HYMNE À LA VIE

La première impression qui surgit à la lecture du texte de Juan-David Nasio, L'Inconscient, c'est la répétition!, récemment publié chez Payot, c’est que nous sommes d’emblée plongés dans la même temporalité que celle d’une cure analytique! À savoir un parcours à rebours qui s’amorce à partir de la prise en compte des strates évènementielles les plus récentes, pour ensuite peu à peu lentement et sûrement, sonder les strates les plus anciennes. Pour Nasio, l’inconscient constitue l’intimité par excellence, un pouvoir palpitant au cœur de l’être humain! Une intimité inconnue qui gît au cœur du parlêtre. Il nous convainc que nous sommes habités par l’inconscient, que sa pulsation incessante fait naître, suscite et produit le caractère le plus intime de notre vie psychique.

Considérée sous un certain angle, nous pourrions presque affirmer, qu’avant même d’être un concept analytique, la répétition s’érige comme une émanation du processus vivant qui nous traverse depuis l’aube de notre vie. Autant dire que ce qui se répète teinté d’énigme, d’affect ou de trauma, ce qui s’est inscrit en tant que stigmate corporel issu de l’autre primordial, ce matériau qui insiste, qui perdure et qui se réitérera indéfiniment : voilà ce que je suis.

C’est à être en attente d’être captée, prise en compte et si possible élucidée, que cette matérialité signifiante engendre, instaure, inaugure la répétition. D‘où les formules lapidaires : « je suis ce que je répète » et « je répète donc je suis ». Nasio insiste quant à la particularité de l’oscillation manifestée au sein d’une répétition; à savoir que même s’il y a un contenu apparemment similaire qui revient sans cesse, à chacune de ses occurrences successives pourra y être décelée une nouvelle modulation aussi ténue soit-elle. Celle d’une scansion présence absence, phénomène arrimé au Fort Da freudien, noyau de toute symbolicité.

Et enfin, autre particularité non des moindres, celle de la nécessité qu’il y ait disponibilité pour opérer un comptage, un repérage des répétitions successives, lesquelles dévoileront inéluctablement la diachronie inhérente à toute historicité humaine.

Ainsi se dégageront la dimension temporelle et la dimension topique de la répétition; deux axes incontournables du processus de répétition.

Non seulement nous sommes conduits à ressentir qu’il n’y a de répétition qu'inconsciente et que cette dernière pourra se revêtir de mille visages, mais aussi que, plus ou moins à notre insu nous devenons partie prenante au sein d’un plaidoyer de compassion pour le sujet enfermé dans un procès de répétition : ce que nous sommes tous!

*

La force du texte nous saute aux yeux et sa précision d’anatomopathologiste éclaire et rassure le débutant tout autant qu’elle réjouit le clinicien averti. En effet, le propos de Nasio sert une élucidation de concepts cliniques complexes tels que les concepts d’agnosie émotionnelle, d’ictus forclusif, de passé traumatique enkysté, forclos ou refoulé, qui à la lecture s’avèrent fluides tout en s’emboîtant dans une succession quasi festive.

L’art de poser une à une, une nouvelle pierre à l’édifice conceptuel arrive à alléger tout sujet potentiellement bouleversé par ce qui pourrait en être de l’expérience d’un trauma.

L’auteur pointe la circularité du réseau pulsionnel par des formules succinctes telles que : « le trauma appelle le trauma, la jouissance appelle la jouissance, la jouissance ne demande rien, elle ne veut rien changer »!

La saisie de correspondance temporelle et topique valide la métapsychologie, si tant est que cela soit encore nécessaire, ce qui a pour effet de décortiquer tout autant que d’étaler la sophistication de la vie psychique de tout sujet.

Ce dernier texte du docteur Nasio nous rend sensibles à la dimension d'humanitude celée au cœur de la pathologie lorsque celle-ci se voit traversée par la compulsion de répétition!

Position antinomique par rapport à celle le plus souvent promue par une psychiatrie institutionnelle et aussi par les sciences biomédicales. C’est-à-dire, là où, le symptôme est d’abord évalué comme un encombrement, comme un ennemi à museler par la voie des neuroleptiques ou encore comme une conduite à évacuer d’emblée. La différence entre ces approches et la clinique analytique de Nasio comporte à l’évidence une disponibilité psychique sans égale de l’analyste, redoublée d’une incessante fréquentation de textes fondamentaux non seulement relus, mais constamment revisités à la lumière de la corporéité sensible de l’analyste praticien. L’héritage freudien se révèle d’une vigueur inaltérable et féconde pour celle ou celui qui, à l’instar de Nasio, ose l’étreindre avec la prégnance de ses forces vives et qui, de ce fait, aura pouvoir de se laisser entamer par une interrogation de tous les instants, et ce, dans une succession temporelle qui s’ouvre à l’infini.

