Les frottements du cœur » Récit. Katia Ghanty. Editions Carnetsnords. Nov 2017. par Simone Molina

  Les frottements du cœur » Récit. Katia Ghanty. Editions Carnetsnords. Nov 2017.

« Les frottements du cœur » Récit.

Katia Ghanty. Editions Carnetsnords. Nov 2017.

 

 

 

Le  livre  de  Katia  Ghanty,  « Les  frottements  du  cœur »,  paru  récemment  aux  éditions

Carnetsnord, est un livre puissant.

 

Par-delà la souffrance que l’auteure relate dans son récit autobiographique, on lit la puissance de l'amour prise dans une promesse, celle adressée à l’autre qu’elle aime et celle qu’on reçoit de l’autre. La force de la parole donnée, et celle de l’écoute, vibrent tout au long du texte. Dans une écriture alerte et incisive, on découvre la puissance de la pensée qui s'accroche aux détails pour dépasser l'épreuve, et, à l'inverse, le risque de se détacher de la vie quand la pensée n'est plus nourrie par le lien humain.

 

Chacun sait la préoccupation constante, l’exigence interne, de transmettre par l'écriture qu’ont eu certains des écrivains qui ont vécu la déportation, la torture, les guerres effroyables où le corps est pris comme objet et où le sujet semble s’évanouir. Dans cette traversée impensable qu’a été pour l’auteure une hospitalisation en urgence, alors qu’elle a 29 ans et que beaucoup la pensent perdue, on entend le recours aux mots les plus précis et incisifs, à coucher plus tard sur le papier, comme projet qui participe à la survie.

C’est ainsi que cet ouvrage nous indique une formidable pulsion de vie luttant contre l'indicible souffrance : peu après son arrivée à l’hôpital, « les médecins décident de la brancher, en urgence, sans l’endormir, à un appareil assurant une circulation du sang extracorporelle, où elle sera reliée durant six jours ». Mais, nous dit Katia Ghanty, cette souffrance corporelle n’est pas l’essentiel.

C’est en ce sens que ce livre doit être lu par les soignants qui travaillent dans des services hospitaliers, qu’ils soient d’urgence, de soins médicaux ou de soins psychiques.

Il faut longtemps pour trouver le chemin pour dire, pense-t-on souvent. Pourtant dans le vif de la rencontre, certains soignants ont su trouver une parole, un regard d’humanité, un mot qui dit la vivacité du lien humain malgré les épreuves et la peur de mal faire, de faire erreur, de se tromper…C’est un livre qui nous parle de la responsabilité de l’homme pour l’homme afin que celui qui souffre se ressente, non seulement sauvé physiquement, mais aussi se vive moins seul dans l’épreuve.

Ainsi, par-delà cette terrible expérience, l’auteure lie la douleur physique à la douleur psychique de l'absence de lien humain, et dit l’effroyable solitude si un autre ne porte pas attention...elle fait entendre cela avec une grande force, en de nombreux lieux du texte.

Si « Les frottements du cœur » est un livre grave, il est aussi parfois étrangement drôle tant l’humour – comme le disait Freud- est une forme de sublimation qui sauve.  Il allie la justesse des mots pour parler d'un impossible à transmettre avec cette forme d'humour dans lequel on pressent que Katia Ghanty a puisé pour avancer depuis l’enfance bien avant cet accident cardiaque. L’enfance qui est là, qui surgit dans des détails, mais jamais de façon nostalgique.

Et puis il y a l'après : chacun se réjouit qu’elle soit sauvée. L’auteure dit de façon très fine ce décalage avec les autres quand tout le monde imagine que c'est fini, puisque gagné sur la mort…C’est à ce titre que cet ouvrage permet d’approcher une clinique du traumatisme. Elle en déplie les méandres, sans concession et pourtant sans cruauté envers ses amis et sa famille, mais aussi envers les soignants d’autres lieux où elle a séjourné ensuite.

 

Elle raconte, comme des vignettes cliniques, une psychologue complètement hors sol, une kinésithérapeute introuvable...et à l'opposé, dans une évidence, le sourire et la main tendue d’autres soignants, les visages qu’elle déchiffre, l’écoute, la combativité, la compétence….

Elle aborde pour relater cet « après », avec justesse sur un plan institutionnel, le passage d'un service à l'autre. A notre époque où les hôpitaux sont rendus exsangues par manque de moyens et  de formation  des  soignants,  elle dit  la bêtise de ne pas  prendre en  compte ces  liens nécessaires. Ils sont contreproductifs, humainement mais aussi et y compris économiquement. Ce livre devrait être adressé à ces responsables politiques qui imaginent que l‘hôpital peut être gouverné comme une entreprise.

Les lettres des soignants qui sont publiés en fin d'ouvrage font partie de ce lien mis en acte et que l’auteure poursuit elle-même. Ils sont un retour sur une expérience inouïe et disent le doute et la responsabilité des soignants confrontés aux risques de mort pour leurs patients.

Katia Ghanty est comédienne. Alors qu’elle est hospitalisée en avril, elle se promet de participer au festival d'Avignon qui a lieu en juillet de la même année. Elle réussira ce pari, qui dévoile la force de la promesse ... son livre paraitra l’année suivante.

Mais Katia Ghanty demeure d’une grande lucidité. Elle épingle le flot qui passe et qui oublie celui qui a raté une marche. Dans cette époque où tout doit aller vite, dans des métiers où on aimerait plus de solidarité, elle raconte la solitude et les doutes…

Ce livre nous concerne tous, que l’on ait eu à faire personnellement avec la maladie ou non. Ecouter un proche, ou un autre plus lointain que l’on rencontre dans un dîner, implique de s’écouter soi-même. C’est cette autre leçon que nous donne Katia Ghanty dans ce superbe récit.

Simone Molina Poète et écrivain Psychanalyste

 

Récents ouvrages :

Recueil de poèmes « Voile blanche sur fond d’écran » Ed la tête à l’envers, 2016

En psychanalyse « Archives Incandescentes, écrire entre la psychanalyse, l’Histoire et le

Politique » (préface signée de Benjamin Stora), l’Harmattan, 2011

Co-auteure de nombreux ouvrages chez Eres, Bleu Autour, et d’autres éditeurs.