Des fondements de la clinique psychanalytique

Sur l'auteur

Erik Porge est psychanalyste à Paris. Praticien hospitalier à temps partiel, il est responsable d'un CMP enfants-adolescents. Ancien membre de I'EFP jusqu'à sa dissolution, il est actuellement membre de La lettre lacanienne, une école de la psychanalyse. Cofondateur de Littoral, // dirige la revue Essaim. Lecture de l'ouvrage de'Erik Porge : Des fondemements de la clinique psychanalytique, « Point Hors Ligne », Erès, Février 2008. J'ai lu récemment le dernier livre d'Erik Porge avec beaucoup d'attention. C'est le genre d'ouvrage qu'on peut lire un peu trop vite pour des raisons que je vais exposer par la suite.Cet ouvrage-éclair parachève une série qui montre suffisamment l'engagement de son auteur sur les voies de la transmission de la clinique, et nous reconnaissons à bon droit l'actualité de son propos. En effet, on est tenté d'admettre un lien serré entre, d'une part, la situation de précarité dans laquelle se trouverait actuellement la psychanalyse, par une remise en cause de son efficacité, et d'autre part, la nécessité d'en démontrer les fondements. Pour Erik Porge, nous vivons le troisième moment[1] de la psychanalyse et parler des fondements de la clinique psychanalytique c'est en quelque sorte la tirer hors de la vulgarisation à laquelle on la voudrait promise – bien que, selon nous, elle n'ait nullement besoin d'un Autre pour se compromettre. C'est donc à l'intérieur même des modalités factuelles du discours psychanalytique qu'il faut opérer afin de rétablir ce qui en fait son essence, comme son acte. L'auteur nous fait traverser l'essentiel de ce sur quoi se fonde la clinique psychanalytique en le serrant entre deux seuls termes eux-mêmes fondamentaux : la coupure, et le retour ; bien qu'il s'agisse en fait des deux effets d'une même opération topologique. Au cœur de l'exposition, c'est donc bien le lien entre clinique et transmission qui est visé (son livre précédent[2] tentait déjà d'en situer les linéaments.) Quiconque a suivi, lu suffisamment l'enseignement de Lacan, ne sera nullement surpris du privilège donné à ce/ces termes : coupure de la demande et de la pulsion / coupure du sujet et de l'objet dans la formule du fantasme / sujet comme coupure de s1/s2 / coupure de la séance / coupure du cross-cap / l'objet comme coupure / coupure entre savoir et vérité sans parler du style de Lacan, du tranchant de l'analyste[3]. Pour ce qui est du retour, il va en quelque sorte de soi – c'est topo-logique – il est l'opération par laquelle une psychanalyse peut et doit situer sa coupure : retour sur le lapsus qui vient d'être dit, retour dans l'effet d'après-coup, c'est la coupure même. Et si l'on songe que c'est par son retour à Freud que Lacan a pu faire du Lacan dans le même temps que s'opérait une coupure fondamentale avec les hommes de Chicago, on tombe de plain-pied dans ce double regard auquel l'auteur nous convoque tout au long de l'ouvrage. C'est précisément là une pente possible à laquelle j'ai cru dès l'introduction. Cette pente consiste à revisiter le développement d'une conception – lacanienne en l'occurrence – à partir d'un ou deux éléments aux seules fins de nous ébahir – pas sans une sourde complicité avec l'auteur – derrière les paravents d'une catastrophe imminente. Je ne dis pas que ces ouvrages sont légions, mais ils sont suffisamment nombreux. Le thème m'est donc apparu naturellement comme à l'épreuve d'une forme triviale dans laquelle il pouvait sombrer. Je dis tout de suite que ce livre, selon moi, sort du lot et qu'en tout cas il ne penche pas du tout de ce côté-là. L'auteur nous surprend d'ailleurs par certains thèmes que l'on aurait presque oublié comme ces quelques belles pages sur ce qu'il re-baptise « l'attention également en suspens » - soit ce qu'il ramène à cette coupure par l'objet a du silence. Un jeune psychanalyste y trouvera non pas des conseils mais d'heureuses explications sur le lien entre la position de l'analyste en début de cure et ce qui se passe en fin de partie pour l'analysant. On s'en convainc aussi, et ce, dès le premier chapitre où il nous met en garde contre l'idée selon laquelle les nouvelles pathologies renouvellent, et par là, supplantent la clinique et ses fondements. Certes la psychanalyse n'est pas l'emplâtre d'une psychiatrie qui trouvait et trouve encore plus aujourd'hui son mode de renouvellement par la surdétermination de nouveaux éléments pathogènes. Ce en quoi, d'ailleurs, on ne saurait sauver la clinique, mais seulement un mode d'accès à cette dernière ; accès qui a justement ceci de singulier dans l'acte analytique : celui de ne pas faire science. Le risque n'est-t-il pas, comme incite l'auteur à le penser, qu'elle cherche à se défendre sous les auspices de l'évaluation, si concrète soit-elle. Nous sommes d'accord : l'on pense à certains qui déjà avancent armés de leurs chiffres et viennent seulement de s'apercevoir à quel point la demande analytique s'est pour eux transformée en demande de soins. Espérez seulement qu'elle puisse être une science ! disait Lacan, mais sous la seule forme de l'expérience et de ses conditions. Qu'elle est l'expérience ? Quelque chose d'assez délirant – toujours Lacan – et qui trouve ses conditions dans une pratique de bavardage. Toujours d'accord - c'est même ce qui institue la psychanalyse depuis Freud. C'est donc là où justement le tranchant de l'analyste opère. Mais là, l'auteur ne cédant pas sur son objet, il n'y a de coupure au sens analytique que si ledit analyste, peu bavard comme il se doit, accepte de s'inclure lui-même dans et par cette coupure, à l'intérieur de la pratique de bavardage. Cette inclusion est l'occasion pour l'auteur de nous faire sentir à quel point celle-ci se propage « hors » de la séance, dans ce qui noue psychanalyse en intension et psychanalyse en extension. Plus l'analyste comprend, plus il est compris – c'est le côté néfaste de la non reconnaissance de cette double inclusion. D'où cette facilité que l'auteur dénonce concernant l'usage de la vignette clinique - vignette taxée de « faire valoir », d'ornement. Ici encore, avec clarté et justesse on saisit en quoi ce refus d'inclusion du thérapeute dans son acte le défait d'avec ce dernier. Combien d'ouvrages en effet se réduisent à des récits de cas - trois petites trouvailles et puis s'en vont faire un livre sur l'autel de la réussite et de la performance. Puis, enfin, la passe, même si de bout en bout elle apparait au cœur de du tressage que travaille l'auteur. Celle-ci apparaît en effet comme la pierre angulaire de la transmission. Mais pierre angulaire n'est pas nécessairement pierre de touche. Pour l'auteur, la transmission passe aussi par la passe, et l'impasse à laquelle Lacan l'a renvoyée n'aura eu d'autre effet que d'en renouveler le concept. Toutefois, l'important étant de s'entendre sur la question de la nomination, prise ici entre la nomination comme métaphore ou comme trou (le « nom de nom de nom».) Question traitée façon intéressante au regard du fait que c'est un dispositif inventé par Lacan et que l'auteur nous fait parcourir le procès même de son mode d'investigation – une investigation labyrinthique qui tente de cerner la traduction de la Beteutung freudienne suivant l'opposition entre la dénotation et la nomination – ces recoupements (Lacan lisant Frege lu par Russel, eux-mêmes relus par Carnap) traduisent à la fois la coupure que cherche Lacan et son nécessaire retour. La boucle est bouclée – c'est le cas de le dire. Le livre se termine logiquement par une présentation de la coupure selon son mode graphique, à travers des objets topologiques sériés par des indications qui sont autant d'invitations au lecteur de se rompre à cette matière. Manière de mieux nous dire que le progrès même du livre est dans les pas de son inventeur. On peut tranquillement avancer avec l'auteur que la topologie lacanienne procède de cet évidement de l'imaginaire, du signifié, en ce qu'elle consiste en un forçage pour nous déprendre du champ de l'herméneutique. L'invite à nous rompre au mathème, puis à la topologie, montre suffisamment que Lacan offre un champ opératoire, et non pas un modèle La question que je poserais à l'auteur est la suivante : pourquoi, puisque le livre se termine sur un « vocabulaire analytique topologique courant », pourquoi donc nous inciter après cette réduction topologique à la coupure – cependant très bien ficelée, tressée avec les thèmes qu'il aborde – pourquoi un retour à un lexique ? Plus globalement, il y aurait beaucoup à dire sur ce fait bien connu chez les philosophes notamment, que la transmission d'une praxis trouve sa forme achevée dans le renouvellement de sa langue d'origine. Pour être plus précis, la recherche des fondements d'une discipline n'a d'autre orientation que le crédit fait à certains termes de ne pas trahir l'acte juste que l'exercice de cette discipline même est en passe de trahir. D'où cette forme de nécessité que l'on recherche dans le concept qui finira tôt ou tard par faire vocabulaire. Robert Bitoun. [1] Le premier moment étant situé par l'auteur en 1926 autour de la question de l'analyste profane traité par Freud. Le second en 1956 avec l'article de J. Lacan « Situation de la psychanalyse en 1956 » [2] Transmettre la clinique psychanalytique, Freud, Lacan, aujourd'hui, Erès, 2005. [3] Par association, je me suis souvenu de cette comparaison que Freud a pu faire à propos de la valeur et de la précision de l'acte psychanalytique avec celui du chirurgien à propos duquel on pouvait mieux en comprendre le coût élevé de la cure. --

