  Croyance, radicalisation et extrémismes, théorie du complot.
  • •  Le besoin de croire : Croyance dans la science, Croyance dans la vérité. Quand la théorie devient croyance.

Il serait peut-être fastidieux de citer chacune de ces communications, je pense que le lecteur saura trouver les pistes qui l’intéressent et se confronter à celles qui le surprendront. Pour ma part j'ai été très intéressé, entre autres

  • •      Par l'intervention d'Antoine Devos : « Si Dieu était psychotique ? » qui aborde la question de la fréquence des thèmes religieux dans les délires psychotiques ; il déploie ce thème en s’appuyant sur les travaux de Tosquelles, Oury, Maldiney et Levinas.
  • •      Par celle d’Henri Cohen Solal : « La croyance de Freud dans la Civilisation et la science. » Il montre comment Freud considérant « la religion comme étant au service des forces de destruction propose d’abolir cette présence néfaste et régressive et de lui substituer la Civilisation et la Culture comme principe fondateur de l’humanité » ;
  • •     Celle, fort intéressante, de Raymonde Samuel Roubah sur « L’efficacité des rituels symboliques » qui approche cette question à partir d’exemples de rituels de naissance et de la petite enfance, dans les sociétés juives traditionnelles d’Orient.
  • •     Ilan Treves ose poser la question « La psychanalyse est-elle une religion ? » : Si la psychanalyse a pu démystifier la religion et dénoncer son illusion, est-elle elle-même à l’abri de celle-ci ? Songeons dit-il « à cette tendance parmi les psychanalystes à confondre théorie ou modèle théorique et croyance ». Il pointe les analogies entre transfert et croyance tant dans la cure que dans la transmission au sein des Sociétés analytiques. « Dans le fonctionnement de la communauté psychanalytique en tant que groupe, le retrait dans la religiosité dépendra de la façon qu’occupe le maître dans le fantasme de chacun. Si la figure du maître est idéalisée, à la limite du sacré, le risque est que toute interrogation, tout doute, toute mise en question, soient interdites sous prétexte qu’une telle transgression risque de porter atteinte à l’ensemble la communauté : la théorie glisse forcément dans le champ du dogmatisme. »

 

Je reprendrai volontiers en conclusion et comme une invitation à lire cet ouvrage un fragment de l’intervention de Viviane Chetrit-Vatine :

« Pour Levinas la croyance (ne vient pas de la détresse mais plutôt de la déstabilisation du sujet dans son bien-être, déstabilisation provoquée par la rencontre avec l'autre. Je soutiens que cette croyance autant que l'éthique, ne relève ni de la culpabilité, ni d'une nécessité de survie et donc sollicité par la détresse, c'est-à-dire ni d’une position masochiste ni d’un narcissisme en péril, mais d’une capacité humaine spécifique, la capacité matricielle située en amont de tous ces déterminants mêmes s'ils peuvent en participer et fonctionner virtuellement comme bruit et brouillage. Il me semble important, dans le cas de nos interventions psychothérapeutiques de donner leur place aux différentes sortes de croyance tout en veillant au développement éventuel d'une plasticité suffisante, qui ne donnerait pas la suprématie quant au fondement de la croyance à la seule détresse (in fine, notre travail devrait permettre une transformation réitérée des pulsions sexuelles de mort en pulsions sexuelles de vie, et avec elles, l'éventualité de la mise à découvert de la potentialité chez chacun d’une capacité de croyance/confiance et, relié à cette capacité, celle d'une capacité agrandie de responsabilité pour l'autre. ».

 

Frédéric ROUSSEAU