Jean-Louis Sous est psychanalyste, auteur de plusieurs ouvrages : Les p'tits mathèmes de Lacan, L'enfant supposé, Prendre Langue avec Jacques Lacan, L'équivoque interprétative : Six moments de Freud à Lacan…Il fut directeur de l’Ecole Lacanienne de Psychanalyse. Son dernier ouvrage est un essai littéraire proche de la critique d’art qui frôle aussi la poésie, sur le suicide du célèbre peintre Nicolas de Staël. C’est à travers l’analyse du tableau « Le Grand Concert » et la correspondance personnelle du peintre que l’auteur mène une enquête fine sur les portées d’un acte irréversible.

A la manière dont Lacan visite la peinture tout au long de son enseignement, Jean-Louis Sous ne se livre pas dans cet ouvrage, pas plus que dans son écriture en général, à une psychanalyse dite appliquée, mais nous présente ce que le montage du tableau révèle de la représentation même du sujet. Il nous montre clairement que l’œuvre d’art n’est pas saisissable ni par la théorie du rêve, ni par celle du mot d’esprit. Les formes et les mots appartiennent  à des registres différents et ne sont pas interchangeable. Le registre de l’art n’est pas identique à celui du langage mais il n’en demeure pas moins que c’est par la parole et ici les mots dans l’écriture que l’on peut en dégager les signifiants.

L’interprétation que nous propose l’auteur se dégage de tout placage personnifiant, de toute solution exclusive ou binaire, de toute nosographie psychiatrique. Nicolas de Staël se serait suicidé à cause de la peinture ? À cause de Jeanne ? En raison des deuils ravivés de ses parents et de Jeannine ? De nombreuses thèses ont déjà été évoquées à ce sujet. Le suicide fascine. Sa soudaineté, son inattendu suscitent la recherche d’explications et de signes avant-coureurs et mettent ainsi en marche la machine à interpréter qui s’emballe, parfois.

Ce n’est pas ici le parti pris par l’auteur qui tente de comprendre le peintre à travers son œuvre, les couches de peinture, l’intensité des couleurs et du geste, autant de témoins des différentes scènes de son existence et qui ont fini par la saturer. En fixant le fil de l’œuvre du peintre aux fils de trame de la fabrique théorique lacanienne, Jean Louis Sousse nous tisse ici une toile analytique tout à fait singulière et originale.

Faut-il rappeler que Jean Louis Sousse aime les mots et la langue lacanienne ? Il l’a comprise et la manipule avec brio, nous rappelant ainsi que la psychanalyse est une histoire de langage, de résonance  des mots et de portée des signifiants. Par exemple,  à travers ses recherches sur la correspondance du peintre, il découvre que ce dernier aurait cité dans une lettre adressée à Jeanne, sa maîtresse, un poème d’Antoine Tudal, qui n’est autre que le fils de Jeanine et Olek Teslar, la première alliance de la femme de Nicolas de Staël. Notons la coïncidence.

Entre l’homme et la femme, il y a l’amour

Entre l’homme et l’amour, il y a un monde

Entre l’homme le monde, Il y a un mur

 C’est de ce même poème que Jacques Lacan se serait inspiré dans « la lettre d’Amur » pour tenter d’illustrer l’impossible rencontre entre un homme et une femme.

 « La quête de la femme par l’homme fait que l’amour devient tout un monde entre eux, pour finir par se heurter à un mur »

De fait, et c’est une thèse développée par Jean Louis Sousse, l’amour que le peintre porte à Jeanne, sa dernière maitresse qui le rejette, semble le plonger dans une forme de détresse, de désespoir profond jusqu’à l’issue fatale de la mort. Il avance l’idée du suicide comme « meurtre de soi », d’anéantissement, de chute, un acte ultime de représentation devant l’impossible.

«Il y avait sans doute aussi, au final, l’homme qui aurait perdu en Jeanne la possibilité de la perte, de s’abimer dans ce corps de femme et à qui il ne resterait plus que l’abime pour se perdre définitivement et retourner à la matière. Dernier tour de force. Il ne fera plus le tour de la chose, il y retourne meutri. La béance de la fenêtre se sera faite meurtrière. Meurtre de la chose… »

Ce petit livre d’une centaine de pages nous offre un condensé de psychanalyse, non pas tant sur le plan théorique que sur la démarche et le style d’un analyste, qui a mené un travail minutieux pour faire émerger un sujet dans toute sa singularité.