A l’étalage, on se saisit de ce livre. Le titre et l’éclat de rire de Marylin MONROE suscitent l’intérêt.

Il est vrai que l’analyse du rire est restée inessentielle ou négligeable au registre de la psychanalyse. Le rire demeure quelque chose à faible autorité clinique et théorique.

Certes de nombreux spécialistes ont trituré leurs neurones pour expliquer le mécanisme du rire. Mais avec Daniel SIBONY, nous disposons d’une nouvelle approche. Il interroge en effet les différents sens du rire en dressant un catalogue de ses diverses formes.

Pour ce faire, à partir d’un symptôme, d’une phrase de Raymond DEVOS ou d’humour juif, il convoque BERGSON, FREUD, BAUDELAIRE, et bien d’autres éminents auteurs qui ont étudié certaines particularités du rire.

Tout d’abord Daniel SIBONY compare « les points de vue de BERGSON et de FREUD sur le rire et estime qu’ils ne sont pas différents ». Pour BERGSON, « le rire est le choc entre l’humain et l’automate », pour FREUD « c’est le choc entre le visible et le retour du refoulé ».

Aussi l’originalité de Daniel SIBONY tient en ce qu’il reprend leurs essais en élargissant le sens, utilisant à cette fin des notions parsemées dans tout son livre : « L’entre-deux, le jeu, le cadre et les frontières, les cassures d’identité, l’événement d’être qui le secoue ».

Un exemple : BERGSON dans son essai « Le rire » s’est fixé sur le rire de situation : « Charlot sortant de l’usine qui serre les boulons et pince le nez des passants ».

L’idée de BERGSON revient à dire que c’est l’automate, le mécanique qui s’impose, se répète et fait rire. Le rire est le choc entre l’humain et l’automate.

Daniel SIBONY démontre que ces deux niveaux permutent et que l’un peut passer pour l’autre. On peut s’identifier à Charlot étant pris dans un déterminisme, mais c’est lui qui est objet du rire, alors on s’en désidentifie, et on rit de reporter sur l’autre le trait comique . « Ce n’est pas moi, c’est lui qui a ce défaut ».

Ainsi, du rire de situation de BERGSON, nous passons avec Daniel SIBONY, au rire d’identification et au rire de la négation.

Chaque ligne est un prétexte à dégager des traits pertinents qui enrichissent le sens du rire qu’il vient d’analyser.

Continuons par cet exemple : si Charlot poursuit son geste avec la clé à molette, il peut avoir des surprises : tomber sur un nez quasi absent, ce sera un autre éclat de rire.

Le rire du grotesque se rabat sur le rire de situation, c’est la rencontre de deux rires qui dit : cela dépasse tout ! Le rire du grotesque déborde l’identification.

Ainsi sa méthode est une incessante relance interprétative du rire : rire de joie, rire en groupe, rire fou… nous entraînant vers d’autres notions, et vers d’autres espaces de jeu.

Le rire, le jeu et la culture sont inséparables, Chaque terme est un moyen d’appréhender les autres. Il est construit par et à partir des autres.

C’est ainsi que Daniel SIBONY montre que l’humain et l’automate s’entremêlent, et sont aux prises l’un avec l’autre, en un jeu de cache-cache, de croisement,de retournement,de dédoublement, impliquant le hors jeu, la loi, le hors la loi, les limites et les frontières .

« Et le rire qui va en principe dans le sens de la vie, fonctionne comme décharge symbolique traversant les entre-deux ».

Si ces démonstrations sont d’une grande rigueur, elles sont toutefois pleines de vie et exemptes de tout jargon.

Lorsque Daniel SIBONY donne son point de vue sur l’humour, il s’écarte de la complexité des énoncés freudiens sur le plaisir humoristique, se gardant d’utiliser la psychanalyse comme grille d’explication, pour rester au plus près de ses vivantes associations.

On ne peut que faire l’éloge de ce livre qui remplit pleinement l’objectif qu’il s’est fixé dans son titre.

Le présent travail sur les sens du rire n’a pas pu s’écrire sans le mettre lui-même en relation avec d’autres domaines : philosophie, littérature, art, topologie… et que tout cela même à l’édification d’une œuvre.

La créativité influencée et déterminée par l’écoute analytique, ouvre la voie à un discours où la subjectivité de l’auteur demeure.

Il paraît évident que Daniel SIBONY aime toutes ces histoires qu’il raconte, qui lui sont familières et dont l’essentiel s’occupe de l’Homme.

Il en résulte que la présentation de ce livre peut séduire bien des hésitants.

En effet le défi de Daniel SIBONY est de s’adresser aux spécialistes de la psychanalyse aussi bien qu’aux profanes.

Certes celui qui écrit sur et dans un domaine où il est compétent, ne peut se dispenser d’une écriture dont la rigueur puisse être reconnue par ceux qui détiennent également cette compétence, mais n’exclut pas un plus large public « qui ne reculera pas devant le risque de trouver du plaisir à le lire ».

Néanmoins le contenu de ce livre impose au moins deux ou trois lectures, une pour le plaisir, la deuxième pour comprendre. Je me souviens de l’emballement des premiers moments où j’ai admiré l’érudition et la culture de l’auteur. Mais après une centaine de pages de ce régime, désarmée par la permanence du plein de sens qui m’avait d’abord charmée, ma lecture s’est ralentie, lasse des allers-retours textuels, des inévitables répétitions, pour m’arrêter de nombreuses fois, reprendre et me dire : « Le rire ? Ne m’appelez plus pour ce sujet. Je n’y suis pour BERGSON ! ». ( cf Francis BLANCHE ).

Je ne sais pas pourquoi ce livre donne avec tant de force le sentiment d’une lecture nécessaire ?

Sans doute pour en aborder une troisième, inspirée par une écoute flottante afin de saisir les chaînes signifiantes et déceler la clef de ce livre ; cette clef se trouve précisément dans l’introduction et la conclusion.

Du coup on découvre en Daniel SIBONY la bienveillance, le goût du jeu, l’humour, laissant pressentir une éthique travaillée avant tout par la notion de vie, de croyance dans l’être.

Michèle Morin

Groupe de lecture d’Angers