Critiques du livre

Des fondements de la clinique psychanalytique. Erik Porge Érès
J’ai lu récemment le dernier livre d’Erik Porge avec beaucoup d’attention. C'est le genre d'ouvrage qu’on peut lire un peu trop vite pour des raisons que je vais exposer par la suite. Cet ouvrage-éclair parachève une série qui montre suffisamment l’engagement de son auteur sur les voies de la transmission de la clinique, et nous reconnaissons à bon droit l’actualité de son propos. En effet, on est tenté d’admettre un lien serré entre, d’une part, la situation de précarité dans laquelle se trouverait actuellement la psychanalyse, par une remise en cause de son efficacité, et d’autre part, la...
Des fondements de la clinique psychanalytique
— Le trajet que nous proposons fera se dissiper le mirage de ce qu’on appelle « nouvelles cliniques », qui ne sont que des tentatives désespérées de sauver du naufrage la clinique psychiatrique. Elles s’inscrivent dans une clinique des normes et non de la loi pour reprendre une distinction de Michel Foucault 4 Erik Porge nous livre ici un condensé d’un retour aux fondamentaux de la psychanalyse qui, dans une société en crise, s’impose selon lui aux psychanalystes. En reprenant l’argumentation de son précédent ouvrage consacré à la transmission de la clinique psychanalytique 5 dans lequel il...