Gilets jaunes...
...Psychanalystes
L’actualité nous fait vivre un grand moment où l’appartenance au « peuple français » prend son sens historique. Qu’est-ce que ce « peuple », sinon depuis les gaulois, les jacqueries incessantes contre la gabelle et – entre autres – la révolte contre un roi félon, la Commune de Paris, Mai 68 ? Nous appartenons à ce peuple mosaïque qui aujourd’hui mélange les bretons, les lorrains, les juifs devenus français à l’heure où la tête du roi tombait, les enfants de harkis, les noirs d’Afrique : oui, ils sont tous « français » quand vient l’heure de mettre un rêve en commun. Ça flambe ! Quoi donc ? De simples gens par milliers avec leurs pensées bariolées qui d’un coup rêvent ensemble : c’est plus fort que leurs différences.
Hier, celui qui détestait les arabes se retrouve autour d’un braséro, au côté de l’un d’eux à boire un café. Il lui dit tout juste… : « Je veux vivre... Et toi ? – Je revis dès que je suis près de ce brasero ».
Sans gilet jaune, Freud est toujours jeune ! Qui sont les psychanalystes, sinon les serviteurs de rêves mis en commun, dont nous avons quelques clefs ? Jusqu’au désastre de 1933, Freud fut cette grande figure libératrice d’une Vienne multicolore. Il y ouvrit des dispensaires gratuits. Il intervint dans la rédaction de lois sur le mariage, pour plus de liberté. Freud écrivit à propos de la psyche qu’elle est aveugle et sourde :

Weiẞ nicht Davon ! « Elle n’est pas au courant » (elle s’en fout). A quoi sert l’analyse sinon à libérer son sujet ?

« L’inconscient, c’est le politique », écrivit Lacan. Car la Res Publica s’ordonne selon des rêves mis en commun. Sinon la psychanalyse ne serait qu’un instrument d’oppression de plus, prêchant la soumission, reproduisant dans les cures l’idéologie en cours, ses silences, et ses régressions. Freud n’était pas comme ça, il parlait, il libérait, comme Lacan, Dolto et bien d’autres. Ceux qui prônent une prétendue « neutralité » de l’analyste (terme que Freud n’a jamais employé) acceptent déjà le statu quo.

Traum einer Ding : « Notre devise doit donc être : réforme de la conscience - non par des dogmes - mais par l’analyse de la conscience mystique inintelligible à elle-même, qu’elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. Il apparaîtra alors que depuis longtemps le monde porte le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement. » écrivit Marx.
Mais voilà ce qui arrive : le grand rêve de cette Chose Commune se heurte à la pauvreté des choses quotidiennes qu’il faut affronter : quoi de plus pauvre que de demander « je veux vivre de mon travail » ? Quoi de plus pauvre que de vouloir que les enfants puissent étudier, comme les lycéens le font, eux qui sont mis à genoux les mains sur la tête.
Nous aussi psychanalystes, nous faisons des demandes d’apparence modestes. Nous faisons partie des pauvres lorsque nous demandons la levée du Numerus clausus (car il est toujours effectif, en dépit des annonces) ; une formation des psychiatres et des psychologues qui leur apprenne quelque chose de la psyche ; la fin du règne de Big pharma qui impose de faux diagnostics et les médicaments qui empêchent de rêver. Nous sommes liés à ce mouvement. La psychanalyse est toujours jeune sans avoir à enfiler de gilets jaunes. Elle apporte une compréhension politique élevée à ce moment historique que nous avons à partager.
 

Maria Etienne Arreguy, Jean-Marie Fossey, Elsa Godart, Hélène Godefroy, Gorana Manenti, Emerique Maria, Rosa Navarro-Fernandez Gérard Pommier, Rosangela Ribeiro dos Santos, Jean-Jacques Tyszler, Laure Westphal