*

Le non-savoir inhérent au début d’une cure entraîne la nécessité d’un passage obligé par le processus de la remémoration, par celui de la répétition tout autant que par celui de la perlaboration. Nasio, toujours inscrit dans le sillage freudien reprend ces termes, en nous signifiant que le symptôme apparaît, qu’il disparaît et qu’il réapparaît.

Être le guide assidu et éclairé de l’analysant quand les référents symboliques d’un sujet sont mis à mal, telle est la tâche de l’analyste.

Le plus souvent le treillis composé d’hypothèses supposées, d’interrogations en cours, des élaborations théoriques de l’analyste, constituera le plus sûr terreau pour habiter l’espace de l’écoute de l’inconscient.

Position éthique habitée et inamovible du psychanalyste, qui s’opposera en tous points, aux fracas consternants promus et galvaudés en ce début du XXIe siècle. Au cœur de l’ébriété sociétale contemporaine alimentée par la suprématie du consumérisme et du gadget technique, le plus souvent ce qui séduit la masse et les foules anomiques, ce sont les barricades les plus séditieuses érigées contre la vérité qui gît au cœur d’une parole subjective, tout autant que les invectives les plus violentes à propos du primat de l’inconscient hérité de l’apport freudien.

Comme le souligne si bien Nasio dans l’un de ses textes initiaux de 1980 : « Le discours analytique est le seul à reconnaître l’appartenance au réel du sujet de l’inconscient » (L'Inconscient à venir, éditions Christian Bourgois, p. 189).

*

Alors que le pouvoir de l’image n’a cesse d’étendre son potentat tentaculaire, considérer le primat de la répétition inconsciente relève d’un défi herculéen. Que l’inconnu pulse, se propage et traverse les gestes les plus anodins, les désirs inconsidérés et les passions soudaines de tout sujet humain, et ce, par le biais de la cadence incessante de la répétition, demeure un constat tout à fait subversif! Que les dénominations de traumatisme, de jouissance et de réel puissent s’équivaloir ne fera que confirmer l’altérité inconsciente incessante au cœur du parlêtre.

Une assertion de Maupassant évoque pour nous cette turbulence : « Une lame ébréchée sciait mon cœur […] ». Cette lame ne s’avère-t-elle pas du même ordre que l’incidence térébrante de la répétition compulsive qui tenaille incessamment la psyché humaine! Particulièrement lors de situations traumatiques répétitives, le plus souvent considérées de prime abord comme tout à fait énigmatiques, une illustration de ce constat nous est offerte par l’auteur, pour le cas de Bernard. La répétition témoignerait à la fois d’un originaire inaccessible, de l’incidence de stases pulsionnelles indifférenciées et d’une incessante tentative d’organisations thétiques, lesquelles n’auraient capacité d’accès au principe de plaisir que secondairement, ce que sous-tend tout à fait la théorie freudienne.

*

Le texte du docteur Nasio comme ouvrage introductif aurait pouvoir de séduire tout novice en la matière. L’algèbre lacanienne s’y révèle également d’une limpidité exemplaire (p. 95). Quant à ce qui est du processus de travail d’une cure proprement dit, le dégagement du processus de reviviscence, s’opérant par paliers, et la nécessité d’apprivoisement de l’affolement moïque demeurent des incontournables. Autre remarque, l’apparition d’un nouveau sujet, fruit de la répétition de la vacillation subjective se veut la visée souhaitée de ce parcours du combattant!

Le seul regret que le lecteur pourrait éprouver, ce serait que l'auteur nous éclaire très peu, quant à la position psychique de l’analyste lorsque, confronté à des symptômes d'intensité très sévères et très mortifères, il « décharite » (Lacan, J., 1973. Télévision, Seuil, p. 28).

*

Que la répétition soit considérée par le père de la psychanalyse comme un au-delà du principe de plaisir suppose du même coup le postulat, qu’il y ait eu un en deçà de ce même principe de plaisir. Un ante qui aurait précédé la mise en place, l’instauration du plaisir en tant que produit des énergies liées. Si la répétition réitère l’antécédence primordiale, ce serait là où aurait régné le péril originaire, c’est-à-dire le risque de non-réponse à la détresse originaire du néotène! Et même s’il y a réponse à l’Hilflosigkeit, compte tenu du statut du langage, il ne pourra y avoir que réponse partielle et insatisfaisante.

D’où l’inéluctabilité du sujet humain pris dans les rets de la compulsion à répéter.

Dans l’après-coup du travail d’une cure, il devient possible d’affirmer que la compulsion même pathologique est une issue de secours très précieuse, car elle oblige à des prises de décision et confronte le sujet malmené à se rendre attentif au discours qui l’habite, qui le hante, qui le traverse, ce qui du même coup devient porteur d’une nouvelle naissance!

Felix culpa…!

Bienheureuse répétition…!

Gracias a la vida…!