Le risque n’est pas un mot auquel on prête attention. Synonyme de danger, de pari, il a mauvaise presse. Risques personnels, petits, moyens, grands, universels, particuliers. Ce livre se propose de révéler toutes les sonorités de ce concept inexploré qui loge en lui des résonances très diverses. En cinquante courts chapitres, Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, dissèque autant de situations dites risquées de la vie : la passion, l’inconnu, la dépendance, l’addiction, la révolution, la solitude… ou pas forcément repérées comme telles : la liberté, la parole, la beauté, l’avenir, l’amitié, la famille…

Autant de vignettes où l’auteur a avec nous un rapport de découverte par rapport à son sujet. Avec lui nous partons sans boussole. Chaque thème de chapitre est un objet d’étude à part entière, quelquefois un prétexte. Ouvrage limitrophe de la psychanalyse mais qui en ouvre les facettes pour un public plus étendu, avec des strates littéraires, philosophiques, et sociologiques. Pour les psychanalystes à fibre littéraire ou pour les philosophes convertis à la psychanalyse. Innovation formelle : l’auteur puise des exemples dans de longs fragments de séances analytiques qui prennent sans frontière le relais du récit.

Le risque est comme ces instruments de musique dont l’embouchure permet plusieurs sonorités. A la fois hasard, danger et chance, il est par ailleurs au cœur du rapport des individus avec eux-mêmes et des individus entre eux. Ce qui implique notre difficulté à le penser. Omniprésents dans notre vie en société, les risques nous enferment dans une communauté de peurs qui nous paralysent. Nous n’osons plus prendre ceux personnels, affectifs, individuels qui nous libéreraient. Anne Dufourmantelle nous invite à ne pas avoir peur de ces risques-là. Quelle rencontre allons nous faire ? Que se joue-t-il en nous quand nous en prenons un ? Quel en est l’objet ? Que signifie risquer sa vie ? Qu’est-ce que par exemple prendre le risque de désobéir ? Quel est au fond le risque de l’infidélité, celui de la liberté ? A quel espace insoupçonné de désir ouvre-t-il ? Pourquoi le consulte-t-on comme une pythie ?

Question centrale de ce livre : comment ne pas interroger une société qui fait du risque individuel une conduite déviante ? Du principe de précaution aux calculs de probabilités, ce qui nous entoure nous contraint et nous assujettit. Se pourrait-t-il que nos contrats et nos objets nous gouvernent, que nos cartes de fidélité et nos abonnements nous plongent dans une espèce de torpeur généralisée et volontaire ? Par ailleurs, l’urgence, les flux économiques conduisent à une autre représentation du temps où la suspension individuelle, la prise de recul personnelle est proscrite. Les offensives permanentes contre la psychanalyse en sont une illustration.

La première qualité de ce livre est son style, ainsi que son principal défaut. Sans avoir de mise au point précise, comme autant de photographies mais dont certaines sont floues, il nous est difficile d’avoir une netteté sur ce qui est dit. Un flou de grande précision. De superbes phrases mais qui laissent en suspens. Est-ce un travail volontaire d’analyste que d’injecter ainsi en permanence du questionnement ? Un besoin viscéral de dire quelque chose sans pour autant pouvoir ou vouloir y parvenir. On est sans arrêt en train de vouloir préciser mentalement la pensée de l’auteur. Il nous fait ressentir physiquement ce qu’est le non-savoir de l’analyste. Ce qui constitue une limite et une force. Peu de points de capiton. La netteté du propos est sans cesse différée, prometteuse, mais ne se fait pas toujours. On poireaute. Voulu ou pas, bizarrement on ne s’en trouve pas gêné mais il faut du temps pour s’y faire. Peut-être ne faut-t-il pas hésiter à sauter les passages en roue libre. C’est Proust qui n’arriverait pas toujours à faire la mise au point sur les clochers de Martinville, sur ce qu’ils cachent derrière eux et donc à s’en débarrasser.

Les livres écrits par des psychanalystes permettent des genres littéraires fort diversifiés. Inutile de dire qu’on ne se décrochera pas la mâchoire à la lecture de cet « Eloge du risque ». Allergiques aux discours éthérés, passez votre chemin. Mais c’est un livre de liberté, de permission et d’émancipation. Qui nous convie à nous laisser porter, à réhabiliter, à explorer les affects dits négatifs, la tristesse, la dépendance, la passion et avec la psychanalyse à les apprivoiser pour pouvoir les dépasser. Dans sa forme, on peut voir un livre-métonymie de la psychanalyse. Par son sujet, un éloge de la suspension. Ouvrant à un espace inconnu et à un désir autre, le risque serait-il une formation de l’inconscient à interroger au même titre que le lapsus ou le rêve ? Ouvrage capable de prouesses, bien écrit mais qui nous perd un peu comme dans une forêt. On finit par en oublier les difficultés mais pas la poésie ni l’effet de vérité. On le referme avec soulagement mais on a vite fait de le reprendre, comme un antidote.

« Éloge du risque » d’Anne Dufourmantelle

Dans son nouveau livre, « Eloge du risque », Anne Dufourmantelle, docteur en philosophie et psychanalyste, nous présente une palette irisée de toutes les facettes que revêt le risque, déclinées sur une cinquantaine de chapitres, allant de deux et n’excédant pas les quatorze pages.

Dans le premier tiers du livre, l’ensemble des risques dont il est question : le risque de ne pas mourir, celui de la dépendance, de désobéir, d’être en suspens, de la passion, de quitter la famille… est, en premier lieu, abordé d’un point de vue culturel et social, mais au décours de la lecture de chacun d’eux, on s’aperçoit qu’il s’agit de tout autre chose. En effet, au-delà de ce premier abord, c’est de la cure analytique dont il est question. La cure analytique au cours de laquelle, sans doute, chaque analysant rencontre chacune des composantes exposées, du risque ; donnant ainsi la sensation d’une sorte d’universalité dans la cure.

L’articulation des deux derniers tiers du livre est moins nette. Oscillant entre psychanalyse et philosophie, il y est question de perception, du corps, de l’angoisse, du rêve, du rire, de la lecture, de l’écriture et de littérature.

Un fil conducteur tout au long de ces cinquante chapitres ?… Pas vraiment, si ce n’est le thème du risque… Une révolution ?… peut-être ? Dans la mesure où au début du livre, il est question du mythe d’Orphée, mythe que l’on retrouve au tout dernier chapitre… Et la boucle est bouclée. Un survol de tout ce que le terme « risque » peut englober depuis la naissance jusqu’à la mort. Avec ce risque essentiel à cet entre-deux : le risque de ne pas mourir, qui peut s’opérer en prenant le risque de rencontrer un analyste.

Tout au long de son livre ponctué d’exemples que lui donne la clinique, Anne Dufourmantelle, par ses extraits de séance, vient aussi interroger la pratique de l’analyste.

Ecrit dans un style agréable à lire, accessible et souvent poétique. Un très joli livre à lire et à relire.

Élisabeth Gaudemer

Anne Dufourmantelle est docteur en philosophie et psychanalyste. Elle a notamment publié « En cas d’amour » aux éditions Payot.

Comments (1)

j'ai bien aimé les commentaires de ce livre d'un abord si énigmatique quant à son écriture.